Jean-Michel De Waele: “Le monde du sport reste d’un cynisme sans nom”

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Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le professeur de l’ULB exprime son indignation au sujet de la Coupe du monde au Qatar et ne pense pas qu’un tel événement pourra améliorer les choses. Il critique aussi vivement la Fédération belge.

Jean-Michel De Waele, professeur de sciences politique à l’ULB et spécialiste du sport sous l’angle sociologique, politique ou économique, est actuellement en mission au Burundi. Trends tendances l’a interrogé au sujet de cette Coupe du monde au Qatar qui débute dimanche dans un contexte très particulier.

Allez-vous regarder la Coupe du monde au Qatar?

Je n’ai en tout cas pas envie de regarder ce truc comme je le ferais pour une Coupe du monde classique. Comme je suis au Burundi, j’irai dans les cafés voir comment les Burundais vivent ce moment, voir leur réaction face à la Belgique ou voir s’ils soutiennent les autres pays africains. Ce qui est sûr, c’est qu’ils se foutent du fait que cela se passe au Qatar. Le discours sur les droits de l’homme est très occidental.

Vous ne regarderez pas ce “truc”, cela signifie que votre indignation reste grande sur l’octroi de la Coupe au Qatar?

Evidemment. Tout reste d’un cynisme sans nom: des déclarations de la FIFA, les faux supporters recrutés pour l’occasion… Le Qatar a payé des gens pour dire que tout se passe bien, Zidane en est l’ambassadeur, mais je n’en peux plus de ce discours selon lequel cette Coupe du monde au Qatar permettra d’induire des progrès là-bas.

Vous n’y croyez pas?

Y’a-t-il eu des progrès en Chine après les Jeux olympiques? Et en Russie après la Coupe du monde de 2018? Franchement, y’a-t-il jamais eu un événement sportif qui ait permis à un régime de s’ouvrir? OK, au Qatar, on a amélioré un peu les conditions des travailleurs sous la pression, mais une fois les lampions de la fête éteints, ce sera terminé.

Mon seul espoir, c’est que certaines équipes ou certains joueurs expriment leur indignation. Pour le reste, quand je vois le président français Emmanuel Macron dire qu’il faut séparer sport et politique, alors qu’il a surfé à plein sur la victoire de la France en Russie…

Oui, c’est chouette qu’il y ait une réaction citoyenne, mais cela vient bien tard. Le monde du sport, lui, est très décevant. Cela dit, avec les blessés, le temps maussade de l’automne, je n’ai pas l’impression que ce sera une Coupe du monde festive, si?

L’atmosphère est en tout cas curieuse en Belgique…

Il faut dire qu’ils n’en ratent pas une. Quand je vois que la Belgique va faire son match de préparation au Koweït, où la situation n’est guère meilleure qu’au Qatar, face à l’Egypte du président Al-Sissi! On aurait quand même pu trouver une autre idée pour un match amical dont le but n’est que de donner du temps de jeu à Hazard, si j’ai bien vu, un adversaire comme la Tunisie par exemple. La Fédération belge aurait pu faire un effort!

C’est un aveuglement coupable?

Oui. On a l’impression que quoi qu’il se passe, que malgré les scandales, le monde du sport ne change pas, il ne se remet pas en question. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, décalé par rapport aux valeurs du 21e siècle. Je suis conscient que nous, occidentaux, sommes peut-être les seuls à les défendre, mais cela ne doit pas nous empêcher de les défendre.

On voit, avec la guerre en Ukraine, que cela n’est pas simple de rallier le reste du monde…

Je le vois bien ici, au Burundi. Nous sommes à vingt ou trente kilomètres de la frontière du Congo. Comment voulez-vous défendre le discours occidental en ce qui concerne l’Ukraine alors qu’il y a 5 ou 6 millions de morts au Congo depuis vingt ans, que les combats reprennent à l’Est, que Goma est menacée… il y a évidemment le sentiment qu’il y a deux poids, deux mesures.

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