“L’impact du tram sur l’immobilier liégeois sera gigantesque”

GILLES-OLIVIER MOURY et CHRISTINE DEFRAIGNE © debby termonia

Près de 15.000 logements supplémentaires sont attendus dans le centre de Liège d’ici 2035. Il va donc falloir accélérer la cadence. Si les principaux sites à redévelopper sont identifiés, un élément devrait encore bouleverser la donne : le tracé du tram liégeois qui redistribue la carte immobilière.

Difficile de nier combien Christine Defraigne est attendue au tournant. Notamment par les promoteurs qui souhaitent changer d’ère et pouvoir quelque peu dynamiser l’immobilier local. Rencontre avec la nouvelle échevine MR de l’Urbanisme de la Ville de Liège (depuis décembre dernier), et Gilles-Olivier Moury, administrateur délégué de Moury Construct, un groupe qui compte sur la place liégeoise depuis quatre générations.

CHRISTINE DEFRAIGNE. Il est évident que les attentes sont élevées. Il y a un souhait de voir évoluer la qualité de vie en ville. Il y a également un besoin de créer 45.000 logements dans les trois couronnes d’ici 2035, dont 15.000 unités à Liège-Ville. Notre objectif est de faire revenir des familles dans le centre et de répondre au défi du vieillissement de la population.

Et pour les professionnels du secteur ?

C.D. Il y a une attente en termes d’efficacité et de rapidité dans le traitement des dossiers. La prévisibilité des délais est capitale. Je vais m’y atteler. Un des enjeux essentiels est de reconstruire la ville sur la ville. Dans une cité telle que la nôtre, il faut toutefois tenir compte de contraintes telles que la pollution et le patrimoine, ce qui peut freiner certains développements.

GILLES-OLIVIER MOURY. Ce qui est essentiel, c’est de maintenir un dialogue permanent entre les développeurs et l’échevinat de l’Urbanisme. L’époque où l’on développait un projet dans la confrontation est révolue. La volonté est, avant tout, d’être partenaires du renouveau de Liège.

C.D. Je souhaite accompagner et faciliter les projets urbanistiques, dans le plus grand intérêt d’un développement harmonieux de la ville. Nous ne voulons pas mettre de bâtons dans les roues des promoteurs, tout en ayant néanmoins des exigences de qualité. Il faudra en tout cas aller plus vite qu’avant.

On l’a dit, près de 15.000 nouveaux logements sont attendus à Liège-Ville d’ici 2030. Les conditions sont-elles aujourd’hui réunies pour que les promoteurs puissent rencontrer la hausse démographique attendue ?

G-O.M. Il me semble que oui. Le marché est sain et dynamique. La demande est présente même si elle est majoritairement composée d’investisseurs. L’accès à la propriété est en effet quelque peu restreint, vu les prix. D’où cette forte présence d’investisseurs. Un des défis sera donc de parvenir à proposer dans le futur des logements de qualité à des prix abordables. Il est nécessaire d’avoir une plus grande diversité dans l’offre de logements.

Quelles pistes proposez-vous pour développer du logement plus abordable ?

G-O.M. Il faudrait autoriser une densité de logements plus importante ou permettre de diminuer la taille moyenne des unités proposées. Un autre axe possible serait le lancement de partenariat public/privé sur des réserves foncières détenues par la Ville, avec un prix du foncier accessible.

Comment se porte le marché dans le centre-ville ?

G-O.M. Très bien. Dès qu’un projet immobilier est mis en vente, les appartements se vendent relativement vite. Nous trouvons des acquéreurs pour tous les produits. Et si l’appartement deux chambres reste la norme, il y a des ouvertures pour créer tout type de logements. Dans le projet de la place Cathédrale par exemple (de XL Patrimoine et Baltissimo, Ndlr), les appartements étaient beaucoup plus grands et se sont vendus rapidement.

C.D. Liège dispose d’un énorme potentiel et d’une attractivité qui peut encore être développée. Cette force attire des promoteurs de partout en Belgique. Pour les logements, je pense qu’il est effectivement temps de diversifier l’offre. Cela permettra d’encore élargir la demande. Sans appartements trois chambres, il sera compliqué de faire revenir des familles dans le centre-ville. Et il faut davantage s’adapter aux nouvelles tendances sociales. Il y a aujourd’hui une demande forte pour rencontrer de nouveaux modes de vie. Il y a de la colocation, du coliving aussi. Ces nouvelles formes d’habitat peuvent concerner la requalification de nombreuses maisons qui ont un cachet patrimonial.

G-O.M. Il y a une pression à la hausse sur le foncier, donc les prix de vente sont également en hausse. Il y a 10 ans, le prix d’un appartement neuf était encore de 1.700 euros/m2 HTVA. Nous sommes aujourd’hui à 3.000 euros/m2 pour la place Cathédrale. Est-ce que cela va encore augmenter ? Je n’en suis pas certain.

Certains acteurs ont pointé ces derniers mois les freins urbanistiques qui retardent l’émergence de projets immobiliers d’envergure. Et évoquent dans la foulée l’idée d’avoir un acteur qui dynamiserait et concentrerait la manière dont la ville doit se développer. Une sorte de bouwmeester. Partagez-vous cette idée ?

G-O.M. Je ne pense pas qu’il faut rajouter un interlocuteur supplémentaire. Il faut surtout une proactivité qui vienne de l’échevinat. Il serait par contre intéressant de nommer une personne qui pourrait s’assurer du bon suivi du schéma communal de développement territorial.

C.D. La nomination d’un bouwmeester faisait partie de notre programme électoral et de la déclaration de politique communale. Nous y songeons donc sérieusement. Il est nécessaire d’avoir une vision globale. Mais je pense qu’il doit être nommé à l’échelle de l’arrondissement, dans le cadre de Liège Métropole, car les problématiques sont relativement larges, que ce soit en matière résidentielle ou commerciale.

Quels sont les principaux enjeux urbanistiques auxquels est aujourd’hui confrontée Liège ?

G-O.M. Des zones géographiques doivent obligatoirement bouger et évoluer. Celle des Guillemins par exemple. Beaucoup de projets sont en gestation et ne sortent pas de terre. Il serait opportun que la Ville lance des partenariats public-privé et des appels à promoteurs pour y construire des logements sur les terrains qu’elle possède. La réserve foncière autour des Guillemins est très importante.

C.D. Les priorités sont de finaliser et faire sortir de terre les projets en gestation. Que ce soit Bavière (4 ha dans le quartier d’Outremeuse développés par Thomas & Piron, UrbaLiège, BPI, dont 250 appartements et 400 kots, Ndlr), Coronmeuse (1.325 logements sur 25 ha développés par Willemen, Jan De Nul, CIT Blaton et Nacarat, Ndlr) ou sur le site des Guillemins. L’enjeu pour ce dernier est avant tout de renouer les contacts entre plusieurs propriétaires fonciers tels que l’OTW (la société publiquequi chapeaute le Tec, Ndlr) et la SNCB. La relation n’a pas toujours été harmonieuse entre la SNCB et la Ville. Il faut retisser les liens. Plusieurs projets vont aboutir d’ici peu. D’autres quartiers doivent subir une vraie requalification urbaine, tels que Amercoeur, Sclessin, Saint-Léonard, Outremeuse et d’autres encore. Leur patrimoine est intéressant et doit être mis en valeur pour attirer de nouveaux habitants. Je veux porter une vraie attention à ces quartiers ” péri-centraux “.

A Liège, où conseilleriez-vous d’investir aujourd’hui en priorité ?

G-O.M. Il y a de nombreux quartiers qui sont en pleine transformation. Mais je pense que l’arrivée du tram va être très structurante. Il est donc évident que ses alentours seront des sites privilégiés. Son impact va être gigantesque. Il va remanier 50 hectares de terrain et modifier toute la mobilité aux alentours. Toutes les positions stratégiques situées le long du tracé sont déjà prises par des développeurs. Que ce soit Val Benoit, Sclessin, Coronmeuse ou les quais de Meuse. La proximité de l’eau est un atout indéniable.

C.D. Je pense que l’atout que représente la Meuse n’a jamais été suffisamment mis en avant. Je suis convaincue du potentiel. D’une manière générale, nous sommes à l’aube d’une ère très importante en matière de développements.

Il se dit que l’immobilisme qu’a connu Liège-Ville ces dernières années a permis à des entités telles que Herstal, Seraing ou Ans de se développer plus rapidement que prévu. Comment renverser la tendance ?

G-O.M. Il faut clairement augmenter l’offre de logements neufs. Ceci dit, je pense que Liège-Ville a pu se développer aussi rapidement que les entités citées même si, c’est vrai, certaines règles à respecter ont empêché parfois d’aller plus vite.

C.D. Nous avions évoqué cet immobilisme depuis les bancs de l’opposition ces dernières années. Liège concentre de nombreux défis. Y développer des projets est parfois plus compliqué. Et nous possédons des sols aussi pollués que Seraing ou Herstal. Par contre, la taille des réserves foncières y est plus réduite.

La réhabilitation des friches est un enjeu majeur de ce terreau industriel. Certains projets se sont débloqués, d’autres attendent. Comment accélérer ces réhabilitations ?

G-O.M. Je n’ai pas de baguette magique. Il faut avant tout un intérêt du marché. Les principales friches sont ciblées.

C.D. Il y en a encore telles que Wandre-Wérihet, Saint-Joseph, Espérance ou encore Bonne Fortune. La Ville doit être le facilitateur pour les développements privés et travailler en partenariat avec l’agence de développement économique pour la province de Liège (SPI), le Service public de Wallonie ou la Spaque (la société publique chargée de la réhabilitation de décharges et de friches industrielles polluées, Ndlr). C’est en tout cas une priorité d’y développer du logement et de soutenir les développeurs dans la concrétisation de leurs projets. Je veux mettre en place un traitement sur mesure. Réhabiliter une friche est coûteux mais c’est un des plus beaux défis urbains.

Quelle est la stratégie du Groupe Moury dans le paysage liégeois ?

G-O.M. Nous fêtons ses 100 ans cette année. Nous avons une grande présence en Cité ardente en tant que constructeur (Moury Construct), développeur (Moury Promotion) et investisseur (via la SIR Immo Moury). Nous avons, entre autres, un projet de 200 logements au Sart Tilman qui va enfin pouvoir démarrer après 13 années de discussions et de recours. D’ici fin d’année 2019, nous devrions livrer 16.000 m2 de bureaux sur le site du Val Benoit. Il y a aussi un projet d’une trentaine d’appartements rue Louvrex. Nous avons acheté il y a peu, avec la société immobilière Foremost, l’institut Montefiore, dans le quartier Saint-Gilles. Il s’agit d’une bâtisse historique de 5.000 m2 en plein centre de Liège. Le programme est en cours de finalisation. Nous développons aussi un projet résidentiel dans l’hyper-centre, près de la cité Miroir.

C.D. Ah, je viens de délivrer le permis pour ce projet !

G-O.M. Nous démarrons également la construction de 36.000 m2 de halls logistiques près de l’aéroport de Bierset.

Interview parue dans le Guide Immobilier d’avril 2019

Propos recueillis par Xavier Attout

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content