Wild Bishop: le premier incubateur wallon dédié aux jeux vidéo

Didier Mattivi, CEO de Wild Bishop"D'ici cinq ans, nous devons être en capacité de créer des jeux triple A en Wallonie." © Michel Houet
Gilles Quoistiaux Journaliste Trends-Tendances

Wild Bishop va accompagner le développement de deux projets par an. L’objectif de cette structure inédite est de professionnaliser le secteur du jeu vidéo en Wallonie et de créer un premier blockbuster d’ici cinq ans.

Le premier jeu développé par Wild Bishop est déjà bien avancé. Baptisé Judgement, il met aux prises des équipes (féroces) combattant dans une arène futuriste. Pour les gamers nostalgiques, Judgement rappelle Speedball 2, un jeu nerveux et brutal inspiré du handball et du football américain, très en vogue sur Atari et Amiga dans les années 1990.

Wild Bishop combine plusieurs activités: studio de production, incubateur et fonds d’investissement spécialisé.

Trente ans plus tard, l’industrie du jeu vidéo a bien changé. Elle génère désormais, au niveau mondial, 180 milliards de dollars de revenus, d’après la firme spécialisée IDC. Dans le secteur du divertissement, le jeu vidéo se place en position de leader, loin devant le cinéma (100 milliards de dollars en 2019). En Wallonie, le milieu du gaming est encore peu organisé. Les studios de production sont de taille modeste et se comptent sur les doigts d’une main. Mais le fondateur et CEO de Wild Bishop Didier Mattivi a bien l’intention de changer les choses. Son ambition est d’implanter durablement ce business en Wallonie.

“L’objectif est de faire de Wild Bishop un acteur incontournable du secteur. D’ici cinq ans, nous devons être en capacité de créer des jeux triple A en Wallonie”, assène Didier Mattivi. Le AAA ou triple A, c’est le label informel apposé sur les jeux vidéo les plus ambitieux, les plus longs à produire, les plus chers… et souvent les plus vendus dans le monde. Ce sont les superproductions destinées à devenir des blockbusters internationaux, comme Zelda, Call of Duty, Mario, The Witcher, GTA… qui se sont écoulés à plusieurs dizaines de millions d’exemplaires. En Belgique, un seul studio est actuellement capable de produire un jeu d’une telle envergure. Il s’agit du gantois Larian, qui développe le troisième épisode de Baldur’s Gate, une toute grosse licence. Pour Didier Mattivi, c’est la preuve que c’est possible, et qu’il faut avoir l’ambition d’y parvenir également au sud du pays.

Studio, incubateur et fonds d’investissement

Wild Bishop est un projet original. La structure combine plusieurs activités: studio de production, incubateur et fonds d’investissement spécialisé. Le jeu Judgement, qui sera le premier à sortir du studio, est une production propre. L’idée est de créer un jeu vidéo en bonne et due forme, mais aussi de se servir du processus de production pour en tirer des enseignements pour les projets futurs. C’est en quelque sorte un projet pilote. Une dizaine de collaborateurs planchent sur le jeu. Ces derniers pourront être amenés à participer aux futures productions.

Dans le cadre de son activité d’incubateur, Wild Bishop a l’intention de soutenir deux projets par an, à hauteur de 400.000 euros maximum par projet. L’incubateur se place au niveau de la phase initiale de création d’un jeu. L’idée est d’aboutir à une démo jouable, qui pourra être présentée à des éditeurs. Wild Bishop accompagne les créateurs pendant deux mois afin de développer un prototype. Puis, si le concept est validé, il passe en phase de pré-production, pendant une période de six mois.

Un premier projet vient d’être sélectionné, parmi huit jeux présentés. Il est passé sous les fourches caudines d’un jury spécialement composé pour l’occasion, avec des représentants d’éditeurs de jeux (Epic, Ankama), d’écoles spécialisées en jeux vidéo, de Wallimage, etc. Wild Bishop finance les porteurs de projet et met à disposition ses équipes (développeurs, game designers, etc.) dans la phase de pré-production. “La volonté est de créer un écosystème local“, souligne Didier Mattivi. L’entrepreneur est en contact avec la Haute Ecole Albert Jacquard et sa filière réputée en jeu vidéo. L’objectif est de capter les talents à la source et de les faire travailler ici, en Belgique, afin qu’ils contribuent à dynamiser et irriguer le secteur. Il faut savoir que 80% des diplômés en jeu vidéo du côté de la Haute Ecole namuroise partent à l’étranger (France, Canada) pour rejoindre de gros studios.

Une fois que la phase de pré-production sera bouclée, Wild Bishop présentera le jeu à des éditeurs. Si l’un d’entre eux se montre intéressé, l’incubateur créera un véhicule spécifique pour le projet, dans lequel Wild Bishop, les concepteurs voire l’éditeur prendront des participations. Dans un premier temps, les projets soutenus seront d’une envergure relativement limitée: “On parle de jeux vidéo qui coûtent au total deux à trois millions d’euros en production”, explique Didier Mattivi. On est donc loin des “AAA”. Mais l’ambition de l’incubateur est de monter progressivement en puissance pour arriver à produire à terme des jeux plus costauds.

Pour son lancement, Wild Bishop est financé à hauteur de 600.000 euros. La moitié vient de ses fondateurs, l’autre moitié se partage équitablement entre l’invest liégeois Noshaq et Wallimage, le fonds régional d’investissement dans l’audiovisuel. Le studio français Ankama vient également d’entrer au capital et détient 8% des parts dans Wild Bishop. L’incubateur est situé à Liège, au Pôle Image, un gigantesque espace dédié aux métiers de l’audiovisuel, mais aussi du digital, du gaming, de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée.

Changement de cap

Pour Didier Mattivi, c’est un changement de cap assez spectaculaire. Auparavant, il était actif dans un domaine de niche: les téléphones pour salles de marché. Avec sa société IP Trade, il développait des téléphones et des logiciels pour les traders. En 2017, il a revendu son entreprise à British Telecom. Il veut désormais mettre son expérience d’entrepreneur au service d’un secteur grand public, mais qui pêche selon lui par un manque de professionnalisme. “Je veux faire sortir le jeu vidéo du monde du hobby, explique Didier Mattivi. Trop de gens ont encore une vision romantique de ce secteur. Mais le gaming, c’est bel et bien une industrie. Tu peux avoir la meilleure idée du monde, si tu ne parviens pas à la vendre, tu ne pourras jamais percer.” L’entrepreneur veut apporter une structure professionnelle aux artistes du secteur, pour qu’ils puissent s’épanouir et laisser libre cours à leur créativité, sans qu’ils oublient que leur activité doit aussi générer des revenus. “On ne peut pas créer un jeu vidéo rentable en bossant dessus la nuit, après ses heures de boulot. Il faut être dans un véritable environnement de travail. Ce qu’on va leur amener, c’est une méthodologie et des conseils business pour séduire d’un côté les éditeurs et, de l’autre, le public sur les réseaux sociaux. Nous voulons produire des jeux rentables.”

Selon Didier Mattivi, le momentum est idéal. Les discussions avancent autour du tax shelter pour le jeu vidéo. Si la mesure est adoptée au Parlement, elle pourrait attirer de nouveaux investissements dans le secteur, comme ça a été le cas pour le cinéma. Le plan Get Up Wallonia mentionne également le jeu vidéo comme un secteur d’avenir. Le patron de Wild Bishop est résolument optimiste: “Si on réussit, on aura créé une nouvelle dynamique, une nouvelle industrie wallonne”.

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