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“La BCE a marqué contre son camp”

La Banque centrale européenne a laissé les marchés insatisfaits ce jeudi – et c’est un euphémisme. Il faut dire que, dans le match euro-dollar, la BCE a marqué contre son camp… et ce n’est qu’une raison expliquant la déception généralisée.

La réaction des marchés financiers après la décision de la Banque centrale européenne, ce jeudi, de pousser un peu plus encore en territoire négatif la rémunération de l’argent que les banques commerciales déposent chez elle, et d’élargir à la fois la période et la famille des titres éligibles à son programme d’assouplissement quantitatif, a été très négative.

Jeudi, l’euro a rebondi face au dollar en progressant de 3% (une telle hausse de la parité de l’euro sur une séance n’avait plus été observée depuis six ans sur le marché des changes), la Bourse a plongé dans le rouge (le Bel 20 a ainsi perdu 2,3% jeudi et est encore en légère baisse ce vendredi matin) et les obligations ont vu leur taux remonter (le taux allemand de référence sur 10 ans a progressé de près de 0,5%).

Pourquoi une telle réaction ? Trois raisons à cela.

1. Taux de dépôt et assouplissement quantitatif : les marchés attendaient davantage

Sur deux fronts au moins. Celui du taux de dépôt, tout d’abord. Pour encourager les banques à utiliser l’argent qui est injecté dans le système à des financements productifs, la BCE “taxe” en effet depuis des mois les dépôts qui sont réalisés chez elle. Et ce jeudi, elle a décidé de faire passer à -0,3% (contre -0,2%) le taux de dépôt de l’argent déposé chez elle. Le marché attendait néanmoins un taux négatif plus important encore.

La grande déception, cependant, concerne l’assouplissement quantitatif lancé en mars dernier. La BCE avait laissé entendre qu’elle élargirait sensiblement cette opération, qui s’apparente à faire tourner la planche à billets (la BCE achète en effet des obligations auprès des banques et des investisseurs institutionnels avec de l’argent qu’elle crée, en espérant que les investisseurs réinjectent cet argent dans le circuit de l’économie réelle).

Or, ce jeudi la BCE a décidé de ne pas toucher à la taille de cette opération : l’institution continuera d’acheter des titres pour 60 milliards d’euros par mois, alors que, dans les salles de marché, on s’attendait à ce que ce montant passe à 70 voire 80 milliards. Certes, la BCE a décidé d’allonger la durée de l’opération (elle était censée se terminer en octobre 2016, la deadline est désormais repoussée à mars 2017) et d’accepter désormais comme titres éligibles des obligations de régions ou de collectivités locales. Mais la déception n’en règne pas moins.

2. Dollar-euro : 1-0, la BCE marque contre son camp

On a souvent dit que la véritable raison de l’action de la BCE est de faire baisser l’euro face au dollar afin de donner de l’oxygène à l’économie européenne. Or, la BCE semble avoir fait passer cet objectif au second plan.

Pourtant, dans un monde sans croissance, la seule manière d’améliorer sa position est de prendre des parts de marché au voisin, en l’occurrence la zone dollar. La remontée de l’euro jeudi est donc une mauvaise nouvelle économique pour l’Europe, et cela explique que les Bourses du Vieux Continent aient plongé dans le rouge. Certes, on s’attend à ce que la Federal Reserve américaine annonce le 16 décembre un petit relèvement de ses taux. Mais cette hausse est déjà dans le cours du dollar. Et dans le match euro-dollar, la BCE a marqué contre son camp ce jeudi.

3. La BCE souffre d’une perte de crédibilité

Dans le Wall Street Journal jeudi soir, un opérateur de marché indiquait que la réputation de la BCE “d’être une institution qui comprenait le marché et avait la capacité de battre ses attentes avait été fortement écornée”. Pourquoi ? Parce que la BCE aurait dû se rendre compte qu’en nourrissant l’espoir d’une action forte, la moindre déception est exacerbée et conduit à des réactions très négatives.

L’économiste français Patrick Artus (Natixis) expliquait voici quelques jours que les banques centrales sont tombées dans un piège qui les oblige à faire toujours plus et “à mettre en place les politiques monétaires que les marchés financiers anticipent, sous peine de ‘décevoir’ les investisseurs et de déclencher une forte correction des marchés financiers”. Si les marchés “anticipent et valorisent une politique monétaire de plus en plus expansionniste, en raison des signaux donnés par les banques centrales, celles-ci sont forcées de faire ce que les marchés financiers attendent”, estime-t-il.

Pour avoir tenté de faire un peu moins, la BCE a donc été sanctionnée cette semaine.

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