La charge contre les boomers de François De Closets: “Comment ne pas vomir la génération qui a fait cela?”

© belga image

La génération qui a dirigé nos pays dans les années 1970 jusqu’à aujourd’hui a laissé un monceau de dettes financières, sociales et environnementales.

François de Closets est celui qui a introduit le journalisme scientifique et économique à la télévision française au milieu des années 1960. C’est aussi un écrivain prolixe dont l’essai Toujours plus! , paru en 1982 (chez Grasset), a été un véritable phénomène de société. Il dénonçait alors le corporatisme qui minait l’économie française.

L’essayiste et journaliste, toujours tout feu tout flamme à 88 ans, nous revient avec un nouvel ouvrage (*), dans lequel il condamne cette fois l’irresponsabilité de la génération qui a été aux manettes ces 50 dernières années.

Profil

  • Naissance le 25 décembre 1933
  • 1961: Entre à l’Agence France Presse
  • 1965: Rejoint la télévision. Il travaillera pour l’ORTF, puis TF1, puis Antenne 2 (qui deviendra France 2) jusqu’en 2006.
  • 1970: Publie son premier essai (En danger de progrès, Denoël). Son best-seller, Toujours plus! (Grasset), paraît en 1982.

TRENDS-TENDANCES. “La parenthèse boomers” est-elle la suite, 40 ans plus tard, de “Toujours plus!”?

FRANÇOIS DE CLOSETS.Toujours plus! traitait des privilèges des corporations. La parenthèse boomers traite des privilèges d’une génération. Toujours plus! avait suscité des réactions virulentes. Et les réactions sont assez comparables aujourd’hui sur ce livre qui dénonce l’égoïsme d’une génération. Quand je dis que le pouvoir d’achat en moyenne des retraités est plus important que celui des jeunes, cela n’occulte pas le fait qu’il existe des petites retraites à moins de 1.000 euros par mois qui sont scandaleuses. Mais il n’empêche. Il y a bien un comportement, une politique et une pensée générationnelles, que pourtant l’on ne fait jamais intervenir. Car la génération est une nébuleuse, sans organisation politique, sans porte-parole.

Pourquoi cet esprit générationnel est plus prononcé aujourd’hui?

Les générations avaient peu d’impact quand on vivait dans une société où les gens se reconnaissaient dans leur patrie, leur catégorie sociale, leur religion… Aujourd’hui, la patrie et la religion ne comptent plus et le milieu social beaucoup moins. Les gens n’ont plus de repères, sauf d’avoir le même âge. Lors des dernières élections présidentielles en France, les votes ont été générationnels: les jeunes ont voté Mélenchon, les plus âgés Macron.

L’idéologie individualiste a transformé les citoyens en clients d’une société d’assurance tout risque que l’on appelle l’Etat.

Et l’écart entre générations se creuse?

La génération qui arrive au pouvoir dans les années 1970 est la génération boomers. Leurs parents ont redressé le pays après la guerre. Ils naissent dans un monde pacifié, avec de la croissance et encore peu de chômage. Un monde facile où les menaces qui pesaient dans l’entre-deux-guerres ont disparu. La situation d’un pays comme la France est alors exceptionnelle, sur le plan financier, industriel, démographique. Cette génération profité des quatre “P”: paix, prospérité, progrès, plein emploi.

On ne peut pas reprocher à une génération d’avoir eu de la chance…

Non. Mais ce qui caractérise cette génération est sa notion de liberté. La liberté civique des Athéniens s’accompagnait de devoirs. Elle consistait d’abord à acheter son équipement d’hoplite pour être prêt à défendre la cité. La liberté individuelle, au contraire, aboutit à ce que la cité soit considérée au service de l’individu pour protéger et assurer sa liberté. Elle ne comporte plus aucune exigence, seulement des droits. La condition humaine se définit alors comme un ensemble de droits (droit à la paix, à la consommation, au travail, etc.) permettant d’assurer des libertés multiples. On l’a vu avec le covid. L’idée de rendre la vaccination obligatoire a été rejetée. Pourtant, la vaccination contre la variole a été rendue obligatoire en France dès 1902! Mais on a fait du droit à refuser la vaccination le plus important des droits de l’homme. Nous avons basculé de la liberté civique à la liberté individuelle. C’est de là que tout est parti. Cette idéologie individualiste a transformé les citoyens en clients d’une société d’assurance tout risque que l’on appelle l’Etat. Mais aucune démocratie ne peut vivre durablement sur la seule liberté individuelle.

Pourquoi parlez-vous de “parenthèse”?

J’ai eu cette idée lorsqu’est arrivé le covid. Une parenthèse n’existe qu’une fois refermée. Et aujourd’hui, elle se referme. Le tragique de l’histoire revient, avec l’épidémie, puis la guerre. Alors on ne peut pas reprocher à une génération d’avoir vécu une chance inouïe. Mais il y a un devoir des parents de préparer l’avenir de leurs enfants. Il y a un devoir des générations de faciliter ce métabolisme qui fait passer d’une génération à l’autre. Or, les boomers ont dilapidé l’héritage. Ils ont mis sur le dos des générations futures des milliers de milliards de dettes, financières, mais aussi environnementales, sociales… Comment ne pas vomir la génération qui a fait cela?

A quand remonte la faute?

La rupture est intervenue en 1973 avec le premier choc pétrolier. Concrètement, les Français devaient payer le pétrole plus cher. Pour un pays qui fonçait à 5% de croissance annuelle, ce n’était pas insupportable. Mais le président d’alors, Georges Pompidou, était obsédé par 1968 et ne voulait pas “emmerder les Français” (sic). Qui allait payer? Les entreprises. Elles ont augmenté les salaires et payé l’énergie plus cher. Mais quand cela n’a plus suffi, le déficit public a pris le relais. Un déficit honteux d’abord, puis triomphant: on pensait que le déficit allait au final augmenter les recettes.

La charge contre les boomers de François De Closets:
© belga image

On le pense encore aujourd’hui…

Oui. Nous reportons encore aujourd’hui la facture énergétique sur nos enfants. Et il est très drôle de voir Jean-Luc Mélenchon présenter son programme: il prend de la main droite 250 milliards qu’il met dans le système et à la sortie on récupère 267 milliards. Au milieu, il y a comme un athanor d’alchimiste qui transforme la dette en recette! Jean-Luc Mélenchon rassure en disant que si la France est en défaut de paiement, ce n’est pas grave: les banquiers verront disparaître leur argent et le peuple verra disparaître ses dettes. Mais c’est exactement le contraire: les banques auront mis leur argent à l’étranger et le peuple passera de la pauvreté à la misère!

Votre livre n’est pas seulement critique. Vous proposez des solutions…

En sous-jacent de ces problèmes, il y a ce phénomène que n’a connu aucune autre société: le vieillissement. La vieillesse n’existait pratiquement pas en 1945: quand notre système social se met en place, l’espérance de vie se situait entre 60 et 65 ans. La retraite à 65 ans était calculée pour qu’on ne la paie pas. Mais après l’enfance, l’adolescence et la vie active, on va voir se créer deux vies supplémentaires. La première est la vie des seniors, entre 65 et 80 ans. Le senior, s’il n’a pas été usé par son travail, a 15 ou 20 ans de vie sans handicap particulier devant lui. Puis il y a la vieillesse ; ceux qui ont plus de 80 ans. Et c’est cela la rupture.

On pourrait demander aux seniors de prendre en charge les personnes du grand âge étant donné que cette génération senior a plus qu’abusé.

Pourquoi?

Ce sont deux âges très différents. Pour les seniors, le problème est strictement monétaire. Il faut leur donner une pension. Mais pour les personnes de 90 ans, il ne suffit pas de donner de l’argent. Il faut les assister. Quand les boomers sont arrivés au pouvoir, ils ont bâti un âge senior idéal qu’ils ont fait commencer en France à 60 ans. Et ils ont mis cela à la charge de leurs enfants, les actifs. Mais cette charge devient de plus en plus lourde. Et nous voyons arriver la déferlante d’octogénaires et nonagénaires qui posent un tout autre problème. Les études montrent que la solitude est le trou noir de la vieillesse, qui fait s’accélérer toutes les infirmités intellectuelles et physiques de l’âge. Le vieux isolé vieillit mal sur le plan intellectuel, psychologique et physique. Et il coûte très cher à la société.

Que proposez-vous?

Je me suis inspiré des travaux des équipes de pointe sur ces problèmes de longévité et des pays qui, comme le Danemark, résolvent ces problèmes. Nous ne pouvons pas résoudre ce problème uniquement sur la base de notre société individualiste libérale. Rien qu’en France, pour assurer la prise en charge de nos aînés, il faudra un million de personnes. Vous ne trouverez ni l’argent ni les gens. Parallèlement, il n’est pas normal que des gens de 60 ans qui arrivent à la retraite bénéficient d’un niveau de vie qui, statistiquement, est plus élevé que ceux qui travaillent. On pourrait donc demander à ces seniors de prendre en charge les personnes du grand âge étant donné que cette génération senior a plus qu’abusé.

Comment les mettre à contribution?

Les seniors doivent assurer une permanence auprès des plus âgés. Il faut s’organiser au niveau municipal pour repérer les personnes qui ont besoin de service et s’assurer que tous les jours elles seront visitées, qu’on passera chez elles pas seulement pour les soigner mais pour les voir et entretenir de vraies relations avec elles.

Il faut aussi que nous apprenions la vieillesse. Nous avons en France 10 ans d’espérance de vie en bonne santé de moins que les Scandinaves. Pourquoi? Parce que nous ne savons pas vieillir. Il y a un ensemble de règles à apprendre. Ensuite, il faut faire des choix: voulez-vous continuer à travailler jusqu’à 65-70 ans? Cela suppose que l’entreprise s’adapte. Aujourd’hui, l’entreprise anticipe le fait que les collaborateurs s’en vont après 55 ans et elle ne s’en occupe plus.

Autre option: je veux m’arrêter à 60 ans. Alors, vous auriez une activité qui n’est pas un travail ni un bénévolat mais qui s’apparenterait à celui des pompiers volontaires, qui sont disponibles et viennent aider les professionnels. De la même façon, vous allez apprendre à vous comporter de manière adéquate avec les personnes âgées, observer les symptômes et participer à une organisation qui, à l’échelle municipale, surveillera toutes les personnes âgées. Moyennant cela, vous toucherez votre pension. Si vous ne voulez pas de cette obligation sociale, vous aurez une plus petite pension.

Voilà le schéma qui nous permettrait d’avoir des vieillards plus heureux et de pouvoir payer la vieillesse. Au Danemark, pays qui pousse le plus loin le souci du grand âge, vous verrez que les personnes âgées sont plus heureuses et que le régime est équilibré financièrement.

(*) “La parenthèse boomers. Réconcilier les générations!” Fayard, 320 p., 22 euros.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content