Guillaume Pinte (Emeria Benelux): “Emeria n’est pas là pour faire de la figuration”

C’est dorénavant le numéro un belge des services immobiliers résidentiels. Peu de monde connaît pourtant le groupe Emeria Benelux. Sa croissance ces 18 derniers mois a été particulièrement importante. Et cela semble loin d’être fini.

La notoriété des deux marques n’est plus à démontrer. Trevi et l’Office des Propriétaires (OP) sont bien connus du petit monde immobilier. Reste qu’aujourd’hui, pas grand monde ne sait que ce ne sont que deux marques parmi la demi-douzaine d’autres qui font partie du groupe Emeria Benelux. Le leader européen des services immobiliers résidentiels (gestion de copropriétés et gestion locative, achat et vente, property management) a décidé en janvier 2021 d’accentuer sa présence en Belgique. Et c’est Guillaume Pinte qui est chargé de mettre la fusée sur orbite.

Profil

  • 52 ans
  • Formation d’ agent immobilier
  • Début de carrière dans la grande distribution en 1990 (Delhaize Le Lion, Intermarché France, Leroy Merlin, Brico – Groupe Maxeda, Cora)
  • Devient gestionnaire de syndic en 2010
  • Reprend le bureau Knuets Immobilier en 2012 et de l’Office des Propriétaires en 2015
  • Devient CEO d’Emeria Benelux en janvier 2020

TRENDS-TENDANCES. La notoriété d’Emeria en Belgique est inversement proportionnelle à son poids sur le marché immobilier des services résidentiels. Comment expliquer cette discrétion?

GUILLAUME PINTE. Par une volonté de notre part de d’abord communiquer via nos marques fortes pour ne pas ajouter de l’instabilité à cette période de fusions et d’acquisitions. Nous sommes donc restés dans l’ombre depuis près de deux ans. Il est toutefois temps que le monde immobilier et le grand public réalisent l’importance de ce groupe. Nous sommes 400 employés, nous serons 700 à la fin de l’année. Le chiffre d’affaires a triplé en 18 mois. La croissance est importante et rapide.

Emeria, c’est quoi?

Emeria Benelux dépend de Partners Group, qui est un fonds d’investissement de private equity basé en Suisse qui a racheté le groupe français Foncia en 2018. Foncia avait une filiale en Suisse, en Allemagne et en Belgique via Trevi. Partners Group avait de grandes ambitions et souhaitait que chaque filiale d’Emeria (nouveau nom de Foncia depuis janvier 2022) se développe. Le développement belge s’est déroulé via le rachat de l’Office des Propriétaires en janvier 2021, dont j’étais le CEO, tout en me confiant dans la foulée les commandes d’Emeria Benelux.

Emeria en chiffres

2.000 copropriétés sont gérées via un syndic d’immeuble

5.300 biens sont en gestion locative

44 millions En euros, le chiffre d’affaires 2021

400 personnes travaillent pour Emeria

Avec quelle feuille de route entre les mains?

J’ai carte blanche. La méthode la plus rapide pour y parvenir est d’acquérir les acteurs importants du marché. La croissance s’est donc faite via une quinzaine d’acquisitions en 18 mois. La base, c’était OP et Trevi, auxquels nous avons ajouté Esset, Gestea et Smart Syndic en mai 2022. Quand je suis arrivé, Trevi faisait 16 millions d’euros de chiffre d’affaires, le groupe en fera 44 d’ici la fin de l’année. Soit trois fois plus. Et ce via une croissance organique et des acquisitions.

De quoi se compose aujourd’hui Emeria Benelux?

Nous disposons de sept marques fortes qui représentent autant de services différents pour nos clients. Elles ont toutes été restructurées, avec de nouveaux objectifs, plus clairs, pour s’insérer dans une dynamique de groupe. Avec comme avantage aussi une bonne répartition géographique: Trevi était présent à Bruxelles, Gand et Hasselt ; OP à Gand, Bruxelles et au Grand-Duché du Luxembourg. Trevi s’occupe désormais uniquement de la vente et de la location de biens immobiliers, OP de gestion locative et de gestion des copropriétés alors qu’Esset est un service B to B de property management et de courtage immobilier d’entreprises (avec BNP et Ceusters comme principaux concurrents). Nous sommes le seul acteur en Belgique à proposer ce panel de services à nos clients. Seul Syncura, actif en Flandre, peut éventuellement être mis sur un même pied. Nos services résidentiels représentent 75% de notre activité et les services B to B 25%. Notre objectif est de développer chacune des marques sous leur nom. Certaines sont encore relativement petites mais sont amenées à connaître une croissance importante. Emeria a la volonté de rentrer en Bourse d’ici trois à cinq ans, il faut donc être ambitieux.

Guillaume Pinte (Emeria Benelux):

Quels types de sociétés lorgnez-vous encore pour faire grandir le groupe?

Toutes les marques que nous possédons sont cohérentes par rapport à nos ambitions. L’objectif est de renforcer chaque structure sur ses bases. Nous voulons être leader sur chacun des métiers où nous sommes présents. Le plus rapide, c’est de passer par des acquisitions. Pour le Luxembourg, nous souhaitons nous développer en property et en asset management. Même chose aux Pays-Bas.

La Flandre est un axe d’attaque spécifique?

En effet. Aujourd’hui, Dewaele Vastgoedgroep, Vande Moortel Real Estate et Parte se partagent le marché. L’objectif est clairement d’y prendre une place importante. Nous sommes déjà présents à Louvain, Hasselt et Gand. Ce sera un vrai objectif en 2023. Nous n’y avons pas la représentation que nous souhaitons avoir. Cela passera normalement par des opportunités d’acquisitions. Et pour le réseau immobilier Trevi, nous allons aussi le développer en Flandre en 2023 via des agences intégrées.

Si vous semblez avoir les mains libres, les poches semblent aussi bien pleines pour investir…

Nous avons en tout cas la confiance de nos actionnaires. Nous savons très bien où nous voulons aller. Partners Group souhaite que l’on atteigne rapidement des positions de leader sur les différents marchés. Et c’est à moi à adapter la stratégie pour atteindre ces objectifs. Nous n’avons pas de souci de capacités d’investissement mais il ne faut bien évidemment pas faire n’importe quoi. Il y a un potentiel de croissance mais croître à tout prix n’est pas non plus une volonté inébranlable. Il faut qu’elle reste raisonnée.

La multiplication du nombre de petits investisseurs sur le marché immobilier entraîne bien évidemment une augmentation des besoins de gestion de copropriétés et de gestion locative. Un contexte idéal pour vous…

Il y a en effet de plus en plus de multipropriétaires. Même les quelques nuages qui pourraient arriver, comme la taxation des loyers réels ou la hausse des taux d’intérêt, ne freinent pas leur appétit. Et ce, même si le rendement est relativement faible, autour de 2% pour un bien neuf. L’inflation nous aide toutefois. La plus-value est par contre une assurance contre le risque.

Le marché ne semble n’avoir jamais été aussi large…

Nous sommes aidés par deux éléments: les promoteurs construisent de plus en plus de grandes copropriétés, ce qui pousse à faire appel à un syndic professionnel. C’est moins obligatoire dans les immeubles de trois à cinq unités. Nous sommes également aidés par le fait que le métier de syndic est clairement en pénurie car il est peu valorisé et peu reconnu par les propriétaires. Il éprouve donc certaines difficultés à être respecté.

Un déficit d’image qui n’est pas neuf…

Il est tout à fait possible pour un syndic d’immeuble d’avoir des rentrées intéressantes. Nous le démontrons. Même si, il faut l’avouer, cette fonction est le parent pauvre du monde immobilier.

La digitalisation ne peut-elle faciliter cette fonction?

Oui, bien évidemment. Nous poussons d’ailleurs pour travailler en ce sens. Mais il faut se rendre compte que si une personne âgée ne possède pas d’ordinateur ou est réfractaire à son usage, il n’est par exemple pas possible de faire d’assemblée générale par ce biais. Dans notre portefeuille de sociétés, la start-up Smart Syndic doit justement permettre de faciliter le travail des copropriétés de maximum 10 unités via ce volet digital.

Comment se porte le marché de la gestion locative?

Il y a de plus en plus de demandes. Les investisseurs se rendent compte que les investissements en Bourse sont extrêmement volatils. Ils préfèrent donc acheter un bien immobilier. La difficulté est qu’il faut ensuite gérer cette acquisition. Suivre les travaux, les indexations, réinvestir dans le bien pour maintenir le niveau de loyer n’est pas une mince affaire. Le marché de la gestion locative est de plus en plus complexe.

Faire appel à un service de gestion locative signifie néanmoins faire une croix sur le rendement…

Pas nécessairement. Une gestion locative coûte en moyenne 7 à 8% du loyer. Ceux qui possèdent trois, six ou dix appartements se rendent vite compte que la gestion de leur bien ne leur coûte rien. Pourquoi? Car quand vous travaillez ou que vous voyagez, vous manquez certaines échéances dans la gestion de votre appartement. Régulièrement, des propriétaires ne relèvent pas le versement de leur loyer, n’indexent pas le loyer ou ratent le moment de résiliation du bail. En additionnant ces éléments, ils se rendent compte qu’en confiant leur bien en gestion, ils sont rarement perdants.

Guillaume Pinte (Emeria Benelux):

L’évolution du marché vers un marché de locataires ne peut faire que renforcer vos positions. Croyez-vous à cette bascule?

Oui, mais ce sera lent. La plupart des fonds d’investissement ou de pension se sont déjà jetés sur le marché résidentiel depuis 10 ou 15 ans.

Mais pas en Belgique…

En effet, car peu d’acteurs sont à même de gérer de gros portefeuilles résidentiels de plus de 1.000 unités. Le niveau de reporting et de numérisation qu’exigent des investisseurs institutionnels est élevé. Notre force, via Esset, est de pouvoir atteindre ce niveau d’exigence tant sur les segments du bureau que du résidentiel.

Les investissements via des institutionnels devraient se multiplier. Comment allez-vous vous positionner face à cela?

Nous avons déjà des fonds d’investissement dans notre portefeuille, dont le plus important de Belgique avec 850 appartements. D’autres vont suivre. Mais le vrai frein est le déficit de programmes immobiliers destinés à la vente en bloc. Pourquoi? Car les investisseurs demandent des rendements que les promoteurs ne sont pas prêts à céder. En Belgique, aucun promoteur n’a des surstocks qu’il pourrait vendre en blocs. Ils doivent aussi réserver une partie de leur offre pour les petits investisseurs privés. Il y a une réelle demande sur ce segment de marché, pour se protéger de l’inflation.

Les prix des loyers ont peu évolué par rapport aux prix de l’immobilier. Peut-on s’attendre à un effet de rattrapage?

Les loyers n’ont pas ou peu évolué jusqu’en 2020. Depuis la pandémie, les biens de qualité avec un espace extérieur ou un bureau ont toutefois réellement vu leur loyer grimper. Et ceux qui ont un bon PEB voient aussi leur loyer augmenter. Alors qu’auparavant, les locataires ne s’en souciaient pas.

Une de vos dernières missions a été de gérer les hausses des coûts de l’énergie dans les copropriétés. Quel regard portez-vous là-dessus?

Cela reste compliqué. Nous avons des contrats-cadres avec des fournisseurs. Mais cela ne s’étend que sur un an. Nous devons en effet faire face à de grosses augmentations, avec des factures qui sont parfois multipliées par quatre. Dans certaines grosses copropriétés, les factures hivernales sont passées de 10.000 euros par mois à 45.000 euros. C’est clairement un problème à gérer. Il faut donc faire appel à des fonds de roulement pour combler ces augmentations de charges. Avec les tensions que cela génère…

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