Demain, l’assurance sera digitale… ou ne sera pas
A la traîne par rapport à la plupart des autres industries de service, y compris la banque, les assureurs ont bien compris qu’il fallait réagir pour améliorer et multiplier les contacts avec leurs clients. Telle est la conclusion d’une étude réalisée par Deloitte sur l’avenir de l’assurance en Belgique et en Europe, dont nous avons pu prendre connaissance en exclusivité.
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A quoi ressemblera votre assureur demain ? Réponse : ” La transformation du modèle économique due à la digitalisation sera plus radicale dans le secteur des assurances que dans le secteur bancaire “, lance Olivier de Groote, partenaire et leader du secteur des services financiers chez Deloitte Belgium également responsable de la région EMEA.
” On a vu ces dernières années les banques proposer leurs produits aux clients via des canaux numériques. Elles ont repensé leur modèle et développé une nouvelle expérience client soutenue par la technologie digitale. Mais pour les assureurs, la numérisation va plus loin. Elle les oblige à réfléchir à de tous nouveaux services qu’ils veulent offrir de manière efficiente pour être relevants vis-à-vis des clients. ”
Impact fondamental
En fait, l’assurance a toujours été une activité très traditionnelle, avec des entreprises qui évaluent des risques et qui, en fonction de cela, développent ensuite des produits et fixent des prix (prime à payer par le preneur d’assurance). Et cela, qui plus est, sur un marché qui en Belgique est mature.
Dans l’assurance dommage (habitation, auto), la croissance s’est en effet élevée en moyenne à 2 % par an au cours des 10 dernières années, tandis que dans la branche assurance-vie, l’encaissement a chuté de quasiment 3 % suite à l’instauration de la taxe sur les primes versées, laquelle se monte aujourd’hui à 2 %. Autrement dit, ” le potentiel de croissance organique est limité “, note Olivier de Groote.
Autre particularité du marché, celui-ci est depuis des années dominé par les mêmes acteurs : AG Insurance, Axa, Ethias, les bancassureurs KBC et Belfius, P&V, Allianz, Bâloise et NN. Et cela, avec des parts de marché globalement stables. ” Mais la numérisation a un impact fondamental sur le secteur, indique Olivier de Groote. Les règles du jeu changent, de nouveaux acteurs font leur apparition, les plateformes informatiques doivent être remplacées, la concurrence augmente et les canaux digitaux se développent fortement. ”
“Be digital or disappear”
La bonne nouvelle, c’est que ” la digitalisation est une opportunité fantastique pour les assureurs de repenser leur modèle. Pour Olivier de Groote, ” elle va leur permettre d’offrir un processus fluide aux clients. ” Seamless, comme on dit dans le jargon du Web, c’est-à-dire ” sans friction “, concept qui vise à améliorer au maximum l’expérience des usagers par un design simple et à lever tous les freins possibles.
Or, c’est encore loin d’être le cas aujourd’hui en assurance. Tout assuré confronté à un sinistre doit en effet remplir de nombreux documents ou rendre visite à son courtier, avant d’attendre plusieurs jours pour obtenir une réponse. Dans le meilleur des cas, celle-ci est positive et quelques semaines après le sinistre, il se voit verser une indemnité.
Grâce au digital, tout cela change ! Il sera par exemple possible de prendre des photos du sinistre et les envoyer à son courtier ou à son assureur via smartphone. Grâce à l’intelligence artificielle, dans trois quarts des cas, le courtier pourra estimer rapidement les dégâts et rembourser beaucoup plus rapidement. ” Cela va devenir la nouvelle normalité, prédit Dirk Vlaminckx, partner et belgian insurance leader chez Deloitte Belgium. Les assureurs vont digitaliser tous leurs processus, ce qui va considérablement améliorer l’expérience client. L’ensemble du trajet, de la compagnie d’assurance au client final, va devenir phygital ( contraction des mots physique et digital, Ndlr), afin d’approcher le client de manière plus personnalisée. Il n’y a pas d’alternative. Ceux qui s’en tiennent aux transactions sur papier, aux documents et à beaucoup d’administration ne survivront pas. Même ceux qui ne numérisent que partiellement leurs activités n’ont pas d’avenir. Par contre, celui qui facilite la tâche du client en rendant tout phygital en sortira vainqueur. ”
Par phygital, les spécialistes de Deloitte entendent l’exploitation au maximum de la technologie numérique combinée à une présence humaine au moment qui compte pour le consommateur. Ce n’est pas parce qu’un assuré reçoit une réponse plus rapidement à propos de son remboursement qu’il sera content. Peut-être qu’entre-temps, il sera en effet toujours dans les difficultés, ne trouvant pas de réparateur pour l’aider. ” Les clients ne veulent pas uniquement une compensation financière, ils veulent une solution à leur problème, poursuit Dirk Vlaminckx. En ce qui concerne les dommages causés aux voitures, par exemple, ils souhaitent une solution de mobilité leur permettant d’aller travailler ou de récupérer leurs enfants à l’école. En cas de cambriolage ou de fuite d’eau, ils veulent une réparation rapide. Et s’agissant de la santé, ils s’attendent avant tout à une approche préventive. ”
Trois scénarios
Dans ce contexte, il va falloir opérer des choix stratégiques. Les assureurs vont-ils proposer ces nouvelles solutions ou s’en tenir à leur coeur de métier ? Le feront-ils seuls ou en collaboration avec des partenaires ? Jusqu’où iront-ils dans tout cela et, surtout, arriveront-ils à générer un nouveau flux de revenus grâce au développement de ces nouveaux services ?
Seule certitude : les experts de Deloitte voient trois modèles économiques émerger d’ici 2025. Premier modèle : l’assureur se concentre sur son activité principale et investit toutes ses ressources dans l’efficacité de son département vente de contrats et dans la gestion des sinistres. Autre possibilité : il offre des services adjacents qui sont une extension de son activité de base, ce que les spécialistes appellent le beyond insurance. Les services de réparation proposés par KBC, Belfius et AG Insurance sont des exemples de cette stratégie allant ” au-delà de l’assurance “. Troisième scénario possible, enfin : des partenariats externes sont établis autour de nouveaux services et un écosystème est créé, ce qui peut potentiellement générer d’importants nouveaux revenus pour l’assureur. Deloitte parle alors d’assurance exponentielle ( exponantial insurance : situation où une société d’assurance dégage 20 % de son chiffre d’affaires en dehors de son coeur de métier, selon le consultant) .
A court terme, Deloitte voit surtout se développer des écosystèmes autour de la mobilité, de la santé et de la maison intelligente. La question est de savoir quel rôle les assureurs joueront dans ces nouveaux univers. Car, comme le rappelle Olivier de Groote, l’assurance n’est généralement qu’un sous-produit. Ce n’est que parce que vous partez en vacances que vous prenez éventuellement une assurance voyage, et non l’inverse. Idem si vous louez une voiture, etc. Compte tenu de cela, ” je pense que les assureurs vont rejoindre des écosystèmes performants qui existent déjà, et pas nécessairement les développer autour de leur propre marque. Mais bien sûr, chaque assureur a sa propre stratégie “, estime Olivier de Groote.
En attendant, le spécialiste de Deloitte considère comme très positif le fait que les compagnies d’assurance soient aujourd’hui conscientes des défis qui se présentent à elles et ne ménagent pas leurs efforts pour développer ces nouvelles solutions. ” L’approche produit est terminée, dit-il. L’attention se porte désormais sur les besoins du client, auxquels on essaie d’apporter la meilleure réponse possible. ”
Les clés du succès
Malgré cela, les assureurs que nous avons interrogés dans le cadre de ce dossier sont en désaccord sur un point : celui du modèle de distribution dans lequel ils opèrent. Un assureur direct tel qu’Ethias pense que le meilleur ” parcours client ” ( customer journey) peut être obtenu si on maîtrise tous les leviers. Les bancassureurs KBC et Belfius croient également en une approche intégrée, mais à travers un réseau d’agents restreint et proche du client. Par contre, des acteurs tels que AG Insurance et Axa estiment pour leur part qu’ils peuvent également très bien servir leurs clients de manière numérique via des intermédiaires indépendants, à condition de les soutenir suffisamment.
Bref, les clés du succès sont au nombre de trois, résume Olivier de Groote. ” Un : il faut trouver un juste équilibre entre la digitalisation sur le métier de base et les investissements dans des nouveaux écosystèmes (mobilité, etc.). Deux : il faut effectuer une transformation people driven, c’est-à-dire soutenue par les collaborateurs en interne. Trois : il doit s’agir d’une transformation non seulement orientée vers le client mais qui l’éduque aux changements, à un bon tempo, afin de ne pas le perdre en cours de route. ”
Et Olivier de Groote de conclure : ” La transformation digitale et l’avènement des modèles beyond insurance et exponential insurance offrent une opportunité unique aux assureurs de devenir plus importants aux yeux de leurs clients, et avoir des contacts plus fréquents avec eux. Ils doivent à présent oser franchir le pas : différentes initiatives démontrent qu’ils vont le faire ! ”.
Telles sont les conclusions de l’étude réalisée par Deloitte sur l’avenir de l’assurance en Belgique ( Insurance of the Future) et à laquelle nous avons confronté dans les pages qui suivent la vision de cinq CEO de sociétés d’assurance belges, à savoir Hans De Cuyper (AG), Jef Van In (Axa Belgium), Philippe Lallemand (Ethias), Dirk Vanderschrick (Belfius Insurance) et Hans Verstraete (KBC).
Open banking, beyond banking, écosystèmes, automatisation, gestion et protection des données des clients : toutes ces nouvelles tendances dont on parle aujourd’hui beaucoup dans le monde de la banque, Trends-Tendances les évoquait déjà il y a un an et demi. C’était dans un dossier paru fin 2017, intitulé La banque du futur. Celui-ci était consacré à l’avenir des services bancaires dans un monde de plus en plus connecté. Et cela, au départ d’une étude réalisée par Deloitte ( The Bank of the Future) dans laquelle le consultant mettait en lumière l’impact de la technologie sur le métier de banquier, tout en signalant l’importance du facteur humain qui, selon lui, ferait la différence.
Un an et demi plus tard, il se confirme que les banques, chacune avec leurs spécificités, sont à la recherche de cet équilibre. Elles investissent massivement dans le digital tout en taillant dans leur réseau d’agences (le dernier exemple en date étant celui de BNP Paribas Fortis qui va supprimer 267 agences et 2.200 emplois d’ici fin 2021). Mais le conseil personnalisé et le contact humain restent importants, même si ces interactions passent via les canaux digitaux. Bref, la banque du futur dont nous dessinions les contours en 2017 est là. Bien là. Raison pour laquelle nous reproduisons l’exercice, mais cette fois sur le thème de l’avenir du secteur de l’assurance.
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