“Smartphones” : la guerre des plans

Les cartes géographiques de votre “smartphone” attisent l’appétit de Google, d’Apple et de Nokia, entre autres. Tous multiplient les moyens et rivalisent d’initiatives pour parvenir à imposer leur propre application de cartographie. Voici pourquoi.

Cela pouvait être un bon coup pour Apple, mais ce fut un véritable fiasco. Le lancement de son application maison de cartographie, Plans, intégrée dans l’iPhone 5 et l’iOS 6 fin septembre, a particulièrement fait parler de la firme à la pomme. Mais pas en bien : villes absentes ou mal placées (Berlin située en… Antarctique), restaurants situés en plein milieu d’un chantier, ponts qui ont littéralement… fondu, etc.

Apple n’a pas été épargnée et a d’ailleurs licencié deux des personnes qu’elle jugeait responsables de ce cuisant échec. Normal : aux yeux des internautes et des possesseurs d’iPhone, la marque avait fait preuve d’arrogance en débarquant Google de son célèbre téléphone. Jusque-là et depuis 2007, c’est en effet l’application Maps, créée par le moteur de recherche, qui était préinstallée par défaut sur tous les iPhone, suite à un contrat liant les deux géants de l’informatique. Ce contrat devait se prolonger en 2013, mais d’après beaucoup, la firme de Tim Cook en a décidé autrement, préférant subitement jouer cavalier seul en proposant son application, en collaboration avec TomTom. Certains évoquent au contraire une décision de Google qui aurait préféré refuser à Apple l’utilisation de ses cartes pour les réserver à son système d’exploitation Android.

Depuis, Google a annoncé son intention de retrouver une place sur le téléphone d’Apple : son application de cartographie pourrait débarquer prochainement sur l’AppStore. Mais le moteur de recherche n’est pas le seul acteur à se positionner sur le segment de la cartographie. Nokia, l’ancienne gloire des téléphones mobiles, tente aussi de prendre pied sur ce créneau. La firme a lancé son application mobile, Here, qui peut s’installer sur n’importe quel smartphone : les Nokia, bien sûr, mais aussi les iPhone et les appareils tournant sous Android.

Google investirait jusque 1 milliard par an Cet intérêt des firmes technologiques pour les cartes n’est pas tout à fait nouveau même si la guerre vient de s’accentuer. Google a rapidement senti l’intérêt de la cartographie : dès 2005, le géant a massivement investi dans le domaine pour cartographier le monde entier. Plusieurs millions de kilomètres ont été parcourus pour créer Google Street View ; des avions, des voitures et des satellites ont été mobilisés pour passer la planète au peigne fin. Google investirait annuellement entre 500 millions et 1 milliard de dollars par an en R&D géographique. Cela lui donne une bonne longueur d’avance technologique sur la concurrence, contrainte de procéder à des acquisitions pour tenter de rattraper le coup.

En 2007, Nokia avait, par exemple, déboursé pas moins de 5,7 milliards d’euros pour s’offrir Navteq, spécialiste de la cartographie numérique. Et le finlandais s’est offert voici une dizaine de jours la start-up américaine Earthmine qui se spécialise dans la cartographie 3D (tout comme Google Street View). Apple, de son côté, a mis à profit sa grande quantité de cash pour racheter successivement des sociétés comme Placebase (juillet 2009), Poly9 (2010) ou C3 Technologies (2011), toutes trois actives dans l’univers des plans et des cartes géographiques.

Qu’Apple et Google ne travaillent plus de concert sur les cartes n’a rien d’étonnant. Il devenait de plus en plus surprenant, en effet, qu’Apple continue d’afficher les cartes de son concurrent dans son application quand on sait que Google se livre à un combat sévère pour dominer le coeur des smartphones avec son système d’exploitation Android. Il faut, en effet, savoir qu’à chaque fois qu’un utilisateur d’iPhone lançait son application Plans, il s’en allait… chez Google. D’autant plus que, selon certains sources, Google demandait une rétribution pour l’affichage de ses cartes…

Cartes : 25 % de la pub sur GSM

Mais ce divorce s’explique également par la volonté de chacun de s’imposer sur le créneau de la localisation. En effet, l’utilisation des cartes constitue l’un des plus gros usages sur les smartphones au moment où ces téléphones deviennent un élément crucial dans le commerce, les échanges sociaux et la recherche. Les technologies de cartographie se révèlent de plus en plus poussées et leur utilisation connaît une croissance exceptionnelle. La société américaine ProgrammableWeb dénombre actuellement pas moins de 240 services différents pouvant être développés sur des cartes, soit 73 % de plus que l’an dernier. Itinéraires, recherche locale, commerces, commentaires localisés, publicité ciblée… les cartes s’invitent partout. Même Amazon serait en train de mettre en place des services intégrant la cartographie. “Dans le contexte d’une mobilité toujours accrue, la localisation est devenue essentielle, analyse Jeroen Lemaire, cofondateur du spécialiste flamand des applis mobiles In The Pocket. Lorsqu’un utilisateur mène une recherche sur son smartphone, il est évidemment plus pertinent de lui apporter une réponse de proximité. Et une multitude d’activités locales sont demandeuses, comme les hôtels, les restaurants, certains distributeurs…” Pour Georges-Alexandre Hanin, fondateur et CEO de Mobilosoft, start-up belge spécialisée dans les sites mobiles, “le coeur de la guerre des maps consiste pour l’instant à créer un maximum de trafic et d’engranger le plus d’informations possibles pour ensuite coupler cela à toute une série de services lucratifs.”

Car bien sûr, si Apple, Google et autres Nokia dégagent autant de moyens et d’énergie à développer leurs applications de cartographie, c’est qu’elles y identifient des sources de revenus importants. Selon le cabinet d’études Opus Research, les publicités associées aux cartes et à la géolocalisation attirent pas moins de 25 % du marché de la pub sur les appareils mobiles. Un marché en pleine croissance : selon l’institut d’études IgnitionOne, les marketers dépenseraient, cette année, 307 % de budget en plus sur les smartphones que l’an passé. Google tire d’ores et déjà son épingle du jeu : la firme devrait générer 4,5 milliards de dollars de ses activités mobiles dont 40 % en provenance directe de l’AppStore d’Apple (en bonne partie grâce à ses Maps), selon le cabinet Piper Jaffray… soit 1,8 milliard de dollars.

Mais la publicité n’est pas tout. De plus en plus de transactions locales (et localisées) sont réalisées à l’aide du smartphone : payer son bus, acheter ses tickets de cinéma, réserver un vol, etc. Et là aussi, ces différents acteurs espèrent jouer un rôle. Apple dispose de son application Passbook qui est appelée à regrouper tous les tickets numériques achetés via smartphone. Ici encore, il y a fort à parier que la géolocalisation (et le marketing qui y est lié) s’invitera dans la partie. Apple, Google et consorts en sont persuadés : tout marketing sur le mobile passera, d’une façon ou d’une autre, via la localisation. Voilà pourquoi elles veulent toutes… être au bon endroit.

CHRISTOPHE CHARLOT

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