Fiscalité: Jean-Luc Crucke est-il encore un ministre libéral?
Parfum de crise au gouvernement wallon et au MR. Les jours du ministre wallon sont comptés. L’incomptabilité de son projet de décret avec la ligne de parti est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Il y a plus qu’un parfum de crise au sein du gouvernement wallon et au MR. Le recalage du projet de décret du ministre MR Jean-Luc Crucke pour une “fiscalité plus juste” fragilise son auteur, dont certains en interne se demandent “s’il est encore libéral”. Il bouscule une majorité wallonne ronronnante avec une ligne libérale ferme sur la fiscalité – celle qui est tenue au fédéral. Il place enfin le MR face à un choix potentiellement délicat, sur fond de divergences d’interprétation sur la séquence qui s’est déroulée ces derniers mois.
Les réunions du gouvernement wallon, jeudi, et du parti, lundi, risquent d’être chahutées. En toile de fond, la position de Jean-Luc Crucke est devenue intenable et la ligne forte imprimée par le président du MR, Georges-Louis Bouchez, devrait être confortée au sein de son parti, au sein duquel des mécontentements s’exprimeront.
De quoi parle-t-on au niveau de la fiscalité?
Le décret wallon pour une fiscalité plus juste a été recalé par les parlementaires MR après sa troisième lecture au sein du gouvernement PS-MR-Ecolo à Namur. Il est renvoyé parmi les arriérés parlementaires, autant dire aux calendes grecques. Même si le sujet reviendra jeudi sur la table du gouvernement Di Rupo – et tant le PS qu’Ecolo se disent prêts à le soutenir.
Que contient ce texte de délicat pour les libéraux? Une série de mesures qui rapportent peu – une quinzaine de millions d’euros, dit-on – mais qui sont symboliquement inspupportables pour la classe moyenne dont son président se veut le grand défenseur: augmentation des droits d’enregistrement et prolongation de la durée (de trois à cinq ans) pour les donations mobilières ou limitation de l’attrait fiscal pour une planification successorale via une assurance-vie, notamment. “On touche en réalité la grand-mère qui veut donner les moyens à son petit-fils de se lancer dans la vie”, s’étrangle un ponte libéral. Pas question, donc, de laisser passer ça. Et si cela avait été le cas, il eut été utile, à tout le moins, de compenser ces gains par d’autres mesures en faveur de la classe moyenne.
Element important pour comprendre le contexte: le débat fiscal a débuté au fédéral et la ligne du MR y est très forte: pas question d’avoir la moindre hausse d’impôt. Le projet wallon venait polluer le message, d’autant qu’aucune ligne bleue forte n’a été exprimée à Namur. Quant au positionnement de Jean-Luc Crucke: “On ne le comprend plus”, lâche un ténor.
Pourquoi la séquence des événements est-elle importante?
“C’est un règlement de compte présidentel contre Jean-Luc Crucke“, dit un autre ténor libéral. Le ministre wallon n’a pas sa langue dans sa poche et s’était déjà exprimé contre l’hyper-communication de son président, Georges-Louis Bouchez, parasitant les relations avec le PS et Ecolo. “L’incident n’aurait pas été public si Jean-Luc Crucke ne l’avait pas dévoilé lui-même”, rétorque-t-on dans l’entourage présidentiel.
Le projet de décret a bien été recalé en troisième lecture, alors qu’il était en passe d’entamer son parcours parlementaire. Des parlementaires libéraux se sont insurgés: une version affirme que c’est sous injonction présidentielle, l’autre que les députés eux-mêmes ont trouvé le texte imbuvable. En tout état de cause, précise-t-on, une réunion avait déjà eu lieu au mois de juin,en présence de Georges-Louis Bouchez et de son chef de file ministériel wallon Willy Borsus, au cours de laquelle le ton était monté et le texte avait été décalé contraire aux principes libéraux. “Rien n’a bougé depuis”, s’étrangle l’un. “Des amendements pouvaient encore être négociés”, plaide l’autre.
En dernière ligne droite, le désaccord est donc apparu au grand jour. Pour les uns, Jean-Luc Crucke n’a pas corrigé le tir et a provoqué lui-même l’incident. “Sinon, pezrsonne n’en aurait parlé.” Pour les autres, les parlementaires ont agi sous injonction du bouleverd de la Toison d’or, ce que dément le chef de file parlementaire à Namur, Jean-Paul Wahl.
En bureau du MR, cette séquence pèsera de tout son poids. “C’est une gestion de m… par le président”, entend-on d’un côté. “Jean-Luc Crucke a créé lui-même le problème et une large majorité soutient la ligne Bouchez“, dit-on de l’autre.
Pourquoi les jours de Jean-Luc Crucke sont-ils comptés?
Le ministre wallon avait lui-même laissé entendre dans un premier temps qu’il “tirerait les conclusions” de ces événements. Une façon de laisse entendre qu’il pourrait démissionner, rapidement démentie.
Ce moment délicat interne au MR survient sur un terrain miné: le bras de fer entre Georges-Louis Bouchez et Denis ducarme pour la présidence, remporté par le premier; le casting ministériel désastreux pour le gouvernement wallon, avec la volonté avortée de parachuter Denis Ducarme en remplacement de Valérie De Bue; l’encadrement supposé (mais en rien effectif) de l’hyper-président Bouchez par un G11…
Cette fois – encore… -, on devrait se compter au sein des libéraux. Sera-ce une nouvelle façon de conforter la ligne ultra-libérale de Bouchez? Si tel est le cas, la position de Crucke deviendra intenable. Soit il partira de lui-même, soit il sera désavoué davantage encore.
Par ricochet, la crise libérale rejaillit forcément sur la majorité wallonne. dès lors que le PS et Ecolo soutiennent le projet Crucke, l’interférence du président et/ou des parlementaires libéraux va provoquer une onde de choc à Namur. Longtemps ronronnant, bousculé par une sortie commune des partenaires sociaux critiquant le saupoudrage du plan de relance (suite au dossier de Trends Tendances comparant la Wallonie à la Grèce), le gouvernement Di Rupo devra se réinventer.
Un billard à trois bandes.et une séquence qui n’en est qu’à ses débuts.
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