Paul Vacca

La culture considérée comme une cerise sur le gâteau

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

On estime que la culture est utile, mais tout en haut de la pyramide: comme une cerise sur le gâteau. Ainsi est-elle souvent réduite à un loisir, à un luxe ou à un privilège.

Héraclite avait tout prévu: on ne se baigne jamais deux fois dans le même confinement. Et force est de constater que la saison 2 du confinement ne ressemble en rien à la première. Celle-ci avait en effet quelque chose d’un pilote: une expérience brute, que tout le monde découvrait en temps réel, avec un bornage plutôt bien délimité (“On reste chez soi”) entraînant plutôt des questions d’ordre logistiques ou organisationnelles. En revanche, le confinement nouveau, en version allégée, avec ses contours plus flous, cherchant à ménager la chèvre sanitaire et le chou économique, fait surgir des questions plus existentielles. S’il existe pour une porte une seule façon d’être fermée, en revanche il lui existe une multitude de façons d’être ouverte. Quel degré d’ouverture pour ce nouveau confinement? Et suivant quelle logique? Il s’agit, ont répondu globalement les gouvernements, de s’en tenir à “l’essentiel”.

La société relègue encore la culture à un rang supplétif alors que les entreprises sont en train de se rendre compte que la culture constitue un de leurs capitaux les plus précieux.

Or, comment définir ce qui est essentiel? Et où l’on découvre que cette question simple a priori ouvre sur un débat byzantin. Avec un débat qui s’est cristallisé en France autour de la question de l’ouverture des librairies: la culture est-elle essentielle? Il existe un moyen simpliste d’y répondre. Si je me trouve affamé et assoiffé dans le désert et que l’on me propose d’un côté de quoi me restaurer et de l’autre les oeuvres complètes de Cervantès, la discographie des Beatles, toutes les saisons de Mad Men ou des places de musée, il me semble que mon choix sera vite fait. Survivre ou lire Proust? On a vite répondu à la question. Donc la culture n’est pas essentielle. CQFD.

Caricatural? Pas tant que cela. C’est à une argumentation à peine plus sophistiquée qu’on en appelle souvent pour évoquer le rôle de la culture. On s’inspire, par exemple, de la pyramide du psychologue Abraham Maslow qui définit la priorité des besoins: d’abord les besoins physiologiques, puis de sécurité, puis d’appartenance, puis d’estime et enfin d’accomplissement de soi. Une vision mécaniste comme si le besoin d’estime et d’accomplissement de soi se manifestait uniquement après un long processus.

Pour la culture, il en va souvent de même. On estime qu’elle est utile, mais tout en haut de la pyramide: comme une cerise sur le gâteau. Ainsi est-elle souvent réduite à un loisir, à un luxe ou à un privilège. Trois façons courantes d’euphémiser, voire de marginaliser, le rôle de la culture dans la société: en tant que pur amusement par rapport au travail qui, lui, est nécessaire, en tant que superflu non productif et en tant que chasse gardée d’une élite.

Or, il est assez paradoxal de voir que la société relègue encore la culture à un rang supplétif – Emmanuel Macron, par exemple, n’a pas prononcé une seule fois le mot “culture” lors de l’annonce du reconfinement – alors même que les entreprises sont en train de se rendre compte que la culture constitue un de leurs capitaux les plus précieux. Elles comprennent que la culture d’entreprise, c’est ce qui permet de souder les énergies, de créer un sentiment d’appartenance collectif, de développer des horizons communs. Bref, d’incarner une raison d’être.

Si la culture ne nous est pas nécessairement vitale pour notre corps physique, elle l’est en tout cas pour notre corps social: c’est elle qui nous tient ensemble lorsque tout se délite. C’est aussi sa raison d’être. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la réponse a priori paradoxale de Churchill lorsqu’on a lui aurait proposé de couper dans le budget de la culture pour financer l’effort de guerre: “Mais alors, pourquoi nous battons-nous?”

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