Fabrice Brion (I-Care) après la défaite des Diables : “Nous devons rester derrière l’équipe pour les pousser à l’exploit”

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Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le CEO de l’entreprise wallonne évoque la gestion de crise nécessaire pour la Belgique après le match perdu contre le Maroc. “Dans la tempête, Roberto Martinez doit garder sa ligne”, estime-t-il.

Fabrice Brion, CEO d’I-Care, accompagne Trends Tendances durant cette Coupe du monde pour analyser les matchs des Diables et dresser des parallèles avec le monde de l’entreprise. Son débriefing après la défaite contre le Maroc.

Cela risque d’être compliqué, au vu de cette prestation, pour se qualifier pour les huitièmes de finale face à la Croatie, non?

Oh, il faut y croire. Nous devons être derrière l’équipe jeudi, que ce soit pour les pousser vers un exploit ou pour les remercier des dix années fantastiques qu’ils nous ont fait vivre. C’est le principe d’un supporter : il doit être là dans les mauvais moments comme dans les bons. Que ce soit pour l’équipe ou de façon générale, cela m’énerve que l’on brûle aussi vite ce que l’on a aimé.

Mais le climat semble compliqué, tant dans l’équipe qu’en dehors…

Cela doit être dans la tête. Ils n’ont pas perdu leur fond de jeu du jour au lendemain.

La semaine dernière, après la victoire contre le Canada, je disais que le résultat primait sur la manière. Cette fois, j’aurais préféré avoir le même match et avoir les trois points. Sur la manière, il y a quand même eu un fameux step up par rapport à la semaine dernière. Si on a le même progrès entre ce match-ci et celui contre le Croatie, pour moi, tout est encore possible.

Comme je le disais aussi, la préparation a été très courte, on arrive au mauvais moment de la saison, ces matchs de poule servent en réalité de matchs de préparation. On le voit avec le Japon qui perd contre le Costa Rica, l’Angleterre qui fait match nul contre les Etats-Unis, le match nul Espagne-Allemagne. Après le deuxième match, il y a d’habitude beaucoup d’équipes qualifiées, ce n’est pas le cas cette fois-ci, à part la France.

L’entraîneur, Robert Martinez, est décrié alors que c’est le moment où il doit poser des choix forts…

Je pense surtout que l’on manque sportivement d’un bon attaquant. Dimanche, nous avons 66% de possession de balle en première mi-temps, cela doit être 2-0 ou 3-0 à la pause. Si tel est le cas, ce n’est pas le même match, les Marocains sortent de leur défense, cela donne des espaces… Le problème, c’est que l’on n’arrive pas à concrétiser : vous pouvez faire toutes les tactiques que vous voulez en tant que coach, si on ne parvient pas marquer avec un telle possession, voilà ce qui peut arriver. Il ne manque pas grand-chose. J’espère que Romelu Lukaku sera présent dès la première minute de jeu contre la Croatie.

Pour faire un parallélisme avec le monde de l’entreprise, est-ce un moment de gestion de crise?

Oui, c’est clairement un moment de gestion de crise. Mais je pense que le coach fait ce qu’il doit faire, certainement dans sa communication. Son rôle, c’est de protéger ses joueurs et son groupe, de l’isoler de l’extérieur et de jouer au paratonnerre.

J’ai beaucoup aimé quand il a exprimé le fait que tout le monde critiquait le premier but, ce coup-franc marocain au premier poteau, en disant que cela fait dix ans que l’on défend comme ça sur les phases arrêtées. C’est une façon d’assumer ses responsabilités et de défendre ses joueurs. Cela leur permet de se concentrer sur le prochain match et de ne pas chercher à qui revient la faute.

Un tel moment de crise, est-ce un moment où l’on se met devant ses responsabilités à huis-clos.

Bien sûr : on lave son linge sale en famille. En ce qui me concerne, je félicite toujours publiquement et je recadre en one to one. C’est important dans une entreprise comme dans une équipe de mettre en avant publiquement les succès, mais d’agir discrètement pour les échecs.

Est-ce un moment où on change ses batteries. Il y a déjà eu trois changements dans le Onze de base entre les deux premiers matchs. Certains disent qu’il faut oser mette les jeunes dans une remise en cause plus large…

Dans une entreprise, je ne changerais pas encore. Il y a eu du progrès par rapport au premier match. Eden a tenu soixante minutes et peut peut-être tenir un match complet. Lukaku a joué quinze minutes, il peut peut-être démarrer. Je laisserais un match avec l’équipe telle qu’elle est, tout en prévoyant des changements.

C’est surtout ça le problème : aujourd’hui, le football se joue à seize joueurs… et on ne les a pas.

En tant que manager de crise, comment affronte-t-on les vents contraires dans l’opinion publique?

A mes yeux, il faut garder sa ligne. L’opinion publique peut changer assez vite. Si on avait gagné dimanche, tout le monde serait dithyrambique par rapport à la prestation des Diables. Statistiquement, depuis dix ans, on n’a jamais connu une période avec autant de victoires, une défaite de temps en temps, cela arrive.

Moi, en tant que CEO, je garderais ma ligne. Je ne pense pas qu’il faut agir dans l’urgence. S’il se confirme qu’elle est mauvaise, il faudra alors penser à autre chose.

Certains parlent déjà de l’après-Martinez…

L’après-Martinez, c’est quasiment une certitude puisqu’il a dit lui-même qu’il irait jusqu’à la Coupe du monde 2022. Il n’y a pas de discussions qui ont été entamées avec lui, donc ce n’est pas une surprise. Un coach qui a fait six ans dans une équipe, c’est déjà respectable des deux côtés, tant dans celui du coach que de l’équipe qui lui a fait confiance.

J’espère qu’il y aura le plus grand nombre de matchs possibles sur ce mois de décembre, mais je ne pense pas qu’il poursuivra après cela.

La victoire du Maroc a été émaillée d’émeutes à Bruxelles. Quel est votre sentiment?

Malheureusement, en cette époque d’immédiateté des réseaux sociaux, c’est facile pour des gens qui veulent mettre la pagaille de se mêler à un événement dans un sens ou dans un autre. Est-ce que ce sont des supporters de foot ou des casseurs qui ont profité de ces célébrations pour agir de la sorte ? Je condamne fermement ces débordements, mais je pense que ce sont surtout des gens qui ont profité de la situation. Ce n’est pas du foot…

Dans tout ce que vous exprimez, il y a une ligne conductrice pour un chef d’entreprise, dirait-on : il faut garder la tête froide alors que tout est en train de tanguer…

Certainement. On dit souvent qu’un chef d’entreprise ou un entraîneur de sport, c’est un commandant de bord ou un capitaine : c’est celui qui tient la barre. Or, c’est quand il y a de la tempête qu’il faut tenir la barre.

Cela veut dire deux choses : tenir sa ligne, mais aussi savoir garder la tête froide.

Alors, jeudi, vous croyez à l’exploit?

Les supporters doivent être là. On verra ce qu’il en résultera.

Le pessimisme ambiant reflète-t-il un esprit belge qui n’est pas assez conquérant?

Oh, je pense que si la France avait fait les mêmes matchs, nos voisins seraient dans le même état. Ce n’est pas spécifiquement belge, c’est propre à l’humain et à notre époque.

Faut-il se dire qu’avec cette génération dorée, on a joué un peu au-dessus de notre niveau pendant dix ans?

Je pense qu’on a vécu une époque incroyable, c’est certain. Cela ne veut pas dire qu’elle ne peut pas se reproduire dans deux ans ou dans quatre ans.

En Belgique, nous sommes souvent pionniers dans beaucoup de choses.

En football, nous avons été parmi les premiers à avoir des clubs professionnels. Le résultat, c’est qu’Anderlecht a gagné des coupes d’Europe dans les années 1970. Les autres pays ont suivi et ils ont appliqué cela à une plus grande échelle, au niveau budgétaire ou en terme de population, ce qui nous a évidemment déforcé.

C’est un peu la même chose ici : nous avons été parmi les premiers à avoir des joueurs formés à l’étranger – Eden Hazard à Lille, Jan Vertonghen et d’autres à l’Ajax… – quand les autres étaient encore dans un schéma classique. Cela nous a permis d’avoir une équipe avec des joueurs évoluant dans les meilleurs clubs du monde.

Tant Marc Wilmots que Roberto Martinez ont appliqué des tactiques novatrices pour le football. Ce qui m’a toujours positivement marqué avec Wilmots, c’est qu’il ne mettait quasiment jamais son Onze de base pour démarrer, il le mettait en place après ses trois changements. Aujourd’hui, ils le font tous.

La marque de fabrique de Martinez, c’était l’agilité : faire en sorte que le porteur de ballon ait toujours deux ou trois solutions de passe, ce qui est toujours plus facile que de n’avoir qu’une seule option. C’est la même chose pour une entreprise : il vaut mieux avoir un plan A, un plan B et un plan C. Les autres équipes jouent désormais comme ça et ont adopté leur défense à ce jeu.

Faut-il retrouver ce rôle de pionnier?

Oui. Il faut s’interroger sur cette capacité à redevenir innovant plutôt que de rester sur ses acquis. Réapprendre à surprendre, en réalité. Et, pour des petits pays comme la Belgique, il faut oser innover, c’est la seule clé du succès.

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