“Ne lisez pas vos mails dès le matin”: les conseils d’un psy pour mieux vivre le télétravail

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La crise du covid a fait naître un nombre inédit de télétravailleurs sur le long terme. Avec des conséquences positives pour certains, très négatives pour d’autres. Dès lors, comment mieux vivre cette période de télétravail? Nous avons interrogé Alexandre Heeren, professeur à l’Institut de recherche en sciences psychologiques de l’UCLouvain et chercheur qualifié FNRS, qui nuance, contextualise, et donne plusieurs astuces.

Peut-on dire, de façon générale, que le télétravail est une source de stress?

Cela dépend largement de différents facteurs. En réalité, cela fait déjà presque dix ans que des études sont menées sur les conséquences psychologiques du télétravail. Le covid est une opportunité pour clarifier ces enjeux. Cela varie, aussi, en fonction du type de profession. Certains auront plus de facilité à le mettre en place que d’autres. Quand il est mal organisé, il peut en effet devenir une source de stress. La manière dont l’employeur met les choses sur pied va aussi être déterminant. On n’est donc pas tous logés à la même enseigne.

Là où ça devient plus compliqué, c’est quand ça dure, comme en ce moment. Et que ce n’est pas volontaire. Si on a des jeunes enfants, ou des tensions à la maison, ce n’est clairement pas optimal. On peut ressentir un sentiment de culpabilité, comme si on était pris entre deux chaises. Car on doit à la fois être disponible pour ses enfants ou ses proches, et à la fois bien faire son travail. Quand la journée est finie, on peut avoir l’impression de n’avoir fait ni l’un ni l’autre. Pour peu qu’on ait un bon contexte, le télétravail peut amener du positif.

Quelles sont les conséquences psychologiques positives du télétravail?

De nombreuses études scientifiques s’accordent sur le fait que le télétravail peut mener, dans une large catégorie de professions, à une augmentation du sentiment d’autonomie, d’adhésion, et à un sentiment d’être respecté par l’employeur. De nombreuses données scientifiques suggèrent qu’il est également associé, lorsque bien organisé, à une augmentation significative de la qualité du travail et de la productivité. Lorsqu’on va sur site, on peut être bien moins productif car beaucoup d’éléments viennent perturber le travail. A domicile, si tout est là au niveau psychologique -les ressources mentales et matérielles-, ça débouche sur une plus grande productivité.

Et les conséquences négatives?

Les conséquences négatives peuvent se traduire dans un sentiment de tiraillement, où le travailleur a l’impression de ne pas pouvoir faire tout ce qu’il souhaite en même temps. Pour certaines personnes, on peut observer un manque de contrôle et un sentiment de perdition, par exemple dans le cas où les tâches ne sont pas bien définies par l’employeur. Si la structure ou le but du travail n’est pas bien déterminé, l’employé peut se sentir perdu. L’employeur a aussi une responsabilité à ce niveau-là.

Les conséquences négatives du télétravail peuvent se traduire dans un sentiment de tiraillement ou de détachement.

Pour certaines personnes, et c’est un peu plus mystérieux, on observe un sentiment de détachement. Cela concerne majoritairement les personnes qui sont de nature plus grégaire, plus sociable, et qui ont besoin d’une coupure entre lieu professionnel et privé. En télétravail, ces personnes-là ont plus de mal à distinguer les moments de travail et les moments de vie privée et se retrouvent un peu dans le flou.

Comment faire pour y remédier?

Etablir un agenda et un horaire est primordial. Sans pour autant essayer de faire autre chose à la maison. Faire une vraie pause à midi est important. Aller faire un tour dehors aussi, comme si on faisait une pause midi à son lieu de travail.

L’idéal est aussi d’avoir une pièce différente consacrée uniquement au travail. Une pièce détachée va permettre de faire cette rupture entre travail et vie privée. Ce n’est pas possible pour tout le monde, mais il faut quand même essayer d’aménager un minimum son espace de travail. Ça peut être un grenier ou un garage, tout simplement. Si ce n’est pas réalisable, il faut alors ranger les affaires de la vie privée lorsqu’on travaille, et inversement quand on a fini notre journée.

Vous avez d’autres recommandations pour mieux vivre le télétravail?

On doit établir des buts et un cap à suivre à l’avance. Le faire la veille, c’est idéal. Quand on est à l’entreprise, on est parfois portés par les réunions, et genre de choses. Il y a un élan extérieur. En télétravail, on est davantage livré à soi-même. On est plus libre de faire ce qu’on veut. Des personnes sont à l’aise avec ça, mais d’autres sont plus habituées à des métiers où l’élément déclencheur est extérieur. On peut y remédier par des petites actions très simples, comme noter sur une feuille les choses importantes à réaliser dans sa journée et la placer devant soi. Ça peut paraître ridicule, mais ça fonctionne redoutablement bien.

Comment faire pour éviter de tomber dans une logique de “surinvestissement”?

Le garde-fou des buts à atteindre sur sa journée prend tout son intérêt pour éviter cela. Si vous changez de destination en cours de route, ça sera difficile de savoir si vous avez fait le trajet nécessaire. Si vous fixez votre destination avant de partir, vous pourrez savoir quand vous avez atteint le but.

Lire ses mails, ce n’est pas la première chose à faire le matin. Ce n’est pas forcément la meilleure idée car ça peut nous orienter vers des choses qui, à la base, ne sont pas essentielles. Et on peut donc se retrouver en milieu de journée avec un sentiment de panique, après avoir répondu à tous ses mails mais sans avoir avancé sur les buts initiaux. Il vaut mieux se dire avant : “Que dois-je faire d’important aujourd’hui ?”.

Lire ses mails dès le matin, ce n’est pas forcément la meilleure idée car ça peut nous orienter vers des choses qui, à la base, ne sont pas essentielles.

Commencer par une chose importante, et ensuite prendre un café et aller voir vos mails vous permettra d’avoir ce sentiment d’efficacité et d’accomplissement. A ce moment-là, si des imprévus arrivent, cela permettra de les aborder de façon plus relax, comme vous avez déjà accompli des choses importantes. C’est typiquement une méthode qui est utilisée pour aider les personnes qui sont en burn-out.

La méthode du Pomodoro est également intéressante. Utilisez ce petit timer de cuisine pour organiser votre temps de travail. Cela permet de se dire : “Pendant 40 minutes, je vais faire cette tâche uniquement, sans prêter attention à autre chose.” Ça permet de retrouver du contrôle et ne pas se laisser complètement envahir dans sa journée. Sur le lieu de travail, quand on se laisse envahir, on finit par en sortir car tout le monde s’en va le soir. Quand on est chez soi, on a tendance à reporter les actions hors de l’horaire de travail initial. Ce sont donc des méthodes d’auto-contrôle pour contrer cela.

Quels sont les pièges à éviter ?

Il faut faire attention à ne pas tomber dans une dérive de ‘surcommunication’. Car souvent, les moments de pauses café ou de discussions dans les couloirs sont remplacés, en télétravail, par une abondance de mails.

Le nombre de mails envoyés n’est pas un gage de la qualité du travail.

Il faut lutter contre cela aussi pour éviter le surmenage. C’est un des gros problèmes du distanciel. Le nombre de mails envoyés n’est pas un gage de la qualité du travail. Cela dépend des jobs, bien sûr, mais répondre à un maximum de mails, ce n’est pas forcément réellement travailler.

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