Pourquoi Lidl adapte certains prix en fonction de la région

Certains produits frais et de grandes marques sont surtout visés. Une stratégie qui va à l'encontre du modèle du "hard discount" pur et dur. © Getty Images
Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

C’est inédit: sous la pression de nouveaux concurrents néerlandais en Flandre, l’enseigne low cost renonce aux prix nationaux et adapte désormais ceux d’un petit nombre de références en fonction de la région.

Les différents observateurs que nous avons pu interroger sont unanimes: la décision prise par le discounteur Lidl d’adapter les prix de certains de ses produits en fonction des régions est une petite révolution. Tout d’abord parce que cette stratégie va à l’encontre du modèle du hard discount pur et dur. Soit le one size fits all: un assortiment restreint, les mêmes produits de base dans tous les magasins, aux mêmes prix. Un modèle opérationnel qui permet aux enseignes à bas prix d’être très efficaces d’un bout à l’autre de la chaîne, de compresser leurs coûts et de proposer de ce fait des articles moins chers.

Tôt au tard, les agriculteurs seront touchés par cette manière de procéder.”

Pierre-Alexandre Billiet (Gondola)

Cette nouvelle orientation prise par Lidl est aussi une révolution dans le sens où le groupe lui-même a toujours martelé publiquement que sa force et son identité résidaient justement dans les mêmes prix bas constants quel que soit le point de vente visité. Il est ainsi amusant de se replonger dans les archives publicitaires de l’enseigne. Il y a quelques années, la chaîne s’était payé de pleines pages dans les journaux avec ce slogan: “Le prix d’un produit dans votre Lidl est plus élevé que dans un autre Lidl? Nous vous remboursons la différence! Chez Lidl, les prix sont identiquement bas dans tous les magasins.”

Avec cette campagne, le discounteur se positionnait à l’époque face à Colruyt, en raillant quelque peu les différences de prix locales pratiquées par le distributeur de Hal. Ce dernier, avec sa promesse des meilleurs prix, a en effet toujours pratiqué des prix régionaux, même locaux, pouvant varier d’un magasin à l’autre en fonction de la concurrence toute proche. Depuis l’arrivée au nord du pays de l’enseigne néerlandaise Albert Heijn (groupe Ahold Delhaize) et de ses prix très agressifs, Colruyt adaptait donc ses tarifs localement dès que son concurrent implantait un point de vente à proximité. Cela n’avait à l’époque pas manqué de faire réagir les consommateurs, d’où la campagne quelque peu moqueuse de Lidl.

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L’effet Albert Heijn et Jumbo

Seulement voilà, c’est aujourd’hui au tour de ce dernier d’annoncer des prix régionaux. Il faut dire que la situation a entre-temps bien évolué. Comprenez: la concurrence s’est considérablement renforcée. Albert Heijn couvre à présent tout le nord du pays, ce qui a forcé Colruyt à s’aligner dans tous ses magasins flamands. Et l’arrivée en 2019 d’une autre enseigne néerlandaise, Jumbo, n’a fait que renforcer encore un peu plus la compétition. Dans ce contexte, Lidl n’a d’autre choix que d’adapter certains de ses prix.

Pourquoi pas tous? “Diminuer ses prix partout est devenu impayable”, explique Pierre-Alexandre Billiet, CEO du média professionnel Gondola, qui révélait l’information. C’est que Lidl a opéré ces dernières années une montée en gamme faisant sortir l’enseigne allemande du hard discount stricto sensu. Le distributeur a élargi son assortiment, mis l’accent sur les produits frais, référencé quelques grandes marques, etc. “Sa structure est devenue plus complexe et donc plus coûteuse, affirme notre expert. A un moment donné, les prix augmentent. Lidl opère donc ici un réajustement pour continuer à tenir sa promesse sans devoir baisser ses prix de manière homogène sur tout le territoire, ce que l’enseigne ne peut s’autoriser.” Cette nouvelle stratégie doit par ailleurs permettre au discounteur de s’adapter beaucoup plus rapidement lorsque les prix remontent chez les concurrents. “Jusqu’alors, la chaîne devait suivre au niveau national et essayer de coller au plus près aux prix de Colruyt tout en espérant que les baisses opérées ne durent pas trop longtemps. Grâce à sa nouvelle stratégie, Lidl va pouvoir très rapidement réajuster ses prix localement dès qu’il n’est plus nécessaire de descendre.”

Pierre-Alexandre Billiet
Pierre-Alexandre Billiet© PG

10% de l’assortiment

Du côté de l’enseigne allemande, on souligne qu’il ne s’agit aucunement de faire varier les prix d’un magasin à l’autre. “Cela ne concerne que certaines régions bien ciblées où la concurrence est forte et dans lesquelles nous avons remarqué des différences de prix”, explique Julien Wathieu, porte-parole, qui se refuse à en dire davantage. Seuls 10% de l’assortiment sont concernés. Maximum. Il est question de certains produits frais (produits lactés, quelques fruits et légumes, etc.) et des grandes marques. “En réaction à différentes promotions de nos concurrents, nous avons décidé de réduire le prix de certaines références à certains endroits”, se contente d’expliquer le responsable.

Pour le rédacteur en chef du média professionnel RetailDetail, Stefan Van Rompaey, il est clair que c’est la Flandre qui est visée, en raison de la concurrence plus rude qui s’y joue. “Depuis l’arrivée d’Albert Heijn et de Jumbo au nord du pays, les prix y sont un peu plus bas, souligne-t-il. Dans ce contexte, lorsque vous pratiquez des prix nationaux, cela pose problème. Il faut donc trouver un moyen de rester compétitif d’une part, et de gagner de l’argent de l’autre.”

Quelles conséquences pour les fournisseurs?

Cette nouvelle stratégie ne fait-elle pas courir le risque d’une surenchère aux prix bas dans certaines régions, avec l’impact que l’on peut imaginer sur les fournisseurs? Pour Pierre-Alexandre Billiet, c’est clair, cette annonce n’est pas une bonne nouvelle pour nos agriculteurs. “Soit les distributeurs rognent sur leurs marges, soit ce sont les agriculteurs qui perdent. Mais tôt au tard, ces derniers seront touchés par cette manière de procéder.” “On peut clairement se poser des questions, embraie Stefan Van Rompaey. Les négociations annuelles entre industriels et grande distribution sont sur le point de commencer et tous les fabricants annoncent déjà que les prix vont augmenter en raison de l’envolée du coût des matières premières, etc.”. Autant dire que les discussions automnales s’annoncent explosives…

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