Sang Hoon Degeimbre: “La gastronomie de haut niveau, c’est usant”

San Hong Degeimbre
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le chef de L’Air du Temps comprend “l’envie d’autre chose” de son homologue Christophe Hardiquest, à l’issue de cette période éprouvante. Même si lui a “une autre réponse”, qu’il trouve dans son jardin. Confidences.

Sang Hoon Degeimbre, chef du restaurant doublement étoilé L’Air du temps (à Eghezée), reconnaît que l’annonce soudaine par Christophe Hardiquest de la fermeture, fin juin, de l’autre doublement étoilé Bon Bon, à Bruxelles, est “un peu choquante”. “Mais je ne suis pas étonné, précise-t-il à Trends Tendances. Cela a été compliqué pour nous tous ces dernières années et j’ai eu l’occasion d’en parler à Christophe. Je ne connais pas les raisons profondes de sa décision, mais je le sais plus émotionnel, affectif, touché par les questions de la pénurie du personnel ou des difficultés liées à la clientèle en raison de la crise. Chacun réagit avec son caractère.”

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“Le haut niveau épuise”

La pression est-elle trop forte pour les restaurants étoilés, contraints d’adapter leur modèle économique aux exigences d’un tel statut? Christophe Hardiquest ne cachant pas son rêve de les obtenir un jour et adû admettre au fil du temps que ce serait difficile d’atteindre ce sommet à Bruxelles. “La pression à l’égard du Michelin ou les guides en général, c’est un peu nous-mêmes qui nous la mettons, souligne Sang Hoon Degeimbre. Personne ne nous oblige à avoir trois étoiles.” A la tête de son restaurant deux étoiles situé au coeur de la campagne, Sang Hoon Degeimbre a développé un projet orienté vers le développement durable, avec la volonté de tendre vers l’autosuffisance. Quitte à ne pas attendre le Graal des trois étoiles.

Si Christophe Hardiquest a fait un choix positif en arrêtant Bon Bon, affirmant qu’il le vit “très bien”, il n’en rejoint pas moins d’autres chefs qui ont jeté l’éponge en raison de l’intensité nécessaire pour tenir un étoilé, du manque de soutien des autorités ou de charges trop lourdes. Sang Hoon Degeimbre constate qu’ils sont nombreux à avoir quitté le métier ces dernières années. On ne parle heureusement pas de rupture comme en France, où certains chefs ont mis fin à leur jour, sous la pression. “Le haut niveau, c’est fatiguant, c’est usant parce que tous les jours, il y a la même pression du client, une attente très grande, reconnaît-il. C’est certainement le cas pour nous, ce l’est d’autant plus dans des grandes villes. Cinq années à Paris, par exemple, c’est quinze ans ailleurs.”

La pandémie a poussé certains dans leurs retranchements et a fait réfléchir. Hardiquest ne s’en cache pas. Sang Hoon Degeimbre comprend: “C’est clair que nous venons de vivre une période qui nous a tous fait réfléchir au sujet de la pertinence du métier. La réponse de Christophe consiste à dire : ‘Je veux autre chose, je veux voyager’. La mienne consiste à associer ma destinée à celle d’un lieu où je peux trouver ma propre diversité. Quand j’ai besoin de m’évader, je vais dans mon jardin. J’ai de quoi mener des projets ici jusqu’à la fin de ma vie professionnelle.”

“La tentation de se diversifier”

Le chef doublement étoilé reconnaît qu’il peut être tentant de se “délivrer” de son restaurant fixe pour embrasser d’autres possibles, ce que semble privilégier Christophe Hardiquest. “Aujourd’hui, nous sommes courtisés par des projets plus séduisants les uns que les autres, explique-t-il. Mais pourquoi sommes-nous courtisés ? Parce que nous sommes à notre place avec l’entreprise que l’on a créée” Autrement dit, l’assise d’une table reconnue reste importante pour un CV.

La diversification est-elle obligée pour préserver le modèle financier? “Si tu n’as pas envie de grossis, tu ne grossis pas, souligne le chef de L’Air du Temps, qui a créé plusieurs restaurants déclinant son concept dans le pays, sous une forme plus accessible. On peut très bien réussir sans se démultiplier. Cela dépend en réalité pourquoi on le fait. Dans mon cas, ce n’est pas pour une question de rentabilité, je continue parce que cela permet à des jeunes de s’éclater et de s’exprimer. Je suis peut-être idéaliste, mais c’est cela qui me fait kiffer.”

Hertog Jan constitue-t-il un modèle? Le chef Gert De Mangeleer et le sommelier Joachim Boudens ont porté haut leur restaurant, à Bruges, vers les trois étoiles, avant d’arrêter, d’en faire une marque soutenant de nombreux projets, dont des restaurants plus accessibles et un nouveau haut de gamme à Anvers. “C’est une valorisation du nom, souligne Sang Hoon Debgeimbre. Tout au long de ces années, on acquiert des connaissances et on développe une somme de savoir qui peut être valorisée. Mais ce n’est pas à la portée de tout le monde, ils ont un talent spécial, une esthétique… “

Est-ce plus facile en Flandre, au fond? “C’est clair que nous ne sommes pas à la même fête en Wallonie, reconnaît le chef de l’Air du Temps. Les chefs flamands ont la chance d’avoir une Région qui est prête à tout pour les soutenir. En Wallonie, il n’y a pas la même ambition et certains projets tombent à l’eau.” Degeimbre avait initié une association des chefs pour soutenir le dynamisme wallon, baptisée Génération W, mais elle a fait long feu, faute de soutien. Christophe Hardiquest, à Bruxelles, a pour sa part mis en place une série de réflexions sur la place de la gastronomie pour l’image de la ville. Visiblement, cela n’a pas aidé ou cela lui a donné des envies d’autres horizons.

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