Olivier Mouton

L’urgence de ressouder une société fragmentée

Olivier Mouton Chef news

L’enjeu est démocratique. Il s’agit de préserver la crédibilité de notre système, ni plus, ni moins.

“C’est la première fois que nous menons une mobilisation qui n’est pas contre les entreprises ou contre une décision gouvernementale inacceptable. Nous exprimons notre inquiétude face à une situation difficile et extrêmement inégalitaire.” Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC, resitue de la sorte la grève qui a paralysé le pays, ce 9 novembre. Et d’ajouter: “Notre grand défi consiste à faire en sorte que tout le monde reste à bord dans la situation actuelle, ce qui est loin d’être évident”. Face à cela, tant les syndicats que les pouvoirs publics ou les organisations patronales sont désarçonnés. Avec le risque de ne plus représenter tout le monde ou d’apporter les mauvaises réponses aux urgences de l’heure. Or, c’est vital alors que le désoeuvrement est grand…

La société est plus fragmentée que jamais. La crise de l’énergie n’a pas le même impact selon la situation familiale, que l’on dispose ou non de panneaux photovoltaïques, que la maison soit isolée ou pas… Les entreprises, elles aussi, connaissent des réalités très différentes entre celles qui accumulent des marges plantureuses et celles qui tirent la langue à cause du prix de l’énergie, celles qui se félicitent de l’indexation des salaires car elle maintient le pouvoir d’achat et celles qui craignent ce tsunami de charges au début 2023. Oui, la marmite sociale bout, la majorité des acteurs sociaux le reconnaissent, mais dans un contexte rendu plus difficile encore par les antagonismes et les polarisations. On peine, aujourd’hui, à faire société.

“Les citoyens ont des demandes contradictoires, résume Min Reuchamps, politologue à l’UCLouvain. Ils expriment un besoin de protection de la part de l’Etat… mais avec de moins en moins d’envie d’y contribuer. A côté de cela, certains attendent une démarche plus radicale, un changement de système. La réponse politique à court terme aux crises qui se succèdent n’est déjà pas simple, elle est encore plus complexe à long terme.” Chacun, en tant que citoyen ou en tant qu’acteur de la vie économique, nous ressentons cette contradiction au fond de nous. Vertigineuse.

Voilà pourquoi la réponse à ce malaise est complexe, alors que les crises se succèdent, génèrent une pression forte et nécessitent de changer fondamentalement ses comportements en un temps record. C’est, somme toute, l’urgence de la lutte contre le changement climatique matérialisée, exacerbée par la guerre menée par la Russie en Ukraine.

Une certitude: ce ne sont pas des chèques pour diminuer légèrement la facture d’énergie ou des reports de charges qui vont résoudre la situation. Le contexte explosif du moment nécessitera, une fois rencontrée l’inquiétude directe de cet hiver, des réformes en profondeur ou des solidarités réinventées. Voilà pourquoi tout doit être fait afin que la réforme fiscale voie le jour avant la fin de cette législature, avec des charges moins importantes sur le travail et une justice plus grande. Voilà pourquoi les discussions en profondeur sur les mécanismes de fixation des prix de l’énergie et l’avenir du mix énergétique belge ne peuvent traîner en longueur. Voilà pourquoi il faut ré-for-mer!

L’enjeu est démocratique. Il s’agit de préserver la crédibilité de notre système, ni plus, ni moins. “Le grand risque, c’est qu’il n’y ait plus de collectif, mais un ensemble d’individualités, conclut Marie-Hélène Ska. La conséquence pourrait être que chacun se crée un monde fantasmé comme on le voit déjà dans un grand nombre de pays européens.” Attention, le populisme se nourrit du manque de courage politique.

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