“La facture annuelle moyenne de gaz-électricité pour un ménage moyen: 6500 euros!”

Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Damien Ernst, professeur à l’ULg, chiffre le coût colossal de l’arrêt d’envoi du gaz russe à l’Europe. Il critique la stratégie européenne. Seule certitude: l’effet prix va inévitablement diminuer la consommation.

Professeur à l’université de Liège, Damien Ernst fut l’un des premiers à alerter contre le risque d’une crise énergétique. A quelques mois d’un hiver qui sera celui de tous les dangers, il fait le point pour Trends Tendances.

Que pensez du contexte actuel en matière énergétique?

Le contexte n’est pas bon. Depuis deux semaines maintenant, les Russes ont pratiquement arrêté toutes les livraisons de gaz vers l’Europe. Il y a eu l’entretien de North Stream 1, ce gazoduc qui relie la Russie à l’Allemagne: pour différentes raisons, les Russes ont dit qu’ils étaient incapables de la redémarrer, mais ce ne sont que des prétextes pour ne pas renvoyer du gaz à l’Europe. C’est d’autant plus une excuse que des alternatives existent, notamment via la Biélorussie et la Pologne. Il y a clairement une volonté russe de faire saigner l’Europe économiquement.

Avant cet épisode, le prix du gaz était un peu redescendu à 80 euros par MWh sur les marchés, alors qu’il était à 20 euros avant la crise du Covid. A l’heure où on se parle, il est à 200 euros par MWh! Pour vous donnez une idée de l’ampleur du problème, un ménage moyen consomme 17,5 MWh, cela signifie que sa facture s’élèvera à 3500 euros, un montant auquel il faut ajouter la TVA à 6%, soit 3710 euros par an. Il faut ajouter des frais de distribution: on est autour de 4500 euros pour le gaz. L’électricité monte aussi en fonction du gaz: on doit être, pour un ménage moyen, aux alentours de 2000 euros.

En d’autres termes, la facture annuelle moyenne de gaz et d’électricité s’élève à 6500 euros, soit 550 euros par mois. Et il n’y aura plus beaucoup de consommateurs protégés par un contrat fixe comme c’était le cas l’hiver dernier. Je ne parle pas non plus des ménages qui consomment de façon un peu extravagante avec une piscine chauffée…

Et du côté des industriels?

Là aussi, le problème est sérieux. Il y a désormais un rapport de 1 à 10 entre le prix du gaz en Europe et aux Etats-Unis. Cela met sous pression tout le tissu industriel européen qui est probablement en train de s’effondrer parce qu’il ne sait pas résister à ces prix-là.

Au niveau concurrentiel, c’est impossible…

En effet. Cela va de la petite boulangerie qui ferme aux gros industriels qui consomment énormément d’énergie. Avec des prix à 200 euros par MWh et la manière dont les marchés sont organisés, nous sommes face à un problème qui est plus qu’apocalyptique: il est impossible à gérer. Tant les ménages que les industries ne savent pas passer l’hiver avec des prix comme ça s’il n’y a pas un interventionnisme massif de l’Etat.

Bien sûr, non ne va pas tous mourir non plus, mais il risque d’y avoir de l’instabilité sociale. Trop de gens n’arriveront plus à payer. Qu’est-ce que l’Europe peut faire rapport à ça?

Une réduction de la consommation de 15%, c’est pour rire?

Oui, c’est pour rire.

La Belgique consomme 200 TWh de gaz, c’est-à-dire 200 millions de MWh. Multiplié par 200, cela nous amène à 40 milliards. Le PIB de la Belgique étant de 500 milliards, c’est 8% du PIB qui passe dans la facture de gaz. Vous voyez bien la difficulté pour un pays de résister à un choc comme celui-là. Nous sommes dans des montants qui dépassent les capacités d’intervenir.

L’Europe parle effectivement d’une réduction de 15% de la consommation par pays. Comment réduit-on une consommation d’énergie? Il y a deux grands mécanismes. Le premier, c’est au travers du mécanisme de prix: si on les augmente, les gens ne savent plus payer, les entreprises ferment… Ce mécanisme-là est clairement en cours.

Le deuxième mécanisme, c’est le rationnement, c’est-à-dire qu’on limite la consommation de chaque personne ou de chaque entreprise. Cela n’est pas encore mis en route, mais ce ne serait pas mauvais à mettre en place au niveau européen parce que la compétition n’aurait pas lieu sur les prix, ou dans une moindre mesure.

Pour l’instant, nous sommes que dans l’incitation…

Oui, mais la sensibilisation, cela ne marche pas. Il n’y a que la facture ou le rationnement qui fonctionnent. On nous annonce cette réduction de 15% de façon triomphale, mais je ne vois pas les mesures qui suivent.

Cela dit, je suis confiant qu’ils arriveront tout de même à ces 15% de réduction, parce qu’au prix de 200 euros par MWh, c’est dissuasif… En tout cas au niveau industriel: avec la hausse jusqu’à 80-100 euros, on avait déjà une réduction d’une telle ampleur en Belgique.

Cela va induire également une grosse réduction de l’activité économique, non?

Oui et tout ce que cela induit: moins de produits sur les marchés, une forte inflation…

Quelles sont les évolutions possibles? Les prix à venir sur les marchés restent pour l’instant à des niveaux aussi élevés jusqu’à la fin de l’hiver, voire pour toute l’année 2023. La réduction de la demande avec le prix aura un impact. Et on peut espérer un dénouement heureux de la situation avec la Russie, avec une reprise des relations commerciales, mais nous en sommes loin pour l’instant. Cela implique presque un changement de régime à Moscou, en tout cas un retrait de l’Ukraine.

Dans cette lueur de mauvaises nouvelles énergétiques, le charbon est aussi touché. Il reste le pétrole dont les prix semblement se stabiliser, mais c’est une fausse impression au niveau européen en raison de la faiblesse de l’euro. Cela risque de se dégrader encore. D’autant qu’un autre phénomène qui passe un peu sous le regard des spécialistes, c’est le risque d’un mécanisme de substitution du gaz vers le pétrole. Dans certains pays, par exemple, on utilisera davantage des générateurs diesel pour produire de l’électricité.

Faut-il s’attendre à une réaction plus vigoureuse des Etats européens ou de la Belgique à la rentrée?

Nous n’avons pas été très bons, en Belgique, pour anticiper. Cela a été mieux le cas dans des pays comme l’Espagne ou le Portugal, où ils ont fait des changements dans l’organisation des marchés pour protéger les gens. Chez nous, on n’a pas fait grand-chose: le tarif social, quelques chèques d’un montant anecdotique, une baisse de TVA… Mais cela représente peu de choses au vu de l’augmentation annoncée, peut-être 20% du montant total.

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