Frédéric Jacquet, CEO ad interim de Liège Airport: “L’emploi est aussi un critère de bien-être”

Frédéric Jacquet © PG / KOLORSPROD
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

2021 sera à la fois une année de croissance et de turbulences pour l’aéroport de Liège. Sa gouvernance est scrutée par Deloitte, et il doit faire accepter son projet de développement par des riverains de plus en plus nerveux. Promettre des emplois sera-t-il suffisant?

Liege Airport a beau être un aéroport en croissance grâce à sa spécialisation dans le fret, la vie n’y est pas forcément facile. Certes, pendant que tous ses confrères souffrent de la chute du trafic des passagers, l’opérateur continue de progresser: presque +40% pour ces trois premiers mois de 2021, alors qu’il avait déjà dépassé 1,1 million de tonnes (+24%) en 2020. Il pourrait atteindre 1,6 million cette année.

Mais il y a des turbulences. Son premier client, FedEx, a annoncé une forte réduction de ses activités d’ici 2022. C’est la conséquence du rachat par FedEx de TNT Express, dont le hub est basé à Bierset. Le groupe américain souhaite en effet concentrer ses activités européennes à Paris, laissant à l’aéroprt liégeois un statut de hub secondaire. Les effectifs, de 1.800 personnes, pourraient donc fondre d’un tiers. Et les vols, de 70%.

L’autre choc est la mise à l’écart du CEO Luc Partoune en février, prononcée par le conseil d’administration de l’aéroport. Ce conseil, qui a été entièrement renouvelé l’an dernier, a décidé de passer au scanner la gestion de Liege Airport, confiant au consultant Deloitte une mission “Forensic” (un audit de crise), toujours en cours.

Les nouveaux administrateurs ont voulu en finir au plus vite avec certaines habitudes et revoir la gouvernance, au risque de créer un mauvais buzz autour de l’aéroport. “Les membres du personnel ont été meurtris par ce qu’ils ont pu enten-dre ou lire”, reconnaît Frédéric Jacquet, directeur général adjoint, nommé ad interim au poste de CEO. Depuis, l’entreprise a déjà opéré quelques ajustements. Mais les résultats finaux de l’étude Forensic seront examinés en juillet à une réunion du conseil d’administration. “En principe, on devrait alors avoir une décision sur le nouveau CEO”, poursuit Frédéric Jacquet. La nouvelle organisation de Liege Airport devrait ensuite être plus claire.

Ce n’est pas parce que l’on a le soutien du monde politique qu’on ne doit pas se remettre en question sur certaines de nos pratiques.

Frédéric Jacquet, candidat?

En attendant, l’intérimaire fait avancer les dossiers. Cet ancien directeur de cabinet du ministre de tutelle des aéroports wallons, Jean-Luc Crucke, avait été recruté par Luc Partoune pour renforcer le management. Il fera sans doute partie des candidats pour le poste. “J’espère être en mesure de présenter un projet”, confirme Frédéric Jacquet. Un chasseur de tête, récemment nommé, proposera une liste de noms.

L’enjeu est évidemment l’avenir à la fois proche et lointain de l’aéroport. Liege Airport est en campagne pour obtenir le renouvellement de son permis d’environnement (et donc d’exploitation), décision qui doit être prise d’ici la fin 2022. Cette phase implique de présenter aux élus et aux populations riveraines les grandes lignes du développement de la plateforme, qui mise sur un doublement du fret, au-delà des 2 millions de tonnes à l’horizon 2040. Et promet 7.400 emplois supplémentaires, directs et indirects, pour un total de 16.600 postes. Ces chiffres figurent dans un plan adopté en décembre par le conseil d’administration de Liege Airport, Vision 2040, celui-ci incluant aussi un développement immobilier considérable (200 hectares), pour attirer des entreprises ( lire l’encadré).

On voit mal l’exécutif wallon refuser le renouvellement d’un permis à un aéroport dont elle est un actionnaire important (*), qu’elle subsidie en raison de son rôle économique majeur. Il faut cependant tenir compte des riverains et des élus locaux, qui réagissent de plus en plus bruyamment aux nuisances de l’aéroport: bruit des avions ou trafic des camions.

Frédéric Jacquet en est très conscient: “L’aéroport est un pôle de développement, il n’y en a pas beaucoup d’autres de cette ampleur dans la région. Toute la subtilité, dans les mois et années à venir, sera de trouver le point d’équilibre entre ce développement et les questions de bien-être, qui sont essentielles”.

Jusqu’ici, les autorités régionales ont géré l’impact environnemental des aéroports wallons avec un dispositif de rachats de maisons et de subsidiation de l’isolation phonique sur les zones les plus bruyantes, dans le cadre du PEB (Plan d’exposition au bruit). Celui-ci coûte plus de 15 millions d’euros par an à la Région. “Tous les trois ans, il y a une révision de ce PEB, qui désigne les zones qui ont accès aux indemnisations”, rappelle Frédéric Jacquet. Ce dossier environnemental n’est pas géré par les aéroports mais par la Sowaer (Société wallonne des aéroports, propriété de la Région). C’est elle qui possède en fait l’infrastructure aéroportuaire, “louée” à des sociétés de gestion: Liege Airport à Bierset, et Brussels South Charleroi Airport à Gosselies. La Sowaer assure cette mission pour le compte et avec des fonds de la Région.

L’aéroport de demain

A quoi pourrait ressembler Liege Airport dans 20 ans? Le plan Vision 2040 le voit s’agrandir vers le nord des pistes. Jusqu’à présent, il s’est surtout étendu au sud, le long de l’autoroute de Wallonie, qui limite son déploiement. C’est là que sont situés l’aérogare passagers et le centre de tri FedEx TNT. Mais il y a nettement plus d’espace utilisable au nord, notamment pour y garer et traiter des avions. Liege Airport a d’ailleurs commencé à s’y développer. C’est là que l’on construit le bâtiment de Cainao (Alibaba).

Cette implantation accroîtra fortement les capacités du site. Le fret traité par Liege Airport devrait doubler d’ici 2040, et dépasser les 2 millions de tonnes. L’autre grand axe est l’installation d’un parc d’entreprises, pas forcément liées à la logistique, sur 200 hectares.

Le budget d’investissement de tous ces développements atteint les 590 millions d’euros. Un budget que Liege Airport assure pouvoir financer seul, directement ou indirectement, sans subsides ni augmentation de capital.

Frédéric Jacquet, CEO ad interim de Liège Airport:
© PG

La crainte du retournement

Frédéric Jacquet se rend bien compte que ce dispositif ne suffit pas, malgré un soutien assez général du monde politique wallon, et qu’il faut aussi chercher à rassurer et convaincre les riverains. “Ce n’est pas parce que l’on a le soutien du monde politique qu’on ne doit pas se remettre en question sur certaines de nos pratiques, relève-t-il. J’irai même plus loin: je suis persuadé que si l’on n’arrive pas à se remettre en question, le soutien du monde politique pourrait changer. A nous d’anticiper.”

Frédéric Jacquet est certain qu’à force d’expliquer le plan Vision 2040, il finira par convaincre et le faire accepter. D’autant que pour répondre aux élus qui se sont énervés ces dernières années, l’exécutif wallon a mis en place un comité d’accompagnement, une instance de dialogue entre Liege Airport, la Sowaer et les élus des 17 communes touchées par le PEB. “Nous avons souhaité que ce comité se réunisse plus souvent, tous les trimestres”, précise Frédéric Jacquet, qui propose que toutes les communes “survolées à moins de 5.000 pieds par des avions” puissent y être représentées.

Un exercice délicat car malgré la restructuration des activités de FedEx, l’aéroport vise à moyen terme une augmentation du nombre de vols. L’aéroport n’est donc pas près de renoncer à tourner la nuit. “C’est notre attractivité, l’ouverture sept jours sur sept et 24 heures sur 24”, assure le CEO ad interim. Les vols de nuit ne sont toutefois plus majoritaires, ils représentent 49% du trafic contre 70% naguère. “Et en termes de nuisances sonores, une activité de jour est moins discutable que celle de nuit.”

Pour convaincre, Frédéric Jacquet utilise un langage nouveau, qui pourrait mieux tinter aux oreilles des élus et des habitants. Il parle d’un aéroport plus attentif au sens de son activité, moins obsédé par le volume, et mettant en avant son rôle de plateforme humanitaire.

“L’enjeu, c’est que l’aéroport puisse générer du sens, et ce n’est pas seulement une formule. J’ai parlé de ‘village pharma’ par exemple. C’est la grande différence entre l’aéroport d’aujourd’hui et celui d’il y a cinq ou dix ans: on est arrivé à un tel niveau qu’on pourra avoir le luxe d’effectuer des choix, de ne pas faire du remplissage. Demain, une tonne ne vaudra pas forcément une tonne.”

Ces perspectives dépendront en partie des projets immobiliers qui vont permettre de diversifier les ressources de Liege Airport dans quelques années. Il semble toutefois difficile de revenir en arrière sur les tendances dont profite l’aéroport, surtout l’e-commerce. “En 2017, nous avons traité 385.000 colis liés à l’e-commerce ; l’an dernier, c’était plus de 540 millions de colis!” indique Frédéric Jacquet. L’arrivée d’Alibaba confirme cette tendance. “On est sur une lame de fond. On peut la contester, mais elle est là. Et l’e-commerce, c’est 30% de B-to-C, 70% de B-to-B.”

Nouvelles contestations

Tout cela sera du reste évalué par l’étude d’incidence, qu’un bureau indépendant mène en préparation du renouvellement du permis d’exploitation. Après la réunion d’information (virtuelle) de février, les réactions n’ont pas manqué. “Environ 2.000 personnes se sont manifestées, sur 600.000 potentielles, détaille Frédéric Jacquet. Quatre grands thèmes sont ressortis: les nuisances sonores, les questions liées à d’autres formes de pollution, la question de la mobilité et celle de la qualité des emplois créés – un dernier point qui m’a un peu surpris.”

C’est que l’arrivée d’Alibaba a entraîné de nouvelles contestations, comme le groupe Watching Alibaba qui critique l’e-commerce lointain et remet justement en cause la qualité des emplois créés. “J’essaie d’être respectueux du point de vue des uns et des autres, réagit Frédéric Jacquet. Mais il faut qu’on puisse aussi écouter le nôtre. Nous avons aussi besoin d’emplois peu qualifiés. Il n’y a pas 80% d’universitaires ni à Liège ni en Wallonie. Et 80% des emplois vont à des habitants de la région liégeoise. L’emploi est aussi un critère de bien-être.” Et parmi les emplois créés, il y aura peut-être ceux… d’agents des services de renseignement chinois, dixit le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne, dans une réponse à une question parlementaire.

(*) L’actionnaire de contrôle de Liege Airport est NEB (Nethys Ethias Belfius), qui possède 50% des parts. Les autres actionnaires sont Aéroports de Paris (ADP), 25,6%, et la Sowaer (Région wallonne), 24,1%.

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