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La lutte des classes ne soignera pas le climat

On a vu le concept de lutte des classes mener à des dictatures.

Le philosophe Bruno Latour, qui vient de disparaître, était très engagé dans la lutte pour l’environnement. Il fustigeait pourtant l’attitude d’une certaine écologie politique. “Les écologistes, écrivait-il dans son dernier ouvrage, créent l’exploit de paniquer les esprits et de les faire bâiller d’ennui.” On ne peut totalement lui donner tort.

La question que nous posons en une de notre magazine, “faut-il punir les riches pour sauver la planète?” est celle de l’efficacité. Est-ce bien efficace de paniquer et d’ennuyer? Est-ce bien efficace de stigmatiser le mode de vie des plus nantis et de ceux qui n’ont pas lu le rapport du Giec? Est-ce que cela fait avancer la révolution économique nécessaire pour avoir une économie “décarbonée”? On ne pense pas.

Bien sûr, les fortunes sont inégales, les intérêts multiples, les valeurs diverses, les modes de vie différents. Bien sûr, certains laissent une empreinte carbone plus profonde que d’autres et, bien sûr, les pays industrialisés sont les grands responsables du réchauffement du climat. En revanche, si l’on descend au niveau de notre pays, l’empreinte laissée par les 10% les plus riches n’est pas extraordinairement plus importante que celle laissée par les 10% les plus pauvres. L’effort nécessaire pour décarboner notre monde n’incombe donc pas aux seuls riches.

Certes, il y a encore un effort pédagogique à réaliser pour expliquer qu’il est aussi dans l’intérêt des classes aisées de participer à cet effort collectif. Ce n’est pas de l’angélisme de dire qu’une montée des inégalités est nuisible pour tous, y compris pour les plus riches. Des études montrent que la croissance mais aussi l’espérance de vivre en bonne santé est bien meilleure, pour les riches aussi, dans les sociétés où la cohésion sociale et économique est la plus forte. De même, ce n’est pas simplet de dire que la décarbonation de l’économie profitera à tous, y compris aux classes les plus aisées: on estime pour notre pays le coût annuel du réchauffement climatique à 2% du PIB, et cela ira en s’aggravant.

Le problème des questions écologiques, disait encore Bruno Latour dans un entretien au site Basta! , “c’est qu’elles sont déjà beaucoup trop moralisées. Or ce n’est pas ainsi que doit s’organiser la discussion. La vie politique consiste précisément à faire des arrangements, et c’est précisément ce qu’on ne peut pas faire quand on a une position morale.” Il faut donc trouver des termes qui suscitent l’adhésion. “Si l’on dit qu’on lutte pour bien manger, se loger correctement et se déplacer sans que cela coûte des fortunes, qui est contre, demandait Bruno Latour? Personne.” Et si l’on dit que, plutôt que d’interdire, le moyen le plus simple est de responsabiliser et d’imposer une taxe d’autant plus importante que l’empreinte carbone que nous laissons est large, peu de monde s’y oppose.

En revanche, traduire la question climatique en une nouvelle lutte des classes, en présupposant qu’une classe fait le bien, et l’autre pas, gèle toute action politique. De plus, le concept de classe lui-même explose quand on parle climat. Qui va s’opposer à qui? Il y a des gens de toutes classes sociales en faveur de l’énergie nucléaire, et il y a des gens de toutes classes sociales qui s’y opposent. Il y a des chasseurs de toutes classes sociales respectueux des écosystèmes, et d’autres qui ne le sont pas. Enfin, c’est aussi extrêmement dangereux. On le voit déjà, certains esprits commencent à s’échauffer. On a vu le concept de lutte des classes mener à des dictatures. Il existe un chemin, on le sait, qui a déjà été emprunté. Pour notre plus grand malheur. Dans ce monde qui se réchauffe, nous sommes donc condamnés à nous entendre.

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