Carte blanche

Fermer les centrales nucléaires maintenant est irresponsable

Dans les prochaines semaines, le gouvernement fédéral devra prendre la décision la plus importante de son mandat : la Belgique fermera-t-elle ou non ses centrales nucléaires ?

Toute personne qui suit son intuition ne peut que convenir que l’énergie nucléaire n’a pas d’avenir in fine en raison des déchets nucléaires. Mais ce choix de fermeture est-il judicieux ? À l’heure où tous les efforts sont faits pour réduire le réchauffement de la planète, nous devrions certainement avoir le courage de nous poser de sérieuses questions à ce sujet. En même temps, nous devons admettre qu’aucun choix n’est idéal. Mais les mauvais choix peuvent détruire notre économie et notre tissu social et empirer le dérèglement climatique.

J’écris ceci en tant qu’humain responsable, solidaire, père et investisseur de profession. Contrairement aux traders en bourse qui recherchent un profit maximal à court terme, les investisseurs doivent se préoccuper du long terme, d’autant plus qu’il s’agit de l’argent et donc de l’avenir de quelqu’un d’autre. Toute personne qui pense pouvoir faire un profit rapide aux dépens de quelqu’un d’autre devrait donc chercher une autre profession. Cela me semble très similaire à la politique. En fin de compte, les politiciens décident de l’argent et de l’avenir de chacun.

Ce qui rend la décision de fermer ou non les centrales nucléaires – avec lesquelles, pour être clair, je n’ai aucun lien – si importante, c’est qu’elle touche au coeur de notre consommation d’énergie pour les 20 prochaines années. Lorsque, il y a une vingtaine d’années, il a été décidé que les centrales nucléaires finiraient par fermer, c’était, dans le contexte de l’époque, une décision raisonnable et logique : entre 2000 et 2010, nous pensions avoir le temps de réduire nos émissions de CO2, de les remplacer par des énergies renouvelables et trouver une solution à leur intermittence. Les dix dernières années ont montré que cette hypothèse était erronée et que nous devons réduire radicalement et très rapidement les émissions de CO2 et avoir le temps de trouver la solution à l’intermittence du solaire et de l’éolien

C’est pourquoi la Commission européenne a présenté son paquet Fit-for-55, qui vise à réduire les émissions de CO2 dans l’Union européenne de 55 % d’ici à 2030, c’est-à-dire en moins de dix ans. Ce plan devrait empêcher que notre météo devienne encore plus imprévisible et extrêmes vagues de chaleur, sécheresses, tempêtes et inondations. Il est désormais clair pour tous que le défi le plus important pour l’humanité, c’est la réduction très rapide des émissions de CO2.

Pourquoi remplacer les centrales nucléaires qui n’émettent pas de CO2 par des centrales à gaz qui en émettent ? L’argument avancé est l’énergie nucléaire nous empêche de passer aux énergies renouvelables. Mais l’une n’empêche pas l’autre du tout. Il est donc très positif que le gouvernement fédéral ait décidé d’augmenter considérablement cette capacité solaire et éolien. Hélas, elles sont intermittentes et on ne sait pas stocker aujourd’hui massivement l’électricité. Notons que ces 5 dernières années la part du gaz dans le mix énergétique a augmenté, et avec elle les émissions de CO2. Nos émissions de CO2 par habitant sont déjà aujourd’hui près du double de la Suède ou la France. Remplacer nos centrales nucléaires par du gaz augmenterait nos émissions de CO2 de 20% encore. Qui peut vouloir cela ?

Maintenant, augmenter la part du gaz de manière substantielle est un geste dangereux pour une autre raison également. L’approvisionnement en gaz de l’Europe est dans une large mesure déterminé en Russie car c’est le premier fournisseur (45%). Contrairement à des pays comme la Norvège, l’Algérie ou l’Azerbaïdjan, la Russie mène une politique gazière mêlant commerce et politique. L’ambassadeur de la Russie auprès de l’Union européenne, Vladimir Chizhov, a littéralement déclaré que l’approvisionnement en gaz et les prix du gaz s’amélioreraient si les pays devenaient des partenaires de la Russie plutôt que des adversaires.

En d’autres termes, choisir plus de gaz, c’est choisir plus de dépendance vis-à-vis de la Russie. Si la Russie décide de fermer le robinet du gaz pour quelque raison politique que ce soit, cela peut avoir des conséquences directes et rapides sur nos entreprises, nos emplois (hausse du chômage) et nos pouvoirs d’achats, en particulier des salaires modestes. Cela pourrait conduire à des protestations pour la même raison et avec la même intensité que les manifestations des gilets jaunes. Et qui oserait alors dire que ces personnes ont tort?

En bref, le choix de maintenir les centrales nucléaires ouvertes n’est pas “bon” ni idéal puisqu’il n’y a toujours pas de solution pour les déchets nucléaires. Mais c’est de loin un meilleur choix que d’augmenter la part du gaz qui rend notre pays dépendant de la Russie, et va à l’encontre de tout ce que nous voulons changer pour arrêter le réchauffement climatique. Investissons donc massivement dans les énergies renouvelables et, comme la Finlande, décidons de fermer les centrales nucléaires si nous le pouvons, mais surtout de les garder ouvertes aussi longtemps que nécessaire.

Nicolas Paulmier– private equity investor, basé à Bruxelles, avec 30 ans d’expérience

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