Pourquoi s’est-on rué sur le papier-toilette?

© PG

Pourquoi, avec le coronavirus, des comportements rationnels deviennent-ils collectivement irrationnels ? La réponse de Benoît Dardenne, professeur de psychologue sociale à l’Université de Liège.

Le coronavirus a provoqué une ruée dans les magasins dans tous les pays du monde. Pourquoi avons-nous acheté autant de rouleaux de papier-toilette ?

Il faut éviter de parler de ces comportements en termes d’hystérie. Cela donnerait une image de maladie mentale, alors que ce n’est pas forcément le cas. Face au stress, une façon de réagir est de retrouver un certain contrôle sur la vie, en stockant certaines choses qui peuvent parfois paraître insignifiantes. De plus, comme le disait un de mes collègues australiens, il y a peu d’alternatives au papier-toilette… Un autre mécanisme peut également expliquer ces achats : l’imitation. Si vous voyez un certain nombre de personnes adopter un comportement, vous estimez qu’elles ont de très bonnes raisons et vous faites comme elles. Après tout, cela ne coûte rien d’aller acheter quelques rouleaux de papier supplémentaires… Gardons-nous donc de qualifier trop vite ces comportements d’irrationnels.

Le papier-toilette est aussi un produit d’hygiène. Ce n’est pas neutre en temps de crise sanitaire, non ?

Il ne faut pas mobiliser l’analyse freudienne pour voir qu’une manière de se rassurer est de posséder ce type de produits assez symboliques, d’autant qu’on ne cesse de nous rappeler qu’il faut redoubler d’hygiène… J’ajoute que ce qui peut paraître rationnel pris individuellement ne l’est pas nécessairement collectivement. Vous voulez protéger votre famille, pouvoir rester isolé une quinzaine de jours ? Il vous faut donc des vivres, d’autant que l’on nous dit qu’il ne faut sortir que pour acquérir des produits essentiels. Autant donc sortir une seule fois. Mais ces stratégies rationnelles deviennent irrationnelles collectivement et aboutissent à des phénomènes de pénuries.

Le simple fait d’énoncer une possibilité de pénurie l’aurait provoquée ?

Les réseaux sociaux ont en effet mis en avant la pénurie de ce type de produits, ce qui a contribué à la créer. Les médias plus traditionnels ont également souligné l’absence de marchandises dans les magasins, avec des reportages montrant des rayons vides… Cela est venu contredire le message général de la grande distribution et des politiques selon lequel les stocks sont suffisamment garnis. C’est ce qu’on appelle une prophétie auto-réalisatrice : ce qu’on prophétise est faux au départ, mais s’autoréalise en raison du comportement des gens. Car objectivement, dans les magasins, les rayons étaient vides.

Partner Content