Affaire D. Leroy: pourquoi la transaction pénale soulève le problème de la “justice de classe”

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Maxime Defays Journaliste

La semaine dernière, l’ancienne CEO de Proximus Dominique Leroy concluait une transaction financière avec le parquet, mettant fin à une saga longue de plusieurs mois. Focus sur cette procédure du droit belge qui a depuis longtemps soulevé beaucoup de questions, avec Olivia Nederlandt, chercheuse post-doctorante en droit pénal et pénitentiaire (Saint-Louis Bruxelles).

Concrètement, comment pourrait-on définir la transaction pénale ?

De façon simple, on peut la définir par le fait que la poursuite pénale, de l’action publique, se termine par le paiement d’une somme d’argent.

En quoi est-elle est sujette à controverse ? On parle souvent d’une justice “de classe” ou du non-respect du principe d’égalité…

Ce qu’il faut comprendre, c’est que la transaction pénale, qui a été introduite en 1935 en Belgique pour les infractions de roulage, a été au fur et à mesure élargie pour répondre à toute une série de problèmes, notamment ceux en rapport avec la poursuite des infractions de délinquance financière.

Ce genre de dossiers, comme ceux qui concernent la fraude fiscale, sont très complexes. Il en découlait donc des procédures pénales très longues. Globalement, la justice pénale doit composer avec un problème de sous-effectifs : il y a peu de magistrats spécialisés dans les affaires financières.

La répression s’est donc souvent avérée inefficace. Pour remédier à ces problèmes de façon réaliste, une solution avait été proposée comme suit : si nous trouvons une solution plus rapide en amont, entre les mains du parquet, on évite ainsi, en aval, tous ces problèmes liés à la complexité de l’affaire ou à la lenteur du procès (avec risque de prescription).

Cette transaction a été élargie…

Il a été décidé donc d’étendre la transaction pénale. En 2011, le recours à la transaction pénale fut élargi, modification légale qui a été remise sur le devant de la scène avec l’affaire Chodiev. Cela a fait ressurgir le débat de “justice de classe”. On a tellement étendu la possibilité de recourir à la transaction pénale, avec des conditions favorables (pas de casier judiciaire, pas de publicité ou de caractère infamant lié au procès) que certains ont soulevé le problème d’égalité.

Nous sommes dès lors confrontés à une justice pénale plus clémente quant aux infractions financières et cela pose effectivement question de la “justice de classe”. On a souhaité répondre via ce mécanisme à des problèmes réels mais il y a bien un problème d’égalité. Or, la délinquance financière n’est pas moins importante, on se rend souvent moins facilement compte des dommages sociaux provoqués celle-ci.

Quand on est témoin d’un vol ou d’une agression dans la rue, le lien “causes-conséquences” va de soi. De l’autre côté, quand des personnes physiques ou morales pratiquent la délinquance financière, le lien ici est bien moins clair. Les dommages sont plus flous alors qu’ils impactent la collectivité entière, que ce soit en termes de sécurité sociale ou de budget de l’Etat, par exemple. L’échelle de cette délinquance est bien plus grande et à plus long terme, mais c’est moins visible pour tout un chacun.

Nous sommes donc ici en présence d’une justice pénale beaucoup plus sévère et infamante envers la délinquance classique qu’envers la délinquance financière, dont les conséquences sur la collectivité sont pourtant bien plus importantes. C’est en ça qu’on parle de “justice de classe”.

Affaire D. Leroy: pourquoi la transaction pénale soulève le problème de la
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La Cour constitutionnelle avait d’ailleurs retoqué la loi belge en 2016. Finalement, la loi a été rétablie en 2017. Qu’est-ce qui “clochait” ?

La transaction pénale fut tout une saga. Elle fut élargie en 2011 avant l’apparition d’une loi réparatrice. En 2016 arrive ensuite la loi Pot-Pourri II de Koens Geens. Avant, on donnait l’impression de pouvoir “acheter son procès”, ce qui a été corrigé, la transaction n’étant pas possible une fois qu’un jugement définitif a été rendu.

Mais il restait une chose qui n’était pas suffisante d’après la Cour constitutionnelle: il n’est pas contraire à la Constitution d’effectuer une transaction pénale, mais si on est en face d’une transaction pénale élargie, qui peut arriver une fois que l’action publique est déjà en mouvement, il faut ici le contrôle d’un juge indépendant. Il va vérifier si les conditions de la transaction sont bien respectées (pas pour une infraction qui porte atteinte à l’intégrité physique, que le montant exigé ne soit pas supérieur à l’amende) et si le consentement de la personne est bien donné, si celle-ci était bien d’accord avec les conditions évoquées. C’est en fait le droit au recours effectif, prévu par la Convention européenne des droits de l’homme, qui doit être garanti. La loi de 2016 ne le prévoyait en fait pas encore, d’où l’intervention de la Cour constitutionnelle.

Est-ce que la transaction pénale est un “bon deal” de la part de l’Etat, qui règle plus rapidement des affaires complexes (parfois sans issue claire) et récupère donc de l’argent sans procès… On évoque souvent le sous-financement du département.

Le mot “deal” est intéressant. Parce que nous nous trouvons ces dernières années dans ce que les criminologues, comme Dan Kaminski (UCL), appellent “un managérialisme pénal”, c’est-à-dire l’idée qu’il faille composer avec un département qui a peu de moyens et qu’on doit dès lors faire au plus efficace. Régler ainsi les problèmes de façon “gestionnaire”.

Finalement, ces réformes ne sont pas effectuées car on ne souhaite pas mettre la délinquance financière en prison et qu’on remet en question cette institution carcérale ineffective mais plutôt dans un souci d’efficacité. On part du constat que c’est trop long et trop coûteux de continuer les poursuites. On tente dès lors de trouver une solution en amont, qui se fait aussi, en même temps, dans une évolution de la justice qui tend à donner de plus en plus de pouvoir au parquet. Tout se gère dès alors au niveau du ministère public, qui dépend à la fois du pouvoir judiciaire mais aussi du pouvoir exécutif. Ils n’ont pas la même indépendance et la même impartialité que les juges.

Quand on regarde le dernier plan justice de Koen Geens, celui-ci allait dans le même sens : réduction des coûts et efficacité.

Les affaires financières doivent-elles se régler de manière financière ? On voit peu de fraudeurs derrière les barreaux par exemple.

La question est de savoir si oui ou non nous allons mettre ces personnes en prison. Je ne pense pas, personnellement, qu’il faille le faire. Il est possible de trouver des solutions moins infamantes. On sait bien que les peines classiques, comme la prison, sont tout à fait inefficaces. Il faut aussi les repenser. Le fait qu’il n’y ait pas d’égalité ne veut pas dire qu’il faille justement renforcer cette répression et imposer des peines de prison. Je pense qu’il faut réfléchir à toute une série de solutions qui soient satisfaisantes pour les victimes et la collectivité et qui permettent d’éviter la récidive

Le fait de régler des affaires financières de manière financière est un débat qui doit être réglé collectivement. Carla Nagels, de l’ULB, qui a mené sa recherche sur la sociologie des élites délinquantes, a justement expliqué, en fait, que la criminalité en “col blanc” se règle souvent en amont de la justice pénale. Il existe toute une série d’institutions spécialisées en recherche de fraude qui vont intervenir en amont. La justice pénale est mobilisée en ultime recours. Des solutions de “conciliation” existent et peuvent ainsi permettre d’éviter la justice pénale. Celle-ci doit rester une exception, quand une autre voie n’est pas possible.

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