Georges-Louis Bouchez (président du MR): “Les entreprises doivent être davantage décomplexées”
Le président libéral insiste sur la nécessité de mettre les thématiques entrepreneuriales à la tête de l’agenda politique francophone et s’en prend vivement au lobbying de gauche. Entretien sans filtre.
Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, revendique la nomination par son parti du multi-entrepreneur Pierre Rion à la tête du conseil d’administration du nouvel invest issu de la fusion de la Sogepa, de la Sowalfin et de la SRIW. Il en profite pour passer un message plus large
TRENDS-TENDANCES. Cette nomination de Pierre Rion s’inscrit-elle dans une stratégie délibérée?
GEORGES-LOUIS BOUCHEZ. Clairement! Le débat public en Wallonie devrait tourner davantage autour des demandes et des besoins des entrepreneurs. Il y a aujourd’hui un déséquilibre entre les nombreuses expressions syndicales, associatives, non marchandes, et celles, trop peu nombreuses, des entreprises. Cela contraste avec la mise à l’agenda par le patronat flamand de toute une série de dossiers. Les patrons wallons sont très conscients des réformes nécessaires pour la Wallonie mais leur voix reste trop figée dans un rapport classique de partenaires sociaux. On n’impose pas assez à l’agenda des thématiques en matière d’emploi, de charges sociales, d’organisation… C’est peut-être la conséquence d’une forme de fatalisme au sein du patronat. Il faut changer cela.
Pierre Rion pourrait-il être emblématique de cette évolution?
Pierre est en tout cas là pour porter la voix du réalisme économique. On aurait pu désigner à cette fonction un “cabinettard” ou un fonctionnaire, mais on a choisi de travailler sans filtre avec quelqu’un qui vient avec toute son expertise et son expérience. J’invite tous les patrons autour de lui à s’engager pour les réformes et les choix stratégiques que cet organe est amené à poser, en veillant à ce qui est bon pour la Wallonie. Il faudra le faire de façon décomplexée. Le nombre de fois où des patrons me disent qu’ils ont accepté quelque chose d’absurde à leurs yeux parce que cela calmait les syndicats… Il faut arrêter cette logique! La Wallonie a plus que jamais besoin de ses entrepreneurs et de ses investisseurs. Pour la réformer, il faut qu’ils s’engagent plus massivement dans le débat public.
Plus les entrepreneurs seront présents dans le débat public, plus ils pourront influencer la manière dont on aborde la réalité.
Cela passe par des relais politiques?
Pas uniquement. Il faut qu’il y ait une conscientisation de l’opinion publique. On doit davantage faire passer l’idée en Wallonie que l’entrepreneur, ce n’est pas l’ennemi mais, au contraire, celui qui tire la charrue, qui donne l’emploi, qui crée l’activité. C’est un travail à mener de la part des politiques – et je pense qu’on le fait du côté du MR – mais aussi du côté des entrepreneurs eux-mêmes.
Chaque fois que je visite une entreprise, on me donne le nombre d’emplois, le volume d’activité, mais jamais le volume des impôts payés, le nombre de familles qui vivent grâce à cette activité. On a un vrai devoir de pédagogie pour expliquer qu’une entreprise permet de financer toute une série de services publics, d’aides sociales, de solidarités, d’activités culturelles, etc. Les organisations patronales wallonnes ne devraient pas hésiter à imposer les thèmes à l’agenda comme on peut le voir du côté du Voka en Flandre.
Le Voka, représentant du patronat en Flandre, est-il une source d’inspiration, y compris dans ses liens avec la N-VA?
Le Voka s’est imposé comme la référence de la capacité des entrepreneurs à imposer leurs thématiques. Cela doit être notre échelle de référence en tant qu’études, d’organisation de rencontres, de relais médiatiques… Je sens qu’il y a vraiment quelque chose qui bouge à l’Union wallonne des entreprises et à l’Union des classes moyennes. Je vois aussi beaucoup de jeunes entrepreneurs qui sont déterminés à ne pas se laisser manger à n’importe quelle sauce. Et c’est fondamental. Il y a deux enjeux majeurs en Wallonie. Le premier, c’est changer de mentalité. Et cela passe par le discours. Plus les entrepreneurs seront présents dans le débat public, plus ils pourront influencer la manière dont on aborde la réalité. Le deuxième enjeu, c’est la question de la capitalisation des entreprises. Il ne faut pas chercher pendant mille ans la grande différence entre la Flandre et la Wallonie: nous avons moins de capital wallon.
La grande idée de Jean-Claude Marcourt, à l’époque, avait été de créer une banque wallonne. Cela a été un four monumental, cela ne sert à rien. Il faut trouver des mécanismes pour mobiliser de l’argent wallon au service de la Wallonie, avec des incitants, mais il faut aussi attirer de l’argent flamand. Les intercommunales wallonnes, les start-up, les universités doivent aller beaucoup plus du côté flamand pour aller chercher des moyens au nord du pays, où le capital familial est important. L’installation de Legoland en Wallonie, tout le monde se réjouit d’un tel investissement, mais on se remet exactement dans le même schéma qu’avec Caterpillar. Notre avenir économique devrait dépendre d’une part plus importante de capital propre, wallon et belge.
Concrètement, quels débats devraient encore être mis à l’agenda, selon vous?
La question de l’activation des demandeurs d’emploi et des métiers en pénurie, par exemple, n’est pas suffisamment prise en compte dans le débat public et les réformes envisagées. On la prend comme une fatalité. Il y a pourtant là une possibilité pour les organisations patronales d’être au coeur de l’action. Pour l’instant, certains partis n’écoutent que la voix des syndicats nous disant que tout le monde est malheureux ou que tout le monde est une victime. C’est un vrai souci. Pour le dire platement, quand une entreprise constate qu’elle ne va pas pouvoir respecter son carnet de commandes parce qu’elle n’a pas assez de personnel, cela ne trouble personne. Par contre, s’il y a le témoignage d’une personne en difficulté sociale au journal de RTL-TVi, c’est tout de suite la grande mobilisation et tout le monde se met en marche. OK, c’est normal de le faire. Mais il est anormal que quand une entreprise tire la sonnette d’alarme, cela n’interpelle que le MR. La politique doit arrêter de voir son action uniquement par le prisme de la victime qu’il faut protéger. Il a aussi des acteurs que l’on doit aider à se déployer.
C’est un problème de culture politique?
Oui, en raison de la surreprésentation du monde associatif et syndical. Il faut arrêter de laisser le monde médiatique à leur merci. Quand le non marchand manifeste à Namur, on en parle toute la journée, ils sont reçus toute la journée et 10 jours après, on va dégager 50 millions pour aider le secteur. Ce n’est pas de la fiction, c’est arrivé il y a quelques mois en Wallonie. J’aimerais que quand le matin, l’Union wallonne des entreprises exprime son inquiétude pour trouver des travailleurs et son désir de modifier le fonctionnement du Forem ou d’accélérer l’octroi de permis, il y ait la même hauteur de prise en considération de l’enjeu. Objectivement, ce n’est pas le cas. Et c’est même pire que ça: parfois, même dans le monde patronal, on se retient de dire des choses parce que l’on a peur des réactions syndicales ou de certains partis de gauche. Au nom de tout cela, les entreprises se brident.
Il est anormal que quand une entreprise tire la sonnette d’alarme, cela n’interpelle que le MR.
Alors qu’elles devraient s’engager davantage dans le débat public?
Il y a un élément à ne pas oublier: quand vous êtes patron, vous travaillez. Je ne veux être méchant avec personne mais les gens de droite, généralement, ils bossent. A gauche, on a plein d’associations payées par l’argent public pour revendiquer. C’est ça, la différence! Nous, nous n’avons pas des dizaines d’associations qui s’offusquent du matin au soir, des professionnels de l’indignation qui reçoivent des porte-avions d’argent public juste pour militer du matin au soir. Il y a tout de même un problème sociologique en Wallonie: seuls 41% des personnes qui travaillent le font pour le secteur privé. Les gens qui pensent comme nous, c’est-à-dire ceux qui font tourner ce pays, sont trop occupés pour aller dans la gazette du matin au soir afin de revendiquer, et ils n’ont pas le temps d’aller devant le parlement de Wallonie. Cet obstacle est une réalité mais je les invite, dans le même temps, à se décomplexer.
Le MR a besoin de relais supplémentaires?
Il faut que le tissu sociétal soit mieux représenté. L’espace public actuel, c’est 90 à 95% de gauche. Or, l’opinion publique, sur toute une série de sujets, est à 60% d’accord avec des idées de droite comme la limitation des allocations de chômage dans le temps, la prolongation du nucléaire, la baisse de la fiscalité… Il y a une inversion des sujets qui sont en haut de l’agenda par rapport au ressenti populaire. La gauche, avec toute une série de satellites, neutralise une grande partie du débat en faisant monter des sujets, en donnant une place démesurée à certaines thématiques plus anecdotiques comme des droits spécifiques de certaines minorités. Se rend-on compte comment la gauche a réussi à saturer le débat sur le débat colonial alors qu’il n’y a personne, ni au Congo, ni en Belgique, qui en a quelque chose à faire? Déboulonner des statues, tout le monde s’en fout, mais il faudra faire le bilan de la place que cela a pris dans les médias. Même chose pour des droits spécifiques pour des minorités que personne ne réclame: personne ne me dit en rue qu’il faudrait une troisième toilette pour des transgenres… Dans le cadre du débat sur l’Accord interprofessionnel, on fait passer l’idée que les patrons s’enrichissent, qu’ils pourraient donner davantage au personnel. Moi, ce que l’on me dit beaucoup plus, c’est qu’il faudrait baisser les impôts parce que les gens voient bien ce qu’ils doivent payer à l’Etat. Il faut cesser de se laisser intimider par l’accaparement du débat public par une certaine gauche. Oui, nous devrions mener des campagnes d’information pour valoriser le travail des entreprises en Wallonie et leur bilan. On pourrait mener des road shows dans les écoles. Il y a un besoin de modifier les mentalités. Aujourd’hui, quand un ministre reçoit une entreprise, on appelle ça du lobbying. Mais quand on reçoit Greenpeace, on appelle ça la société civile, le camp du bien. Ah bon? Et un entrepreneur, ce n’est pas la société civile? En fait, certains partis ne devraient même plus avoir de dotation parce qu’ils ont plein de structures proches ou annexes qui font leur boulot. Quand vous êtes socialiste, vous avez la FGTB, Solidaris… En tant qu’écologistes, vous avez Inter-Environnement, Greenpeace, des activistes, le WWF…
Faut-il moins financer ces structures?
Je le crois, oui. Il y a un problème philosophique à considérer que la moindre personne qui défend la moindre cause puisse automatiquement recevoir des subsides qui couvrent 80, 90 ou 100% de ses besoins. Dans les pays anglo-saxons, les structures associatives sont plus développées que chez nous, elles sont souvent mieux dotées, mais elles le sont moins par l’argent public. Il y a un tri à faire. Je reste quand même très dubitatif quand des structures financées par l’Etat passent leurs journées à intenter des procès à l’Etat. Des gouvernements octroient des permis et financent des associations qui les contestent pour que la justice condamne le gouvernement qui a payé l’adversaire à leur payer des indemnités. C’est quand même bizarre, non? Il arrive un moment où on peut quand même réfléchir au volume que l’on consacre à financer ses propres contestations. Il y a de l’ordre à remettre: transparence au niveau des syndicats, ne plus confier des missions publiques aux syndicats, comme le payement des allocations de chômage, créer des incitants au niveau des mutuelles pour le nombre de gens remis au travail… Plus généralement, il y a un débat à mener sur le fait de savoir si l’Etat a besoin de structures pour gérer les prestations sociales avec son propre argent.
Ce débat est une cause perdue, non?
Non, je pense qu’en 2024, ce sera un enjeu. C’est une cause perdue parce qu’on ne l’a jamais portée. Mais on ne saura pas réformer ce pays en maintenant dans les lieux de décision des structures qui n’ont aucun intérêt au changement. Le pays ne peut pas être bloqué parce que des gens bloquent ces réformes parce qu’ils trouvent le modèle actuel confortable. Si demain, les syndicats ne payent plus les allocations de chômage et qu’ils ne sont plus dans les organes paritaires, vous ne pensez pas que leur nombre d’affiliés va s’effondrer? Et si les salaires augmentent automatiquement avec l’indexation, il ne faut plus se battre: à quoi serviront-ils encore? Le syndicalisme belge – et wallon en particulier – deviendra comme le syndicalisme français: il reposera sur la liberté d’association, sans intérêt particulier, juste pour la défense de convictions. En tant que libéral, j’y suis favorable. C’est un enjeu fondamental. Tant qu’il y aura une gestion paritaire au Forem, les réformes nécessaires à cette institution seront compliquées. Or, le Forem, c’est 1,2 milliard d’argent public, cela ne doit être géré que par le politique.
Pourriez-vous avoir des alliés sur ces questions?
Notre meilleur allié, c’est la population et le soutien populaire. Si ce n’est pas le cas, nous, les libéraux, pouvons rester à la maison.
Profil
· 1986: naissance à Frameries
· 2009: diplômé en droit public de l’ULB
· 2014 -2016: député wallon
· 2019: président du MR
La stratégie “populaire” du MR
Georges-Louis Bouchez, président du MR, ne cesse de flirter avec les limites dans ses sorties médiatiques. De plus en plus, il dérange les centristes ou sidère carrément à gauche. Une question de génération dans le ton, mais un choix conscient sur le fond. Il imprime au parti une stratégie de droite “populaire” (ne dites pas “populiste”, précise son entourage) qui vise à toucher les dégoûtés de la politique ou ceux qui seraient tentés par les extrêmes. Il s’agit aussi de mettre à l’agenda des questions qui fâchent ou de soutenir des causes politiquement incorrectes. De bousculer pour initier les réformes nécessaires à la Belgique et, singulièrement, à la Wallonie. Jusqu’au sein de son parti, il met de côté les principes. Chaque soir, ce feu follet visite des sections locales pour faire passer ses idées et les imposer aux cadres dès le moment où elles passent la rampe. Après quelques crises internes sévères, il a aussi renforcé son assise avec la nomination d’Adrien Dolimont au ministère wallon du Budget.
Stratégiquement, Bouchez espère élargir les bases du MR: au vu des sondages, cela semble davantage fonctionner à Bruxelles (où le parti est dans l’opposition) qu’en Wallonie. L’option “populaire”, musclée aussi en matière de sécurité, entend tailler des croupières au PTB. Mais la stratégie revêt une autre facette: omniprésent en Flandre où il devient un bekende Waal, le président du MR veut se rendre incontournable auprès du patronat flamand. Objectif? Devenir un partenaire obligé de la N-VA alors que Bart De Wever garde une rancune tenace après avoir été écarté du pouvoir en 2020. Le bourgmestre d’Anvers pourrait être tenté par une nouvelle négociation avec le PS. Le libéral francophone, lui, met davantage le cap sur une coalition le plus à droite possible en 2024. Un peu en mode: ça passe ou ça casse.
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