“François Fornieri conserve une position forte dans Mithra”
Le cofondateur de Mithra, inculpé pour délit d’initié fin avril, multiplie de façon inhabituelle les transactions boursières. François Fornieri a ainsi déjà vendu pour plus de 17 millions d’euros en actions de la biotech liégeoise en trois mois seulement. Ce comportement, curieux par son timing et ses proportions, pourrait-il s’avérer préoccupant pour “son” entreprise?
“In tempore suspecto.” Voilà la réaction que suscitent les opérations financières de François Fornieri chez certains observateurs, soulignant leur apparente incongruité. Si elle ne semble pas problématique sur le plan juridique, la situation constatée n’en reste pas moins discutable. L’entrepreneur à succès wallon, inquiété par la justice dans l’affaire Nethys mais aussi inculpé de délit boursier en avril dernier, fait preuve d’une hyperactivité qu’on ne lui connaissait pas jusqu’alors sur le marché d’actions. Depuis le 1er avril, le principal actionnaire individuel de Mithra Pharmaceuticals a réalisé une vingtaine de cessions des titres du groupe qu’il a cofondé. Soit deux fois plus de transactions en un trimestre que sur l’ensemble de l’année passée. Et ce, pour un montant cumulé s’élevant à 17,95 millions d’euros au moment d’écrire ces lignes.
Les ventes importantes d’initiés ou de grands actionnaires exercent généralement une pression négative sur le prix de l’action.
La manoeuvre de l’ancien CEO, devenu administrateur non exécutif sur fond de démêlés judiciaires, nourrit bien des interrogations. Notamment quant au potentiel de Mithra et de son action. Pourquoi se délester d’autant de parts alors que la biotech a reçu les autorisations de mise sur le marché en Europe et aux Etats-Unis de son produit phare, la pilule contraceptive Estelle (nouvelles qui ont propulsé le cours à un pic annuel de 28 euros).
Ancrage profond
Interrogé par nos soins, le groupe pharmaceutique liégeois pesant plus d’1 milliard d’euros de market cap a totalement minimisé l’anecdote boursière. “Ces ventes ne posent aucun problème à la société. Depuis le début 2021, l’action Mithra affiche une excellente performance. La vente de titres par un actionnaire fondateur est une pratique courante dans toutes les sociétés, certainement 20 ans après sa création”, insiste Maud Vanderthommen, responsable de la communication de Mithra.
Selon la direction, les paquets de titres vendus par François Fornieri n’autorisent pas de conclure qu’il prend déjà ses distances avec l’entreprise et ne reviendra plus comme CEO. “Cela n’est pas synonyme de désengagement dans le cas présent puisque M. Fornieri conserve une position forte dans le capital de Mithra, de 26,19% à ce jour contre 25,71% en juin 2020. S’il a vendu pour 17 millions d’euros d’actions, il a en parallèle investi 20 millions d’euros lors de la dernière levée de fonds en 2020”, détaille la responsable com’, conjointement avec Alychlo (société d’investissement de Marc Coucke) et Noshaq (ex-Meusinvest). Une autre particularité qui pose question car il est beaucoup moins fréquent qu’un CEO/fondateur participe à des réinvestissements en equity. “Surtout pour une somme aussi importante que 20 millions d’euros et surtout chez un émetteur qui a la capacité de s’adresser à des investisseurs tiers”, souligne l’avocat Adrien Lanotte, avocat spécialisé en droit boursier et associé du cabinet Harvest. Quoi qu’il en soit, même sans occuper de position exécutive, l’homme d’affaires resterait “profondément ancré” dans l’actionnariat de Mithra. “Il souhaite diversifier son portefeuille d’investissement tout en gardant une participation majoritaire dans Mithra”, indique encore Maud Vanderthommen.
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Effet Fornieri?
Malgré l’apparente légitimité de cette question relative à l’impact boursier, il est à noter que sur les sept analystes financiers assurant la couverture de Mithra, aucun n’a souhaité commenter cette actualité. Même interrogés plus précisément sur les éventuelles conséquences pour les fondamentaux de l’entreprise.
Les ventes importantes d’initiés ou de grands actionnaires exercent généralement une pression négative sur le prix de l’action, car elles suscitent des doutes chez les autres investisseurs quant aux raisons de la vente. On l’a vu par exemple avec les ventes récentes et répétées menées par Mark Couke avec Fagron.
Mais les actions ont tendance à rebondir techniquement une fois que l’exit semble terminée. Dans le cas de Mithra, tout dépendra de la volonté de François Fornieri de vendre davantage et de la présence d’acheteurs ayant une vision à long terme. Les 727.150 actions qu’il vient d’échanger sur le marché continu ont pu être acquises tant par des investisseurs institutionnels que retail. Ce qui ne permet pas de les identifier. Le cours a en tout cas quitté son sommet dès les premières cessions, dans une baisse épisodiquement soutenue par le deuxième cofondateur, Jean-Michel Foidart, qui a aussi vendu pour plus d’un demi-million d’euros d’actions ordinaires en avril. Au prix actuel, cela représente une correction de 15%.
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“Pas de manipulation en soi”
“Il conviendra de s’assurer que les ventes d’actions ne constituent pas une manipulation de cours. Cette possibilité semble toutefois assez théorique dans le cas d’espèce mais pourrait se matérialiser si l’objectif de l’ancien CEO est de faire baisser le cours artificiellement en vue de réinvestir massivement derrière, le cas échéant avec l’aide de partenaires”, épingle Adrien Lanotte.
Conscients qu’elle ne pourrait pas commenter un dossier individuel, secret professionnel oblige, nous avons néanmoins soumis ce cas d’école à l’Autorité des services et marchés financiers (FSMA). Compte tenu de l’inculpation récente pour délit de marché de François Fornieri, il semble intéressant de connaître le degré de surveillance ou la tenue d’une hypothétique enquête.
“Les dispositions en matière de délit d’initié ou d’abus de marché s’appliquent à toute personne de la même façon, avec des obligations spécifiques pour les dirigeants de sociétés (obligations de notification et périodes fermées). La FSMA veille au respect des dispositions légales dans tous les cas, rappelle le porte-parole Mathieu Saudoyer. Vendre de façon effective des quantités élevées de titres ne constitue pas en soi une action qui répond à la définition de manipulation. Dans le cas évoqué, la vente a en outre été réalisée en toute transparence puisqu’il y a bien eu notification et publication. Elle n’a pas été cachée au marché.”
Obligé de vendre
Enfin, François Fornieri a confié récemment dans L’Echo qu’il possédait tant de warrants que s’il les exerçait, il détiendrait plus de 30%. Ce qui l’obligerait à lancer une OPA sur Mithra. “Il est intéressant de noter que le seuil de 30% déclenchant une OPA obligatoire doit être pris en considération dans le chef de François Fornieri mais en y incluant toutes les personnes avec lesquelles il agirait de concert, c’est-à-dire celles avec lesquelles des accords (oraux ou écrits) auraient été passés en vue de concerter des achats ou des ventes de titres. Dans le cas de M. Fornieri, j’ignore si la FSMA a creusé cette piste”, nous signale Me Lanotte.
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