Immo: “Une bonne situation ne vous mettra pas à l’abri d’une baisse de prix”

Étienne De Callataÿ © Reporters

Sain, le marché du logement ? Le prix des habitations aurait dû augmenter beaucoup plus, estime Etienne de Callataÿ. Cela n’a pas été le cas et l’économiste nous livre son analyse à ce propos.

Sacrilège ! Etienne de Callataÿ a osé déclarer devant un parterre de spécialistes immobiliers, lors d’un récent séminaire de l’Upsi (Union professionnelle du secteur immobilier), que la situation d’un bien n’était plus un gage de succès.

Durant notre entretien, l’économiste en chef d’Orcadia Asset Managment n’hésite pas à bousculer d’autres idées préconçues. “L’immobilier, un placement sûr ? Pas toujours. Demandez donc à un acquéreur d’une belle maison de maître à Molenbeek s’il juge son investissement immobilier si sûr. Les quartiers peuvent changer et les prix baisser. Prenez l’exemple du marché des bureaux : le vieillissement technologique des immeubles de bureaux est dramatique.”

En tant qu’observateur extérieur, Etienne de Callataÿ jette un regard critique sur le secteur immobilier et tente la comparaison avec le marché des actions, qu’il connaît comme sa poche.

“Les investisseurs en actions savent à quel point il est difficile de réaliser une belle plus-value sur une action individuelle quand le marché actionnaire général est à la baisse, argumente Etienne de Callataÿ. Ceci dit, ce n’est pas impossible : même sur un marché actionnaire baissier, certaines actions affichent un rendement positif. Mais c’est plutôt l’exception qui confirme la règle. Pour qu’un placement donne de bons résultats, il faut que le genre d’actifs choisi performe correctement. Il en va de même pour les investissements immobiliers. Peut-on réaliser un bon rendement en sélectionnant un bien de qualité bien situé malgré un marché immobilier en berne ? Je ne dis pas que c’est impossible mais c’est tout sauf facile.”

TRENDS-TENDANCES.Vous parlez de marché immobilier en berne. Anticipez-vous une forte augmentation des taux d’intérêt ?

ÉTIENNE DE CALLATAY. Je constate que malgré l’effondrement des taux d’intérêt à court et à long terme, les performances de l’immobilier résidentiel sont plutôt décevantes. On pourrait en conclure un peu trop hâtivement qu’il n’y a plus de lien entre les taux d’intérêt et les prix immobiliers. Grossière erreur. Les taux sont importants effectivement, mais d’autres éléments pèsent également dans la balance.

Primo : en réaction à la crise financière, la Banque nationale a durci les conditions d’octroi de crédit hypothécaire. Secundo, l’évolution des revenus est quasi nulle, en Belgique comme à l’étranger. Un troisième élément possible est la fiscalité. Bien qu’il s’agisse davantage de crainte ou de ressenti que de réalité car on ne peut pas vraiment dire que nos gouvernements – fédéral et régionaux – aient pris des mesures fiscales défavorisant l’immobilier. Mais les citoyens ont conscience que cela peut arriver, ce qui a peut-être aussi joué.

Ces trois éléments ont en quelque sorte occulté le lien qui existe entre les taux d’intérêt et les prix immobiliers. Cela signifie-t-il que la baisse des taux n’a eu aucun effet ? Non, sans la baisse des taux, les prix immobiliers seraient un peu moins élevés aujourd’hui.

Le risque d’effondrement du prix des logements en Belgique vous semble-t-il réel ?

Non. Etant donné la structure de la propriété dans notre pays, notre marché du logement ne risque pas de se crasher. Notre patrimoine immobilier appartient pour environ trois-quarts à des propriétaires qui occupent leur bien. Ils ne vont pas vendre si les taux montent. Sauf peut-être ceux qui financent l’achat de leur logement avec un prêt à taux variable et pour qui une hausse des taux pose problème. Mais il ne s’agit là que d’une infime minorité. Le quatrième quart appartient en grande partie à de petits investisseurs particuliers qui possèdent deux, trois, voire quatre appartements. Ils ne seront pas plus tentés de vendre sur un marché baissier. Ils n’ont pas envie de vendre avec une moins-value. Par ailleurs, ces investisseurs immobiliers particuliers disposent généralement d’un bon bas de laine. Ils préfèrent puiser dans leurs économies plutôt que de vendre un bien à un prix qu’ils estiment trop bas.

L’immobilier forme un tout. On peut difficilement vendre une salle de bains ou une chambre à coucher. C’est tout ou rien. Et d’ailleurs, que faire avec les 200.000 euros obtenus de la vente de l’appartement ? Pour toutes ces raisons, je ne m’attends pas à une déferlante de ventes. Et sans un accroissement conséquent de l’offre, les prix ne devraient pas s’effondrer.

A quoi faut-il donc s’attendre en cas de forte hausse des taux d’intérêt ?

Je ne crois pas à une remontée des taux à 10 ou 15 % comme à la fin des années 1970, début des années 1980. Mais le niveau actuel de moins de 1 % pour les taux sur 10 ans n’est pas normal. Le taux va-t-il grimper à 4 ou 5% ? Je l’ignore mais une augmentation à 2-3 % est une quasi certitude.

Une stabilisation du marché du logement avec des prix à la traîne sur l’inflation est vraisemblable. Ce qui veut dire un rendement négatif pour l’investisseur immobilier car cette plus-value est indispensable pour couvrir les frais : le vieillissement du bien, les taxes, etc. Ces facteurs jouent un rôle plus marginal dans le cas d’un investissement en actions.

A en croire les professionnels de l’immobilier, une bonne situation est la meilleure parade contre une dévalorisation…

C’est indéniable, la situation est primordiale dans le cas d’un investissement immobilier. Normalement, le prix du bien tient compte de la situation.

Une bonne situation offre une certaine protection contre un éventuel effondrement des prix mais à partir du moment où le prix est déjà très élevé en fonction du potentiel du bien, une moins-value n’est pas exclue, aussi excellente la situation fût-elle. Quand il est question de correction sur le marché du logement, il s’agit le plus souvent de biens idéalement situés, au Zoute par exemple.

Le plus important pour un bon investissement immobilier est l’évolution probable du contexte local. Le Sablon à Bruxelles, par exemple, a connu un formidable regain d’intérêt. Mais il faut parfois aussi oser investir dans des quartiers pauvres défavorisés.

Le marché belge du logement vous semble-t-il surévalué ?

La réponse classique serait : “Il n’est pas surestimé comparé aux prix beaucoup plus élevés pratiqués à l’étranger”.

J’ai lu qu’il était possible d’acheter un appartement de 60 m2 pour 200.000 euros à Bruxelles. Pour ce prix-là, vous devez vous contenter de 20 m2 à Paris et de 11 m2 à Londres.

Donc, oui, si l’on tient compte du prix au mètre carré, Bruxelles reste raisonnable. Malgré cela, je trouve le marché immobilier belge surévalué, comme l’indique l’analyse de la Banque nationale. La méthodologie est critiquée : les ratios price to income et price to rent ne seraient pas valables. Même s’ils ne sont pas parfaits, il serait dangereux de les nier.

J’en reviens à la stabilisation des revenus et du pouvoir d’achat. Le ratio price to income est élevé en Belgique, ce qui en soi est déjà révélateur d’une certaine surévaluation.

Même si le prix d’une belle maison de maître ou d’une villa chic à Bruxelles ou à Anvers paraît ridicule comparé à l’étranger, quand les revenus stagnent, impossible de transformer cette belle habitation en deux, trois ou quatre appartements et les prix partent à la baisse.

La fiscalité est une autre menace. Les droits d’enregistrement sont exorbitants dans notre pays. En revanche, les charges récurrentes sur les revenus locatifs sont peu élevées.

Un accroissement des taxes sur les revenus locatifs est prévisible. C’est déjà le cas à l’étranger. Il ne faut pas être communiste pour défendre une telle mesure.

Y a-t-il encore des opportunités sur le marché immobilier belge ?

Absolument. Certains s’intéressent de près à l’immobilier estudiantin, d’autres aux magasins le long des grands axes routiers ou aux bureaux… Mais ici aussi, il n’est pas facile d’obtenir un bon rendement sur un marché en berne.

Avec 200.000 euros, on peut acheter un appartement. L’acquéreur potentiel sera tenté d’acheter dans le quartier qu’il habite car il le connaît bien et c’est aussi plus commode pour assurer le suivi et la gestion. Mais il met ainsi tous ses oeufs dans le même panier. Quid si le quartier se détériore ?

Je vois d’un mauvais oeil les agents immobiliers qui prétendent que c’est toujours le bon moment d’investir dans l’immobilier. La crédibilité du secteur en souffre.

J’ai aussi déjà entendu dire que c’est le moment idéal à la fois pour acheter et pour vendre, une affirmation indéfendable sur le plan économique.

PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENZ VERLEDENS

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