La reprise, plus forte que le variant Delta
En juin, tous les indicateurs économiques étaient au vert, la reprise s’annonçait flamboyante. Sa vigueur, conjuguée à la progression de la vaccination, devrait heureusement permettre à notre tissu industriel de résister à la hausse des contaminations dues au variant Delta du coronavirus. Des pénuries de main-d’oeuvre aux difficultés d’approvisionnement, d’autres nuages planent toutefois aussi sur notre horizon économique.
Le baromètre de confiance des chefs d’entreprise a atteint au début de l’été un sommet historique depuis… 1980, année où la Banque nationale a commencé à sonder régulièrement l’état d’esprit des entrepreneurs. Cette confiance repose fort logiquement sur l’annonce, par les différents gouvernements, des plans de relance qui vont injecter des milliards d’euros dans l’économie belge afin de moderniser les infrastructures et d’accélérer la transition vers une économie plus écologique et plus numérique. La réouverture des restaurants et des salles de spectacle, même sous condition, a accentué ce vent d’optimisme, qui se marque également dans les indices de confiance des consommateurs.
La progression du variant Delta a toutefois très vite rappelé que la pandémie n’était pas encore derrière nous et que la levée d’une série de restrictions sanitaires n’était peut-être que transitoire. Cela obscurcit évidemment l’horizon économique. “Cela complexifie encore un peu plus les prévisions, pointe Jean-Christophe Dehalu, conseiller économique à l’Union wallonne des entreprises (UWE). A ce stade, personne ne sait quelles seront les implications économiques à long terme de ce variant Delta. La confiance est un paramètre absolument déterminant dans le fonctionnement de notre économie.” Une telle période d’incertitude peut conduire les entreprises à mettre entre parenthèses leurs stratégies d’investissement et d’embauche, plombant ainsi le bel élan de reprise économique. Les dégâts causés par les inondations et qui nécessiteront la réaffectation d’une partie des moyens prévus par la Wallonie pour la relance économique accentuent bien entendu ce climat d’incertitude.
Trois raisons d’être optimistes
“Il est clair qu’il y a un danger et qu’il faut rester extrêmement vigilant, convient Véronique Goossens, chief economist chez Belfius. Nous restons toutefois positifs quant à l’évolution de l’économie belge et mondiale.” Les chefs d’entreprise et les économistes que nous avons contactés partagent ce point de vue. Plusieurs éléments incitent en effet à ne pas céder à la panique. D’abord, la reprise semble suffisamment robuste pour résister à un contrecoup: la croissance serait de 4,3% cette année dans la zone euro et la Belgique ferait mieux encore (5,5%, selon les dernières prévisions, revues à la hausse, de la BNB). Le PIB belge retrouverait son niveau d’avant-crise dès le début 2022 et conserverait une croissance soutenue toute l’année (3,3% selon la BNB, 2,9% pour le Bureau du Plan) avant de retrouver un rythme plus classique autour de 1,5% pour la période 2023-2026. “Dans un premier temps, c’est surtout le secteur manufacturier qui avait impulsé cette reprise, ajoute Véronique Goossens. Mais désormais, les services et la consommation intérieure ont bien repris.” Cet équilibre peut être perçu comme rassurant.
5,5%
Le taux de croissance de l’économie belge en 2021, d’après la Banque nationale. Prévisions revues dernièrement à la hausse.
Le deuxième élément qui incite à l’optimisme, c’est évidemment la progression de la vaccination, dont nous vous parlons par ailleurs. “Ça va être une sorte de course contre-la-montre entre le variant et le vaccin, résume Fabrice Brion, CEO de l’entreprise de maintenance prédictive I-care. Je pense que nous pouvons la gagner, quitte à faire quelques concessions comme celles qui ont été annoncées en France.” En outre, au fil des mois, nous avons intégré les gestes barrières, ce qui devrait contribuer aussi à limiter l’ampleur d’une éventuelle troisième ou quatrième vague. “Nous avons adapté nos manières de travailler, de faire du shopping ou tout simplement de nous dire bonjour, insiste Véronique Goossens. Cela m’incite à rester positive quant à notre faculté de combattre le variant Delta.” Cela nous conduit à la troisième raison d’être optimiste: nous avons tous appris à vivre avec le virus. “Même dans le scénario du pire avec un reconfinement en septembre, nous connaissons maintenant tous les protocoles à suivre, les règles du jeu à respecter, dit Philippe Foucart, le patron de l’entreprise de génie électrique Technord. Nous fonctionnons majoritairement en télétravail depuis un an et demi. Tout n’est pas toujours facile mais nous savons parfaitement comment faire tourner l’entreprise dans ces conditions.” “Même à l’export, nous travaillons désormais beaucoup à distance, ce que nous n’aurions jamais fait avant, ajoute Fabrice Brion. C’est beaucoup plus confortable et, finalement, plus efficace. Je prenais deux ou trois avions par semaine et ne j’en ai plus pris un seul depuis le 21 février 2020. Le temps ainsi gagné est aussi productif pour I-care que pour ma vie privée.”
Trois raisons de rester prudents
“Le métier de chef d’entreprise, c’est anticiper les risques et les gérer”, résume Jean-Christophe Dehalu (UWE). Or, ces risques ne se limitent pas à la propagation, ou pas, de nouveaux variants du coronavirus. Ils peuvent même parfois surprendre dans un pays qui compte 370.000 chômeurs complets indemnisés: la difficulté à trouver la main-d’oeuvre adéquate. “Nous avons en permanence une trentaine de postes ouverts, soit quasiment 10% de notre effectif, explique Philippe Foucart (Technord). C’est dramatique, cela freine notre croissance bien plus que le covid. Dans notre stratégie d’entreprise, recruter, développer et fidéliser les collaborateurs est devenu la priorité n°1, plus que de trouver des clients.” Le problème se pose avec acuité dans l’horeca (que les travailleurs fuient après le confinement) et la construction, pourtant très sollicitée dans les différents plans de relance, y compris désormais les chantiers de reconstruction après les inondations des 15 et 16 juillet.
Diverses mesures ont été prises par les organismes régionaux dans l’espoir de former des demandeurs d’emploi aux métiers en pénurie et capter ainsi pleinement les potentialités offertes par les plans de relance. “Pour une partie de la population concernée, le problème vient trop souvent des soft skills, insiste Jean-Christophe Dehalu. Trop de personnes n’ont pas la boussole de base pour s’insérer pleinement et durablement sur le marché du travail. Les réponses sont alors hélas longues et compliquées, elles touchent à l’enseignement, à l’éducation, à la vie familiale notamment.”
Quand on a la main-d’oeuvre, il faut aussi pouvoir disposer des matériaux nécessaires. La crise a révélé la fragilité des filières d’approvisionnement. “Pour un bête transfo, les délais sont passés de 12 à 26 semaines, c’est une véritable bagarre pour être livré”, soupire Philippe Foucart. Et quand les produits ou matériaux sont disponibles, les prix ont connu des hausses parfois brutales et dont personne ne peut dire à ce stade si elles sont spéculatives, et donc temporaires, ou plus structurelles.
Chez I-care, on a minimisé l’impact grâce à une anticipation du problème, à la fois en constituant des stocks et en révisant les méthodes d’approvisionnement. “Parfois, c’est un peu plus coûteux, concède Fabrice Brion, mais il faut désormais bien tenir compte d’un autre facteur de rentabilité qui est la sécurité d’approvisionnement.” “Les entreprises sont en train de chercher des solutions à ces difficultés d’approvisionnement, ajoute Clarisse Ramakers, directrice générale d’Agoria Wallonie. La relocalisation des activités est l’une de ces solutions et la Belgique n’est pas mal positionnée dans une série de domaines, on le voit par exemple avec l’Imec et les semi-conducteurs. Mais tout cela prendra du temps.” Véronique Goossens (Belfius) invite toutefois à ne pas dramatiser une situation ponctuelle qui s’explique par la difficulté de répondre à l’explosion de la demande mondiale. “Les progrès en Chine, l’un des fournisseurs principaux, doivent nous rassurer ce plan, dit-elle. Et globalement, le secteur manufacturier a bien réussi à s’adapter.”
L’horizon économique peut aussi s’obscurcir en raison des conséquences sur le comportement humain à long terme des précautions sanitaires prises pour endiguer l’épidémie. Si les entreprises et leur personnel se sont bien adaptés aux impératifs du travail par temps de pandémie, cette adaptation a aussi ses limites. “L’être humain a besoin de contacts et je sens grandir une forme de lassitude qui s’installe par rapport au télétravail, confie Philippe Foucart. Dès que je peux, j’essaie d’aller sur les sites et sur les chantiers pour être au contact des collaborateurs. Technord est une société de services, nous n’avons pas de produits magiques, notre force c’est l’humain. Ce sont nos équipes sur le terrain qui font la différence. Nous n’avons jamais connu pareille situation, personne ne sait comment les gens vont réagir dans la durée. Alors, j’essaie d’entretenir le lien avec une communication virtuelle proactive.”
Il y a un délicat équilibre à trouver entre la nécessité de maintenir une série de mesures pour contrer les soubresauts de l’épidémie, comme les variants, et le besoin de retrouver une vie sociale “normale”. “Nous voyons les effets sur la santé mentale ou sur l’éducation, nous ne pouvons pas maintenir les mesures de limitation des contacts pendant encore des mois sans générer d’autres problèmes, estime Clarisse Ramakers (Agoria). Et cela ne concerne pas uniquement les jeunes, c’est valable quels que soient l’âge et l’occupation professionnelle.”
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Une période d’opportunités
L’un des écueils de l’analyse économique durant cette crise est le fossé entre les secteurs d’activités. Quand la culture, l’événementiel, l’horeca ou l’aéronautique ont été en arrêt forcé complet, d’autres secteurs ont battu leurs records de ventes. “Le covid a donné un grand coup de boost à la digitalisation des process industriels, analyse Philippe Foucart. Ce sont des opportunités pour une entreprise comme Technord, y compris dans nos métiers traditionnels. L’électricité aujourd’hui, ce sont des réseaux connectés, de la puissance connectée.” “Je reste un ingénieur avant tout, renchérit Fabrice Brion. En automatisation, on m’a toujours appris que c’était dans les périodes transitoires qu’il y avait le plus à gagner en performance. J’applique cela à l’économie et à ma stratégie d’entreprise.” C’est dans cet état d’esprit que l’entreprise montoise a conclu, début juillet, sa première acquisition aux Etats-Unis, avec le rachat de Lindsay Engineering à Los Angeles. L’an dernier, I-care avait déjà acquis la société néerlandaise DWMG et Mecotec à Gembloux. “Ce n’est pas sur les Champs- Elysées qu’on gagne le Tour de France, sourit Fabrice Brion. Dans les périodes difficiles et incertaines, beaucoup réduisent, voire arrêtent leurs investissements. C’est, je pense, le bon moment pour tenter de faire la différence. J’ai la chance d’oeuvrer dans un secteur porteur où les risques sont moins élevés qu’ailleurs, alors on y va! Comme mon garagiste y est allé en se lançant dans une grosse acquisition sur Bruxelles. Les choses bougent pour les gens qui osent.”
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