Bruno Colmant: “Le risque d’une guerre par procuration OTAN/Russie est très inquiétant”
L’économiste s’inquiète qu’en armant davantage l’Ukraine, on ferme toute porte de sortie. “Le risque, c’est de créer une longue ligne de front OTAN – Russie qui s’apparente à une guerre de tranchée, qui durera des décennies, puisqu’il est évident que l’armement de l’Ukraine va rester sur place.”
Economiste, professeur à l’ULB et l’UCLouvain, Bruno Colmant a partagé ces dernières heures des messages inquiets sur les réseaux sociaux au sujet de l’évolution de la guerre en Ukraine. Il s’en explique pour Trends Tendances, à l’heure où les Américains réunissent leurs alliés pour armer l’Ukraine..
Pourquoi cette inquiétude?
J’ai le sentiment que nous assistons à une accélération du conflit. J’ai écrit sur LinkedIn ce qui suit: “Jour après jour, nous nous rapprochons du scénario que Charles de Gaulle appréhendait, à savoir que les États-Unis et la Russie se fassent la guerre sur le sol d’un pays européen, sans confrontation directe.” Les Américains ne cessent de mettre ces derniers jours de l’huile sur le feu, avec lerisque que cela mène à une guerre par procuration. Cela me semble très dangereux.
J’ajoutais dans ce post, qui a été vu plus de cent mille fois: “Je crois que le surarmement ukrainien va conduire à l’inverse de ce qu’exige la paix : la diplomatie.” On risque de créer un foyer de tension permanente à 2000 kilomètres de Bruxelles, en créant une tête de pont de l’OTAN en Ukraine.
Les Américains précisent qu’il n’est pas question d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN…
D’accord, mais c’est comme si c’était le cas. Cela m’interpelle. Au début, ce conflit était très grave, avant que cela ne baisse d’un cran. Mais il y a désormais à l’oeuvre un mouvement lent de l’histoire qui m’inquiète. La réalité, c’est que même les Allemands sont désormais sous pression alors que tant le patronat que la Bundesbank avaient mis en garde contre toute escalade et exprimé le risque grave de récession.
L’Allemagne va autoriser la livraison à l’Ukraine de chars de type Guepard, spécialisés dans la défense anti-aérienne…
Le chancelier allemand Olaf Scholtz avait pourtant exprimé ses réticences… Nous payons aussi le fait que l’Allemagne n’a pas été réarmée après la réunification. Elle dépend de la couverture américaine.
Ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est pourquoi les Américains sont tellement déterminés à armer l’Ukraine. Le secrétaire d’Etat Blinken et son ministre de la Défense étaient à Kiev en début de semaine. Ce sont des signes inquiétants. Certains pensent que l’Amérique veut une guerre Europe – Russie pour affaiblir les deux avant de commercer à leurs conditons avec la Chine.
J’ajoutais dans un post ce mardi matin: “Je ne comprends pas pourquoi les pays européens n’utilisent pas outrancièrement la voie diplomatique qu’ils préconisent dans tous les autres conflits… Il y a vraiment matière à réfléchir.”
Peut-être parce que toutes les tentatives de négociation ave le régime de Poutine, jusqu’ici, ont échoué?
Peut-être. Mais ces décisions d’armer davantage l’Ukraine vont rendre tout processus de négociation encore plus difficile. Je ne dis pas qu’il est facile de négocier dans un tel contexte, tous les Etats doivent être enragés, mais mon inquiétude, c’est que l’on referme tout possibilité de sortie de crise.
Le risque, c’est de créer une longue ligne de front OTAN – Russie qui s’apparente à une guerre de tranchée, qui durera des décennies, puisqu’il est évident que l’armement de l’Ukraine va rester sur place. Cette guerre va éreinter l’Europe et créer un choc d’appauvrissement qui sera, un jour, contesté socialement.
Le ministre russe des Affaires étrangères évoque à nouveau un risque de troisième guerre mondiale: depuis le début, il souffle le chaud et le froid…
Bien sûr, c’est d’ailleurs lui qui évoque ce risque d’une “guerre par procuration”. Cela ne signifie pas que les Russes ont raison, bien sûr, mais toute perspective diplomatique s’éloigne: c’est très grave. Nous nous éloignons de plus en plus du schéma du général de Gaulle qui avait compris la nécessité de sortir toute potentielle confrontation entre la Russie et l’OTAN du continent européen.
Les va-t’en guerre, cela m’a toujours inquiété. Pourtant, je suis officier de réserve de l’armée, je ne suis pas un pacifiste avec des fleurs dans le cheveux.
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