“Le plan de relance ne créera pas de surchauffe dans la construction”

Qui a déjà mis les pieds sur un chantier aura pu constater que l'on n'y parle ni flamand, ni français, mais majoritairement albanais, polonais ou syrien. © GETTY IMAGES
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Les carnets de commandes ne se remplissent guère depuis un an. Le secteur belge de la construction devrait donc être en mesure d’absorber les imposants chantiers du plan de relance, estime le patron de la Confédération Construction.

Isoler les logements, construire des pistes cyclables, étendre les capacités d’accueil des crèches… Les chantiers vont se multiplier d’Arlon à Ostende grâce aux moyens dégagés dans le plan de relance européen. Cela représente plus de 2,4 milliards d’euros d’investissements directs, à concrétiser d’ici la fin 2026, selon le calendrier européen. Le secteur de la construction est-il prêt à assumer un tel afflux de commandes? Il y a de quoi s’interroger quand on sait que ce secteur souffre de pénuries chroniques dans certains métiers (5.000 postes vacants en 2019, rien qu’en Wallonie) et doit souvent appeler à la rescousse des sous-traitants venus de l’est de l’Europe. Le fameux “effet multiplicateur” des investissements dans la construction est donc loin d’être acquis pour l’économie belge.

L’une de nos spécificités est d’avoir toujours misé sur la formation en entreprise.”

Robert de Mûelenaere (Confédération Construction)

Heureusement, le secteur et les autorités ont anticipé ces risques et, aujourd’hui, l’administrateur délégué de la Confédération Construction, Robert de Mûelenaere, déclare “sans hésiter” que les entreprises pourront répondre à l’afflux des commandes publiques. “Le plan de relance ne créera pas de surchauffe dans nos entreprises”, affirme-t-il. Sa confiance repose notamment sur une analyse statistique. Investir 650 millions d’euros par an dans la construction, cela paraît beaucoup. Mais en fait, cela ne représente qu’un petit pour cent du chiffre d’affaires de l’ensemble du secteur (68 milliards). “En proportion, c’est donc tout à fait gérable pour nos entreprises, dit Robert de Mûelenaere. C’est d’autant plus vrai que le volume de l’emploi a été préservé alors que les carnets de commandes se sont, eux, contractés. A la fin de l’année, 60% des entreprises affichaient un carnet de commandes inférieur à celui de l’année précédente. Et pourtant, globalement, le secteur a préservé sa capacité de production. Il est donc tout à fait capable de rebondir.”

Mieux: l’accord sectoriel 2019-2020 (qui n’a pas été transposé en raison des affaires courantes, puis de la crise corona) prévoit déjà des facilités pour le recours aux heures supplémentaires et devrait donc, estime le patron de la Confédération, “aider à absorber l’excédent de travaux amené par le plan de relance“.

Les chantiers, ça s’anticipe

Le calendrier de réalisation n’est en outre peut-être pas aussi étriqué que la présentation officielle le laisse penser. D’une part, de nombreux dossiers étaient déjà dans les cartons depuis des mois voire des années, les entreprises les plus prévoyantes avaient donc pu les anticiper. On songe ici en particulier au focus mis sur la rénovation énergétique des bâtiments, publics et privés, très souvent évoquée par le passé et pour laquelle le secteur a eu le temps d’intégrer les évolutions technologiques.

D’autre part, entre la présentation des projets et l’ouverture effective des marchés, il y a encore un délai que les entreprises peuvent mettre à profit pour préparer leurs équipes. En Wallonie, le cluster Cap Construction, qui rassemble toute la chaîne depuis les architectes jusqu’aux fabricants de matériaux, s’y attelle. “Nous avons beaucoup travaillé avec la Région wallonne pour la stratégie de rénovation énergétique du bâti, explique Deborah Depauw, directrice de Cap Construction. Depuis que les projets du plan de relance sont connus, nous avons mis en place un réseau pour faire circuler l’information entre tous les acteurs, de façon à ce que les marchés qui vont sortir puissent déjà être étudiés en amont.”

© PG

Grâce à ce travail d’anticipation et à l’étalement des chantiers sur cinq ans, Deborah Depauw voit dans le plan de relance “une belle opportunité de tester une série d’innovations”, tant dans le domaine des matériaux que des montages juridico-financiers ou même dans les procédures administratives. “La majorité de ces travaux nécessiteront des permis d’urbanisme, dit-elle. Il faut être sûr qu’ils soient délivrés dans les temps, c’est une belle occasion de franchir l’étape de la simplification administrative. ” Les entreprises ont, quant à elles, fortement innové ces dernières années. Les producteurs développent des matériaux plus durables et des filières circulaires, tandis que les impressions 3D, la préfabrication ou le suivi digital des chantiers ont considérablement changé la donne dans un secteur longtemps considéré comme “traditionnel”. “On sent la volonté de digitalisation, dès la plus petite entreprise, reprend la directrice de Cap Construction. Notre secteur a complètement muté en quelques années.”

Les investissements privés prendront le relais

Cette évolution peut s’avérer un atout pour attirer des jeunes vers les métiers de la construction et résoudre ainsi les pénuries récurrentes dans certains métiers. Robert de Mûelenaere est en tout cas convaincu que les difficultés de recrutement n’empêcheront pas son secteur de jouer son rôle dans la relance. “L’une de nos spécificités est d’avoir toujours misé sur la formation en entreprise, confie-t-il. Nos métiers évoluent en permanence, c’est sur le terrain qu’ils sont enseignés. Nos entreprises ont besoin de jeunes motivés. Tant mieux s’ils sont diplômés, mais s’ils ne le sont pas, ils apprendront sur le terrain. L’important, c’est qu’ils soient motivés. C’est en entreprise qu’on s’enthousiasme pour les métiers de la construction, pour la polyvalence, la variété qu’ils permettent.”

Admettons donc que le plan de relance ne créera pas de “surchauffe” dans le secteur de la construction. Cette surchauffe pourrait cependant survenir dans un second temps, quand la relance aura fait son oeuvre (un euro investi en génère deux autres à travers toute la chaîne de valeur), que les particuliers voudront construire ou rénover leur maison, que les entreprises auront besoin d’ateliers supplémentaires, etc. “Il n’y aura pas de surchauffe non plus car ces besoins s’adressent à des entreprises différentes, rassure Robert de Mûelenaere. Les travaux publics, c’est un segment de notre secteur, essentiellement composé de grandes entreprises. Chez les particuliers, ce sont les milliers de microentreprises, parfois des indépendants, qui s’en chargeront. La construction a toujours été capable de rebondir, notamment grâce à sa capacité d’autoformation des jeunes.” “Le plan de relance, ce n’est pas un one-shot mais un tremplin pour créer le climat économique de demain, conclut Deborah Depauw. C’est le moment de stimuler la demande privée, de créer le contexte favorable à l’investissement public, de mettre en place des stratégies de formation et d’innovation.”

“Heureusement que les commandes publiques vont prendre le relais”

“Pour moi, cela a parfaitement du sens de relancer l’investissement public aujourd’hui, confie Virginie Dufrasne, CEO de l’entreprise de construction Lixon (Charleroi). La crise et les perspectives très incertaines ont réduit les commandes B to B, que ce soit dans l’industrie ou les bureaux. Heureusement que les commandes publiques vont prendre le relais.” Sa société a traversé une année 2020 en dents de scie, avec un arrêt total au mois de mars et une reprise, avec des conditions sanitaires précises, à partir de la mi-avril. “La vie a repris, dit-elle. Nous pouvons travailler et vendre des appartements. Le chômage temporaire fut très utile durant tout ce temps, nous avons dû apprendre à travailler autrement. L’esprit d’équipe fut vraiment important, nous avons beaucoup parlé sur le terrain pour entretenir tous les maillons de la chaîne.”

© BELGAIMAGE

Lixon a en outre tenu à respecter ses engagements auprès des jeunes, qui ont continué à être accueillis en stage dans l’entreprise, tant chez les cols bleus que blancs. Une manière d’arrimer ces jeunes dans un secteur où des métiers sont régulièrement en pénurie? “Notre secteur n’est pas très bien valorisé, alors que ce sont de super beaux métiers dans lesquels on voit concrètement ce que l’on fait, répond Virginie Dufrasne. La jeune génération est beaucoup plus volatile. Il n’est pas rare de voir un jeune nous quitter après deux ou trois trois ans car il veut profiter de la vie, faire le tour du monde à vélo. Parfois, je les envie un peu – j’adore voyager – mais sur un chantier, ce n’est pas pratique.” Elle ne s’inquiète toutefois pas trop d’éventuelles pénuries de main-d’oeuvre car les travailleurs que Lixon ne trouve pas en Belgique, il va les chercher chez des sous-traitants étrangers. “J’ai toujours rêvé d’une Europe fiscale, conclut la patronne de cette entreprise familiale. En attendant, nous devons composer avec la réalité. Alors oui, il y a des sous-traitants étrangers dans la construction, mais ailleurs aussi. Et puis, cette sous-traitance, elle reste européenne.”

“L’isolation est un bon vecteur de croissance”

“Les fabricants s’étaient préparés à une croissance de la demande pour les matériaux d’isolation, beaucoup ont investi et ils n’auront aucun souci pour livrer les entreprises de construction.” Patrick Renard, CEO de Knauf-Belgique, se réjouit du focus sur l’isolation des bâtiments, prévu dans les plans de relance et qui est, selon lui, “un bon vecteur de croissance”. Son entreprise en est l’illustration parfaite puisqu’elle possède, à Visé, la plus grande usine européenne de production de laine de verre et qu’elle y investit une dizaine de millions d’euros dans une unité de recyclage de cet isolant.

Knauf a injecté une autre dizaine de millions dans le lancement d’une filiale digitale en mode start-up. Knauf-Energy a développé un outil capable, à partir d’une série de capteurs, de calculer de manière précise les économies d’énergie générées par l’isolation de murs, la pose de double vitrage ou tout autre investissement écologique domestique. “Notre outil, mis au point en Belgique, est breveté et nous sommes convaincus de son potentiel sur l’ensemble de l’Europe”, dit Patrick Renard.

© PG

Le groupe familial, fondé par un Allemand qui vit désormais à Liège, emploie 35.000 personnes dans le monde et 850 personnes en Belgique. Chez nous, il produit, outre la laine de verre, des plaques et carreaux de plâtre (Engis et Waregem). “La concurrence est libre, bien sûr, mais j’espère que nos dirigeants pourront être créatifs pour donner leur chance aux producteurs locaux et maximiser les retombées du plan de relance”, ajoute-t-il. Cette créativité, le CEO espère la voir aussi à l’oeuvre pour inciter les jeunes et les demandeurs d’emploi à se tourner vers le secteur de la construction. “Nous avons de besoins de profils très variés, conclut Patrick Renard. Des techniciens bien sûr, mais aussi des personnes formées au digital, qui avance très vite dans la construction.”

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content