Des niveaux d’endettement inconfortables pour les pays émergents

La chine qui n'a pas encore atteint le seuil des hauts revenus pourrait y parvenir en 2023. © Getty Images

Les marchés émergents ont accumulé de nombreuses dettes.

L’année 2022 marquera le 40e anniversaire d’un célèbre défaut de paiement. Le 12 août 1982, le ministre des Finances du Mexique a avoué que son gouvernement ne serait pas en mesure de rembourser l’argent que les banques américaines lui avaient prêté imprudemment. Le pays “sera à court d’argent dans quatre jours”, leur aurait-il dit. Après le défaut de paiement du Mexique, 26 autres pays en développement (dont 15 en Amérique latine) ont finalement été contraints de rééchelonner leur dette.

La crise a débuté moins d’un an après l’invention du terme “marchés émergents” par Antoine van Agtmael de la Banque mondiale (il cherchait une alternative plus aimable au terme “tiers-monde”). Quarante ans plus tard, les marchés émergents ont accumulé à nouveau des niveaux d’endettement inconfortables: selon le FMI, leurs obligations publiques représentent en moyenne 63% de leur PIB combiné. Cela représente une augmentation de plus de 10 points de pourcentage depuis 2018. L’anniversaire d’une crise de la dette pourrait-il être marqué par une nouvelle crise?

En un mot: non. Avant leur effondrement en 1982, les marchés émergents empruntaient principalement à court terme et à taux variable en devises étrangères. Les plus gros débiteurs d’aujourd’hui ont tendance à vendre des obligations à plus long terme, principalement dans leur propre monnaie, et souvent à des acheteurs locaux. Selon le FMI et la Banque mondiale, 29 pays pauvres présentent un “risque élevé” de surendettement. Quatre autres gouvernements ont une cote de crédit faible de CCC+, selon S&P Global Ratings (par le passé, près de la moitié des pays classés dans la catégorie CCC ou CC ont fait défaut dans l’année). Cependant, la plupart de ces emprunteurs sont trop petits pour susciter une inquiétude systémique.

Une exception

La seule exception possible est l’Argentine. Ayant déjà rééchelonné ses obligations en 2020, elle n’aura aucune difficulté à honorer ses obligations envers les créanciers privés en 2022. Cependant, l’argent qu’elle doit au FMI est une autre affaire. Elle aura besoin d’un nouveau prêt à long terme du fonds pour l’aider à rembourser ses importantes dettes existantes envers l’institution, dont 18 milliards de dollars dus en 2022. En contrepartie, le fonds insistera probablement pour que l’Argentine augmente les prix de l’électricité, réduise les emprunts auprès de la banque centrale et maintienne un taux de change réaliste.

Artisane de l’accord, la puissante vice-présidente de l’Argentine, Cristina Fernández de Kirchner, est également l’épouse de l’homme qui a manqué à ses engagements envers le Fonds (pour un seul jour) en 2003, lorsqu’il était président. Si elle et le gouvernement tenteront sans doute de rejeter la faute sur le Fonds autant qu’ils le peuvent, il est peu probable qu’ils répètent ce coup d’éclat. Un accord sera conclu. Plutôt qu’une crise de la dette, les marchés émergents pourraient souffrir de “cicatrices fiscales” à divers degrés, comme l’a soutenu Alberto Ramos de Goldman Sachs. A l’instar des tissus rigides qui referment une plaie, une dette et des déficits publics élevés peuvent restreindre la flexibilité et l’amplitude des mouvements d’un gouvernement, et entraver ainsi sa réaction à de nouveaux ralentissements. Le déficit budgétaire du Brésil, par exemple, a accentué la pression inflationniste dans le pays, obligeant sa banque centrale à relever fortement les taux d’intérêt, alors même que le chômage reste élevé.

Evergrande

La dette des marchés émergents qui a retenu l’attention des investisseurs mondiaux en 2021 n’était pas due par un gouvernement, mais par Evergrande, un promoteur immobilier chinois submergé par ses obligations. Son passif de plus de 265 milliards d’euros dépasse les dettes publiques de toutes les économies émergentes à l’exception de neuf. La gestion par la Chine du ralentissement de son secteur immobilier sera le principal point d’interrogation concernant la plus grande économie émergente en 2022. Sur les 10 marchés émergents initiaux identifiés par Antoine van Agtmael en 1981, trois (le Chili, la Grèce et la Corée du Sud) sont depuis devenus des économies à revenu élevé selon la définition de la Banque mondiale. La Chine (qui ne faisait pas partie des dix premiers pays) espère les rejoindre dans le peloton de tête d’ici peu. Le seuil de revenu élevé de la banque est actualisé chaque année, sur la base d’une moyenne pondérée des taux d’inflation et des taux de change en Amérique, en Grande-Bretagne, en Chine, dans la zone euro et au Japon. Ce seuil correspond à un revenu national par personne de 12.695 dollars en 2020. Si la Chine (dont le revenu était de 10.610 dollars par personne en 2020) gère correctement son ralentissement immobilier, elle a de bonnes chances de franchir le seuil des hauts revenus en 2023. Cela ferait de 2022 une autre année charnière dans l’histoire des marchés émergents: la dernière année de l’Empire du Milieu en tant que pays à revenu intermédiaire.

Simon Cox, rédacteur économique pour la Chine, The Economist.

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