Crise du coronavirus et choix éthiques difficiles… Quels critères d’urgence appliquer?
L’épidémie oblige parfois le personnel médical de première ligne à trier les malades. Mais quels critères d’urgence appliquer ?
Chirurgien en chef de la Grande Armée de Napoléon, Dominique-Jean Larrey a été le premier à concevoir un système de triage. Sur le champ de bataille de Waterloo, Larrey n’a eu d’autre choix que de trier les soldats qui avaient le plus urgemment besoin de soins, sans tenir compte de leur rang militaire. Ce faisant, il a imaginé le concept de ” triage “, c’est-à-dire de sélection des patients urgents et non urgents.
Aujourd’hui, ce triage est aussi nécessaire que du temps des campagnes napoléoniennes. Rares sont les médecins d’aujourd’hui ayant oeuvré dans des conditions de champ de bataille mais la pandémie du Covid-19 a complètement changé la donne. Des reportages montrent des docteurs italiens pleurant tout leur saoul dans les couloirs d’hôpital à cause des choix qu’ils ont dû poser. Aux Etats-Unis et en Europe, bon nombre de médecins doivent prendre des décisions difficiles quant à l’allocation des maigres ressources dont ils disposent, que ce soient les lits, les soins intensifs ou les respirateurs.
Décisions brutales
Selon la solution universelle suggérée par les philosophes et les corps médical, il faut réserver les ressources – dans ce cas-ci le personnel soignant, les équipements et les fournitures – aux patients dont les chances de survie sont les plus élevées et l’espérance de vie la plus longue. Mais derrière cette solution utilitariste apparemment fort simple se cachent des décisions parfois brutales.
Prenons l’exemple du manque de respirateurs. De nombreux patients hospitalisés parce qu’infectés par le Covid-19 risquent d’en avoir besoin. Les mettre trop tôt sous respirateur signifie priver d’autres patients pendant un certain temps. Et lorsque le respirateur s’avère nécessaire, il faut en trouver un rapidement. Selon un article du New England Journal of Medicine, si on retire le respirateur à un patient qui en dépend, il ” mourra dans les minutes qui suivent “.
Autrement dit, la décision de le connecter à un respirateur ou non est une question de vie ou de mort. Si un jeune patient arrivé aux soins intensifs a besoin d’un respirateur et qu’il n’y en a pas de disponible, il y a fort à parier qu’on débranchera un autre patient dont les chances de survie sont jugées moins probantes. Dans les cas extrêmes, il se pourrait même qu’on débranche un patient capable de survivre mais dont l’espérance de vie n’est pas aussi longue. Pareil raisonnement ne va pas dans l’intérêt des patients âgés ou présentant d’autres pathologies.
La ventilation met l’organisme à rude épreuve. Les patients âgés peuvent difficilement y survivre plus de deux ou trois semaines, le délai nécessaire pour récupérer du Covid-19. En temps ordinaire, tout serait mis en oeuvre pour maintenir le patient en vie jusqu’à ce que le traitement s’avère vain. Ce n’est plus possible dans certains hôpitaux.
De l’avis des médecins italiens, il faudrait définir préalablement les critères de sélection des patients et en informer correctement les patients et leur famille. Il serait également judicieux de confier les décisions douloureuses à une personne autre que les médecins en première ligne. Quitte à ce qu’ils puissent contester les décisions s’ils les jugent erronées.
Quels critères ?
Ailleurs dans le monde, de nouvelles directives de triage sont en cours d’élaboration. Le Canada réfléchit à des critères en concertation avec les juristes et les organismes de régulation gouvernementaux, sur les conseils de Ross Upshur, professeur à la Dalla Lana School of Public Health de Toronto. En Grande-Bretagne, la définition de critères a été particulièrement pénible. Pour le National Institute for Health and Care Excellence, une instance gouvernementale, la décision d’admettre un patient aux soins intensifs doit être prise en fonction de l’avantage médical potentiel. Depuis l’émission de cette recommandation, l’Institut a toutefois précisé qu’un indice générique fragile, repris dans ses directives, ne doit pas être appliqué aux jeunes ou aux citoyens connaissant des difficultés d’apprentissage.
Le 1er avril, la British Medical Association, le syndicat représentatif du corps médical, a comblé la lacune et clarifié les compromis : ” A facteurs cliniquement pertinents égaux, il n’y a pas de différence éthiquement significative entre les décisions de suspendre le traitement de survie ou de l’interrompre “.
Que ce soit sur le champ de bataille ou aux soins intensifs surpeuplés, l’homme a tendance à traiter son prochain en fonction des besoins et des chances de survie, des critères parfaitement acceptables d’un point de vue moral. Il n’empêche, des décisions déchirantes devront être prises.
Par The Economist.
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