Bertrand Candelon: “Je me demande comment nous allons passer l’hiver. Que de temps perdu!”

Bertrand Candelon, professeur d'économie à l'UCLouvain. © Belga

L’économiste de l’UCLouvain, membre de la commission “pouvoir d’achat” qui avait été mise en place par le gouvernement De Croo, est très alarmiste au sujet de cette rentrée. Il regrette le manque de réponse politique.

Bertrand Candelon, professeur d’économie à l’UCLouvain, est effaré par les paramètres de cette rentrée. Et regrette qu’on n’ait pas écouté leur message du début de l’été.

Que pensez-vous de cette rentrée économique très alarmiste ?

Il serait temps que l’économie se calme, en effet. Vous avez vu l’interview donnée par Isabelle Schnabel, membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE)? Elle évoque la nécessité d’augmenter les taux d’intérêt d’au moins 1%. Il y a un risque de récession! Les projections de l’inflation au Royaume-Uni, c’est désormais 18%. C’est du jamais vu.

Les indicateurs sont donc très préoccupants…

Nous le savions déjà avant les vacances. Dans la Commission “pouvoir d’achat” à laquelle j’ai participé, il y avait des tensions, mais nous savions que les perspectives n’étaient pas bonnes. Les politiques préfèrent attendre, en se disant qu’avec un peu de chance, cela ne se passera pas, mais il y a quand même des grosses inquiétudes. Si l’hiver est froid, si les Russes bloquent, comment fait-on?

En terme de prix ou de pénurie?

De pénurie! L’industrie de l’aluminium, par exemple, est déjà à la limite parce qu’elle consomme beaucoup d’électricité. Je lisais il y a peu que l’Allemagne n’a que deux mois de réserves de gaz… Si les Russes coupent, cela veut dire qu’en novembre, c’est fini: comment passe-t-on l’hiver?

La question se pose.

Oui, et c’est la question que nous posions déjà au mois de juin dans la commission. Nous avions évoqué la nécessité de penser à des économies d’énergie: personne n’a voulu nous écouter. Maintenant, Emmanuel Macron dit qu’il faut s’attendre au pire, Alexander De Croo parle de “cinq à dix hivers difficiles”. Bon, pourquoi parle-t-il de cinq à dix ans? Estime-t-il que nous sommes rentrés dans une récession dont on sait qu’il faut entre deux et huit ans pour ne sortir? Cinq – dix ans, je ne suis pas aussi affirmatif que cela, sans doute a-t-il voulu alerter la population…

Mais que de temps perdu ! On a sans doute voulu laisser les gens passer des vacances insouciantes, mais maintenant, on va rentrer dans le dur.

Y’a-t-il encore moyen d’agir?

On a fermé les écoutilles pendant les vacances. Mais bien sûr, il faut agir. Et si l’on parle de cinq ou dix ans, il va falloir prendre des mesures structurelles. Dans ce cas, il faut repenser la politique énergétique, songer à revoir l’indexation des salaires, prendre des mesures fortes… Ce ne sont pas des mesures conjoncturelles comme des chèques qui suffiront.

Ce qui est incroyable, c’est que votre rapport n’a servi à rien?

Les membres de la commission sont convoqués au parlement le 28 septembre pour expliquer. Mais que de temps perdu! Je ne suis pas naïf, je comprends que le politique ne voulait pas mettre la population sous pression après le Covid, mais gouverner, c’est prévoir, tout de même: s’il y a des problèmes, il faut les dire. C’est le cas dans tous les pays européens. La Banque centrale européenne n’est pas intervenue, alors qu’elle aurait dû relever ses taux depuis l’automne dernier. On nous a vendu à grands cris que l’inflation serait transitoire, ce que je n’ai jamais cru, et maintenant, cela va durer cinq à dix ans…

Espérait-on que cela s’apaise de soi-même?

On sait que l’inflation, c’est un phénomène très persistant, cela rentre dans tous les circuits économiques, cela se relaie via l’indexation automatique des salaires…

Faut-il augmenter les taux d’un pourcent et enclencher des mécanismes plus radicaux?

On n’aura pas le choix! Nous aurons une inflation à deux chiffres, cela représente une perte de pouvoir d’achat considérable. Mais encore une fois: que de temps perdu! Personnellement, je pense toujours qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Ici, on va devoir guérir.

Les Etats-Unis sont rentrés en récession, certes de manière technique. L’Europe va y arriver, c’est clair.

L’Europe est-elle particulièrement malmenée, c’est chez nous que l’énergie augmente le plus fortement?

Bien sûr. Et regardez : le prix du pétrole est repassé sous les 100 dollars sur les marchés, mais qu’est-ce qui se passe ? C’est l’euro qui a plongé et les prix augmentent. Les Etats-Unis sont un peu moins touchés parce qu’ils sont exportateurs et nous importateurs. Mais que de temps perdu!

En tant qu’économiste, il y a des choses que je ne comprends plus. Les marchés ont augmenté de 10% pendant les vacances, je ne comprends pas!

N’est-ce pas dû à une période de contrastes? Il y a eu la reprise post-Covid, c’est une ère de plein emploi dans certains endroits, voire de pénuries…

C’est vrai. Mais les déclarations que l’on entend depuis une semaine démontrent que le mur se rapproche dangereusement. Les propos de Macron, De Croo ou Isabelle Schnabel sont très violents. Or, la Banque centrale européenne ne fait pas de déclaration à l’emporte-pièce, tout a été pesé, avalisé… Quand on parle d’une inflation de 18% au Royaume-Uni, on a rarement eu ça, même dans les années 1970. C’est énorme!

Vous dites-vous que l’on peut appliquer toutes les recommandations de votre commission ?

Toute une partie concernait une réduction de la demande d’énergie, mais cela a été très mal perçu, on s’est fait critiquer et assassiner de toutes parts.

Les gens peuvent comprendre un langage vérité, non?

Moins consommer, ce sera une des bases. Sera-ce suffisant? Je ne sais pas, mais si non, il faudra couper l’électricité, c’est très clair.

Et j’espère que les marchés vont tenir! Depuis un an, les indicateurs de crise financière n’ont jamais été aussi hauts. Jusqu’à quand cela va-t-il tenir? Si en plus les marchés dévissent, si les entreprises sont contraintes en raison de prix de l’énergie et des problèmes d’approvisionnement, cela va forcément réduire l’économie. A part les grosses entreprises en situation de quasi monopolistique, la situation en cette rentrée va être très difficile pour les PME en situation de concurrence. Si on ajoute les prix salariaux qui vont augmenter…

Tout cela, nous l’avions pointé du doigt dans nos travaux. Or, chez nous, aucune mesure n’a été prise pour les entreprises. Que va-t-il se passer si une entreprise ne peut plus payer ses charges? Un chômage temporaire, des reports de charges? Personne ne sait. Or, nous avions proposé aussi dans notre note une palette de mesures de type Covid.

Encore une fois, on réagira au pied du mur.

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