“L’indexation automatique des salaires est un tabou, explosif pour la Vivaldi”

Alexander De Croo (Premier ministre, Open VLD), Vincent Van Peteghem (Finances, CD&V) et Pierre-Yves Dermagne (PS, Economie et Emploi). © Belga
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

N’en déplaise aux entreprises, il n’y a guère de chance que le système soit revu avec la majorité fédérale actuelle, estime Jean Faniel (Crisp). Le bras de fer patronat – syndicats se fera sur une portion de plus en plus congrue.

L’indexation automatique des salaires, spécificité belge, est dans le collimateur des organisations patronales en cette période inflationniste sans précédent depuis 1983. Le système pourrait-il être revu ? Jean Faniel, directeur général du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques), balise le débat pour Trends Tendances.

L’indexation automatique des salaires est sous pression…

C’est un débat récurrent et il serait évidemment étonnant que ce ne soit pas le cas alors que l’on retrouve un niveau d’inflation important.

Il faut tout d’abord rappeler que c’est un tabou syndical, un acquis social de cent ans qu’ils veulent défendre à tout prix, et donc, une sorte de poil à gratter ou de chantage classique du patronat. Dans les interviews de Pieter Timmermans, administrateur délégué de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), cela revient comme une menace régulière.

Dans le champ politique, les partis de droite – libéraux et N-VA – sont également favorables à la fin de l’indexation automatique des salaires ou du moins à une révision du système. Pour les socialistes, c’est inacceptable d’y toucher, d’autant plus qu’il s’agit d’un des derniers liens forts avec les syndicats.

Il y a donc peu de chance que le système soit revu dans la configuration actuelle de la majorité fédérale, avec les sept partis de la Vivaldi. La dernière fois qu’il y a eu un saut d’index, c’était en 2015 sous le gouvernement Michel sans le PS. Avant cela, plusieurs sauts d’index avaient eu lieu dans la première partie des années 1980, sous Martens V.

Au-delà du saut d’index, que les organisations patronales appelaient de leurs voeux avant de se rétracter, une réforme du système est-elle envisageable ?

Là non plus, ce n’est pas un débat nouveau. Je me souviens notamment que Didier Reynders (MR), alors ministre fédéral, avait affirmé que cela n’avait pas de sens d’augmenter les hauts salaires de la même manière, ce qui rendrait la mesure plus sociale. Mais je me souviens aussi de la réponse de Thierry Bodson, qui était encore secrétaire général de la FGTB wallonne, affirmant que les recettes de l’Etat en pâtiraient parce que cela réduirait les impôts et les cotisations sociales.

Pour élargir le débat, il est intéressant de voir comment cela se passe ailleurs, la Belgique étant un des rares pays à avoir un tel système d’indexation automatique : cela se fait avec davantage de soubresauts, moins d’harmonie. Ce système est quand même de nature à garantir assez largement la paix sociale.

Mais à force de répéter cette volonté de revoir le système, cela place les syndicats dans une position défensive car ils sont contraints de tout faire pour défendre cet acquis social auquel ils tiennent.

Cela modifie le bras de fer entre partenaires sociaux ?

Ce bras de fer s’est avant tout joué, ces dernières années, sur la portion congrue de ce qui peut être négocié en terme d’augmentation salariale.

Pour rappel, ces augmentations possibles sont de trois types. La première est l’indexation automatique dont on parle : c’est en réalité une forme de rattrapage par rapport à l’inflation. La deuxième, ce sont les hausses barémiques au sein des secteurs via les barèmes et l’ancienneté, qui est une manière de saluer l’expérience.

La troisième est celle où se joue réellement ce bras de fer entre patronat et syndicats, c’est la norme salariale négociée tous les deux ans dans ce cadre de l’accord interprofessionnel. La dernière fois, les syndicats avaient dû se contenter d’une hausse de 0,4%.

La prochaine fois, avec des salaires qui auront déjà augmenté de 6 à 9% avec l’inflation – on n’a pas encore de visibilité là-dessus -, il est fort probable que la norme salariale soit nulle étant donné qu’elle est calculée en vertu de la loi de 1996, modifiée en 2017, qui se base sur les pays voisins – Allemagne, France, Pays-Bas – où l’inflation ne sera intégrée dans l’évolution salariale qu’avec un temps de retard.

Le bras de fer entre patronat et syndicats se fera donc sur une portion de plus en plus réduite.

Ce débat sur l’indexation ou sur une révision de la loi de 1996 est-il explosif pour la Vivaldi ?

C’est explosif avec la coalition actuelle, en effet.

Le PS ne va pas lâcher l’indexation automatique, c’est une évidence, s’il ne veut pas se mettre complètement en décalage avec les syndicats. Mais même le Premier ministre, Alexander De Croo (Open VLD), a dit qu’il n’était pas question de négocier un saut d’index. C’est donc un tabou auquel on ne peut pas toucher pour le moment, même si cette position pourrait induire d’éventuelles concessions dans d’autres dossiers. Le PS et Ecolo ont par ailleurs accepté dans la déclaration gouvernementale que l’on ne touche pas à cette loi de 1996 revisitée.

Il est surprenant, par contre, que l’on ne mette pas plus en avant aujourd’hui le débat sur les sources de l’inflation actuelle. A d’autres époques de l’histoire, notamment dans les années 1950, la FGTB d’André Renard avait par exemple réclamé une nationalisation du secteur de l’énergie.

La FEB demande, quant à elle, des mesures pour éviter une nouvelle cure d’austérité, si on ne fait rien…

C’est là aussi une rengaine du patronat. La FEB est dans son rôle en demandant cela. Les entreprises ont besoin de prévisibilité au moment de clôturer leurs chiffres de 2021 et de préparer ceux de 2022, et il y a peu de visibilité. Mais il est précisément difficile de négocier un grand accord social en n’ayant pas cette visibilité sur l’évolution de l’inflation que l’on annonçait transitoire et qui est visiblement partie pour durer, sur fond de guerre en Ukraine.

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