Comment le tram va impacter l’immobilier liégeois

© PG / BONMARIAGE SARAH

L’arrivée du tram devrait transformer la cité liégeoise, tant en matière de mobilité que d’espaces urbains. Si bien que sa mise en route à l’automne 2022 est déjà anticipée par les promoteurs immobiliers et par quelques investisseurs privés. De quoi permettre à l’un ou l’autre quartier en difficulté de retrouver des couleurs. Et de voir grimper les prix?

Un tracé de 11 kilomètres, 21 stations, trois terminus, trois ans de travaux et 400 millions investis. Quinze ans après les premières discussions, le tram liégeois entrera en piste en octobre 2022. Il permettra de relier Sclessin à Coronmeuse/Bressoux en 30 minutes. Et devrait théoriquement complètement redistribuer la mobilité en centre-ville. “Près de 2.000 bus passent chaque jour devant la gare des Guillemins, fait remarquer l’architecte Daniel Boden (Atelier du Sart-Tilman), qui pilote le projet sur le plan urbanistique. Cela ne pouvait plus continuer. Les Liégeois ne s’en rendent pas encore compte car les travaux sont contraignants, mais les gains en matière de qualité de vie seront gigantesques.”

Le bourgmestre multiplie actuellement les réunions pour prolonger le tram vers Seraing et Herstal.

L’arrivée d’un tram est loin d’être anecdotique. Bordeaux, Nantes, Grenoble et Nice ont notamment pu s’en rendre compte ces dernières années. D’autant que cet aménagement s’accompagne le plus souvent d’une reconfiguration des espaces publics. Ce qui sera le cas à Liège puisque près de 50 hectares seront reconfigurés tout le long du parcours. “Le tram est en effet un mode de déplacement qui modifie clairement le visage d’une ville, explique Jean-Marie Halleux, professeur de géographie économique à l’ULiège. Il s’agit également d’un catalyseur pour recomposer des espaces urbains via divers projets immobiliers. Mais pour être une réussite, son arrivée doit toutefois s’accompagner d’un vrai projet de ville, que ce soit en matière d’espaces publics ou d’espaces verts. Il peut également permettre de séduire à nouveau des populations qui n’étaient plus attirées par l’idée d’habiter en ville, comme la classe moyenne.”

Un tracé déjà cadenassé

Le tram liégeois aiguise en tout cas l’appétit des promoteurs immobiliers. La plupart des terrains ou immeubles intéressants situés le long ou à proximité du tracé ont déjà fait l’objet de prises de position. “Mais il reste encore quelques sites intéressants”, sourit toutefois Régis Ortmans, business manager Matexi Liège-Namur-Luxembourg. Ceux qui n’ont pas encore mis la main sur du foncier ou sur un immeuble à réhabiliter devront toutefois faire tourner un peu plus la planche à billets dans les prochains mois. “Le tram a clairement remis au centre de la carte des quartiers qui ne l’étaient plus”, ajoute Frédéric Driessens, le CEO de Noshaq Immo. De quoi même devenir dans certains cas un facteur clé du développement d’un projet immobilier. “Sans le tram, je n’aurais jamais acheté l’ancienne usine d’AB InBev à Jupille pour y développer ce projet mixte de 94 appartements, explique Christophe Nihon, administrateur délégué de Promactif Groupe. Le site est idéalement situé, à 1,3 km du terminus. Outre la qualité des biens, ce sera clairement un critère d’achat pour les futurs acquéreurs du projet Lift ô Loft. J’offrirai d’ailleurs à chaque propriétaire une trottinette et un vélo de même qu’un abonnement d’un an au tram. De cette manière, ils pourront effectuer le last mile sans souci.”

Lift ô Loft. Ce projet mixte de 94 appartements (Promactif Groupe) va être développé sur le site de l'ancienne usine d'AB InBev à Jupille, à 1,3 km du terminus.
Lift ô Loft. Ce projet mixte de 94 appartements (Promactif Groupe) va être développé sur le site de l’ancienne usine d’AB InBev à Jupille, à 1,3 km du terminus.© ALTIPLAN

Même situation pour le projet Rives Ardentes (consortium NeoLégia), à Coronmeuse, où les promoteurs Willemen et CIT Blaton auraient davantage hésité à investir dans ce nouveau quartier de 1.325 logements s’ils n’avaient pas obtenu que le tram termine son trajet à deux pas de la presqu’île. “D’autant qu’il s’agit d’un élément clé de la philosophie de ce quartier qui met en avant les modes doux, relève Ronald Rifllart (Syntaxe), un des architectes du projet. Le tram permet de changer la perception que les habitants peuvent avoir de leur ville. Des zones dites sensibles deviennent des quartiers en devenir grâce à ce mode de déplacement.”

Sclessin et Coronmeuse grands gagnants

Déterminer les quartiers qui vont le plus profiter de l’arrivée du tram s’avère un exercice complexe. Même si la plupart des observateurs s’accordent pour affirmer que les extrémités du tracé en seront les grands bénéficiaires. A savoir Sclessin et le duo Coronmeuse/Bressoux. “Les deux terminus vont clairement en profiter, lance l’échevine de l’Urbanisme Christine Defraigne. Outre le vaste projet immobilier Rives Ardentes, nous allons, par exemple, développer une zone d’activité économique à Coronmeuse dès que la modification du plan de secteur sera validée. La Foire internationale s’implantera à Droixhe et je viens d’approuver le permis permettant la requalification de la tour Lille 4, aussi à Droixhe. Alors qu’à Sclessin, la reconfiguration du stade est très attendue, avec notamment l’érection de 14.000 m2 de bureaux. Sans oublier que la Ville va lancer d’ici peu un appel à intérêt pour transformer le château de Sclessin. D’une manière générale, nous avons aujourd’hui clairement dépassé le stade de l’observation de la part des développeurs. Nombre d’entre eux prennent des renseignements et introduisent des dossiers en fonction du tram. C’est prometteur. D’autant que les projets ne se concentrent pas uniquement le long du parcours mais également de l’autre côté de la Meuse.”

Cet immeuble de 10 appartements (Matexi) situé dans le Grand Léopold illustre bien l'actuelle redynamisation du bâti en vigueur dans le centre de Liège. La livraison est prévue en 2022.
Cet immeuble de 10 appartements (Matexi) situé dans le Grand Léopold illustre bien l’actuelle redynamisation du bâti en vigueur dans le centre de Liège. La livraison est prévue en 2022.© ALTIPLAN

Il ne faut en tout cas pas être un grand expert en immobilier pour se rendre compte que certains immeubles vont particulièrement prendre de la valeur suite au passage du tram. Un exemple? Les propriétaires des appartements situés le long du quai Saint-Léonard auront à l’avenir des espaces apaisés au pied de leur immeuble plutôt qu’une voirie à six bandes. Une évolution de la qualité de vie qui se répercutera indéniablement sur les prix. D’autres quais, comme ceux de la Batte ou Timmermans, en profiteront également. “Le tram et ses aménagements vont clairement redonner une attractivité au centre-ville, explique Nadège Duvivier, cofondatrice de Sen5, un bureau d’études liégeois en aménagement du territoire et urbanisme. Il va également favoriser l’implantation de bureaux et d’autres services. Pour le reste, Sclessin devrait en effet être tiré vers le haut, de par sa situation en bout de ligne, proche de l’autoroute et du quartier plus verdoyant de Cointe, tout comme le quartier des Guillemins. Les maisons de maître avec jardin de l’ensemble Fragnée-Guillemins vont, quant à elles, prendre de la valeur. Pour les quartiers d’Avroy et de la place Saint-Lambert, les effets seront plus longs à observer. Enfin, à Droixhe, on en parle moins que sur le reste de la ligne, mais c’est finalement peut-être là que va se jouer une grande part du redéploiement urbain lié au tram.” Ajoutons que l’attractivité du Val Benoit devrait également connaître un coup d’accélérateur.

Une seconde phase en discussion

Si l’arrivée du tram devrait tirer les prix de l’immobilier vers le haut et devenir un argument de vente, il est encore difficile de définir l’ampleur de cette hausse. D’autres exemples européens démontrent en tout cas que l’ensemble du bâti prend de la valeur. Avec, dans certains cas, des hausses de 10 à 15%. “Mais c’est notamment lié au fait que l’arrivée du tram s’accompagne d’une requalification des espaces, ce qui augmente l’attractivité de la ville, tempère Régis Ortmans. On le voit aussi dans le quartier Grand Léopold où nous venons de recevoir un permis pour un projet de 10 appartements. Le quartier est en pleine revitalisation et cela a un impact sur l’attractivité et les prix. Pour le reste, je n’ai pas de boule de cristal mais si l’on a observé une nette augmentation des valeurs à Bordeaux, il devrait en être de même ici. Le marché évolue et se réinvente en tout cas à grande vitesse. Qui aurait parié il y a cinq ans que Befimmo aurait pré-vendu les 22.000 m2 de bureaux de sa tour Paradis Express au Guillemins? Je m’attends à voir le même mouvement envers le résidentiel. Il y a actuellement une multitude de projets avec une concurrence bien plus grande entre promoteurs. Cela ne peut être que bénéfique pour revaloriser certains quartiers.” “Même si cette concurrence va faire augmenter la valeur du foncier, regrette Frédéric Driessens. Beaucoup de promoteurs extérieurs estiment que les prix sont encore très abordables à Liège. Cela se répercutera à terme sur les prix de sortie.” Christophe Nihon est, de son côté, un peu plus sceptique quant à la possibilité d’assister à une augmentation des prix: “Je pense que la multiplication des projets va entraîner une stabilisation des tarifs. S’il y en avait moins, le tram serait clairement un facteur d’augmentation. Mais je ne pense pas que cela se produira. Rappelons que le prix d’un appartement neuf à Liège tourne actuel- lement autour de 2.700 euros/2. Certaines promotions du centre-ville atteignent les 3.000 euros/m2.”

“Le marché ancien pourrait par contre davantage souffrir de cette multitude de nouveaux projets, poursuit Christophe Nihon. Les questions énergétiques et la localisation deviendront incontournables. Un appartement situé à proximité du tram et performant sur le plan énergétique devrait connaître une certaine demande.”

La suite? Le bourgmestre Willy Demeyer multiplie actuellement les réunions pour prolonger le tram vers Seraing et Herstal. Une seconde phase est déjà dessinée sur papier par l’Atelier d’architecture du Sart-Tilman mais elle se heurte pour le moment au timing du plan de relance européen qui exigerait une finalisation du chantier en 2026. Ce qui a le don d’échauder l’un ou l’autre membre du gouvernement wallon.

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