Comment Shayp s’est adaptée pour réussir
La vie d’une start-up n’a rien d’un long fleuve tranquille. L’adaptation et l’agilité que s’impose Shayp, la cleantech bruxelloise spécialisée dans la gestion de l’eau, en constitue un exemple particulièrement représentatif.
Aussi étendue soit une problématique, y remédier en tant que start-up reste un parcours d’obstacles, même avec une solution ingénieuse. Alexandre McCormack, ingénieur en architecture de formation, vous le concédera. Les choix difficiles et les prises de risque persistent depuis les premiers jours de son aventure entrepreneuriale. Pourtant, la jeune entreprise qu’il a cofondée il y a trois ans, Shayp, participe à colmater une gigantesque brèche dans notre économie: les fuites d’eau. Cela concerne 11% des habitations et un bâtiment commercial ou institutionnel sur trois. “Nous avons cru au départ avoir le ‘luxe’ d’une problématique mondiale pour laquelle il n’existait pas vraiment de solutions”, se souvient le CEO.
Pour rappel, Shayp propose une solution propriétaire qui comprend, pour la partie hardware, un enregistreur de données (datalogger) sans fil et, pour la partie software, des algorithmes de machine learning et autres interfaces de gestion. Ces technologies permettent d’analyser le flux de l’eau en temps réel, de repérer des anormalités sur le circuit et de proposer des interventions adaptées. Au compteur actuel, la start-up, qui emploie 11 équivalent temps plein, revendique plus de 500 millions de litres d’eau économisés. Et compte une centaine de clients.
300% : l’objectif de croissance de Shayp, après avoir modifié son approche.
Un focus déterminant
Pourtant, la réussite ne coule pas de source… A l’époque de son lancement, il n’y avait pour ainsi dire aucune société proposant une approche identique. “Ce qui devait être l’avantage du pionnier nous faisait même un peu peur, confie Alexandre McCormack. Si personne ne s’était penché sur cette problématique, était-ce vraiment un bon marché? Mais quand un concurrent est apparu en Finlande, puis en France, nous avons été rassurés. Cela validait en quelque sorte notre marché. On était sur la bonne voie.” Restait à ne pas se perdre en chemin.
La start-up pense d’emblée se tourner vers les premiers concernés: les habitants. Une approche B to C assez périlleuse: trop chronophage, trop cash intensive. Shayp se met alors en quête de biais, d’accélérateurs ou partenaires, qui peuvent aider l’entreprise à mieux atteindre son public initial. “L’alternative du B to B apparaît plus logique, justifie le cofondateur. Celle qui s’adresse à des organismes qui gèrent plusieurs propriétés à la fois, avec un point de contact centralisé mais aussi des volumes d’eau consommés nettement plus importants. Donc plus d’impact pour des efforts davantage maîtrisés.”
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Shayp reconstruit dès lors une proposition, la teste, analyse les résultats. Certes, il constate que cela ne se déroule pas exactement comme prévu. A nouveau, donc, l’équipe s’adapte. “C’est vraiment une approche scientifique, sur la base essai- erreur, estime Alexandre McCormack. On change un paramètre, on recommence le cycle. Mais une start-up ne peut pas mener des efforts partout simultanément. Une démarche opportuniste ne garantit pas forcément la réussite. Il faut avoir un focus, et choisir. Car le plus important est de démontrer le plus rapidement possible que l’activité ciblée peut être pérenne.”
Implication différente
Les changements de paradigme créent des turbulences, parfois douloureuses, mais ils paraissent inévitables. “L’approche B to C était celle préférée, car on était en contact direct avec le citoyen, témoigne le start-upper. Quand on doit changer, cela peut perturber. Il ne faut pas oublier cet aspect d’investissement émotionnel dans la mission. En tant que fondateurs, on avait une certaine affinité pour notre solution, notre approche, notre proposition de valeur. Il est donc très difficile de s’en désemparer, même si on est obligé de faire ce choix. Voilà pourquoi il est important de bien communiquer ces changements. On doit acquérir cette forme d’agilité dans une start-up, qui est nécessaire, mais ne doit pas se reproduire tout le temps. Mieux vaut s’attacher à la problématique qu’on tente de résoudre, qu’à la solution apportée.”
Les différents segments porteurs ne manquent de toute façon pas pour Shayp, en lien avec des compagnies des eaux, ou intéressées par les services autour de l’eau, ou des assureurs qui cherchent à développer des services d’assistance pour lutter contre ses dégâts. “Mais le plus pertinent sur la chaîne de valeur, c’est la gestion des bâtiments multi-résidentiels, commerciaux et publics. Le cycle de vente y est nettement plus court. Un focus ne veut pas dire qu’on abandonne les autres partenaires. Mais ça nous permet d’arriver au break even“, précise le CEO.
Forte des relations commerciales désormais établies auprès de logements étudiants, d’hôpitaux, d’enseignes hôtelières, la start-up bruxelloise Shayp va répliquer son modèle dans d’autres pays. “Nous serons plus actifs au Benelux, mais aussi en France et en Allemagne lors des 12 prochains mois”, ponctue Alexandre McCormack.
Orienté maintenance et service
“Bien plus que du reporting“. Le boss de Shayp insiste sur le fait que le service qu’offre sa start-up ne se résume pas à un simple gadget permettant d’indiquer la présence d’une fuite. L’objectif stratégique consiste bien à optimiser la consommation dans les immeubles et, idéalement, réaliser des économies d’eau significatives. Et ce par un monitoring précis via des appareils et des apps mais également une dimension “servicielle” grandissante. “Nous avons placé nos outils dans les mains de gens de terrain, des facility managers et des plombiers gestionnaires de réseaux, souligne Alexandre McCormack. Ces derniers utilisent intensivement notre solution, ils se connectent plusieurs fois pour contrôler et intervenir si nécessaire.” Il est alors essentiel pour la start-up de veiller à ce que ces outils restent les plus faciles d’usage, intuitifs et ergonomiques, pour éviter de recourir à de lourdes formations.
Avec l’effet d’échelle lié aux bâtiments multi-résidentiels, institutionnels ou commerciaux, une fuite prend rapidement des proportions dramatiques, financièrement et écologiquement. Les maintenance managers semblent donc constituer un autre public cible naturel. Pourtant, “il peut y avoir des freins à notre proposition de valeur, car les équipes de maintenance craignent que l’outil révèle, in fine, qu’elles travaillent mal, indique le CEO. Elles s’inquiètent aussi d’une charge de travail supplémentaire. L’accompagnement, le conseil, la sensibilisation sont donc cruciaux.” La start-up développe ainsi un service collaboratif, en partageant par exemple les protocoles mis en place par d’autres clients, pour intervenir efficacement. Et tente de digitaliser tout ce qui peut l’être.
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