Luxe: de la magie dans vos vitrines
Spécialiste de la magie robotisée, la start-up liégeoise Levita a mis au point une vitrine pouvant renfermer des objets en lévitation. Dans sa ligne de mire: les maisons d’ultra-luxe qui veulent faire rêver leurs clients. Ses responsables ont déjà séduit Richemont et LVMH. Ils sont présents au salon VivaTech de Paris cette semaine.
Les collaborateurs de la start-up liégeoise Levita retiennent leur souffle. Présents toute la semaine au salon VivaTech, à Paris sur le stand du numéro un mondial du luxe LVMH – rien que ça! -, ils sauront ce vendredi s’ils remportent le concours LVMH Innovation Awards dans la catégorie “Omnichannel & retail”. “950 entreprises avaient posé leur candidature, et nous figurons parmi les 28 finalistes – 11 dans notre catégorie”, se réjouit Clément Kerstenne, CEO et cofondateur de l’entreprise avec Philippe Bougard. Une victoire permettrait sans conteste à la pépite wallonne de gagner en visibilité dans le secteur. Et ce n’est pas tout. La société figure en bonne position pour intégrer cet été le prestigieux incubateur du leader mondial du luxe, la “Maison des start-up”. Une occasion unique d’entrer en contact avec les différentes marques du groupe.
La jeune pousse n’est en réalité pas inconnue du groupe de Bernard Arnault. Elle a en effet déjà noué des contacts avec plusieurs de ses “maisons”, dont le champagne Moët Hennessy à qui elle a livré une vitrine. Car oui, Levita est spécialisée dans la création de vitrines pour l’ultra-luxe. Et pas n’importe quelles vitrines puisqu’il s’agit de “boîtes” renfermant des objets en lévitation. Pour Moët Hennessy, la bouteille de champagne semble voler, tournant sur elle-même.
A côté de LVMH, l’entreprise wallonne a aussi pour clients le géant suisse Richemont et sa maison de montres Roger Dubuis, ainsi que l’horloger suisse Audemars Piguet. Ici, les vendeurs peuvent même s’emparer des montres en lévitation afin de les faire découvrir aux clients. A ce stade, Levita a commercialisé 20 vitrines, essentiellement dans des boutiques situées en Asie, à Tokyo, Shanghai, Singapour, mais aussi à Dubaï et New York. Comptez entre 18.000 et 25.000 euros par vitrine, plus les “consommables”. Lorsqu’un article a été saisi par un vendeur, une pièce doit en effet être changée pour pouvoir le placer à nouveau en lévitation.
20 vitrines
ont déjà été commercialisées par Levita, essentiellement dans des boutiques situées en Asie, à Dubaï et à New York.
Tombés dans la marmite dès l’enfance
Tout a commencé en 2018 pour Levita. Mais le parcours entrepreneurial de Clément Kerstenne et Philippe Bougard débute, lui, en 2012. Le premier est vétérinaire de formation, le second assureur. Ces deux magiciens professionnels, tombés dans la marmite dès l’enfance, n’ont toutefois jamais exercé dans leurs secteurs respectifs. En 2012 donc, ils créent la société de magie promotionnelle In The Air. Accompagnés de plusieurs magiciens indépendants, les deux acolytes se rendent à différents événements d’entreprise pour ajouter une touche de magie, à la présentation d’un produit par exemple.
Mais au fil des ans, les deux entrepreneurs désirent, à côté de cette première activité qui nécessite la présence d’un ou plusieurs magiciens, se lancer dans la magie automatisée. Leur ambition? Mettre au point, à destination de l’ultra-luxe, des vitrines robotisées accueillant des objets en lévitation. Ils décident de créer une autre société en parallèle, Levita, avec son financement propre. C’est que la mise au point des vitrines nécessite bien plus de fonds en matière de R&D. Depuis sa création, Levita a levé plusieurs centaines de milliers d’euros auprès de différents investisseurs, à savoir ses deux fondateurs, Luc Pire, Vincent Pissart, Nicolas Dembour, les fonds Siba et St’Art ainsi que la Région wallonne via la DGO6.
Dans ses ateliers du boulevard d’Avroy, à Liège, la start-up a confectionné jusqu’à présent deux gammes de produits. La Gravity Display, la vitrine en question, se décline en deux formats: un plus petit, The Cute ; et une version plus grande, The Box, qui permet de placer plusieurs objets en lévitation. La Travel Display, elle, est une boîte à apparition/disparition. Prenez une valise, par exemple. Celle-ci peut apparaître vide, se refermer automatiquement, puis se rouvrir pleine de vêtements. Magique!
Capter l’attention
L’entreprise n’exclut absolument pas de mettre au point d’autres gammes de produits à l’avenir. Tout se fait en fait en discussion étroite avec les clients, qui font part de leurs souhaits. A Levita de les exaucer!
Rien qu’avec les deux gammes déjà créées, les possibilités de diversification sont en réalité très nombreuses. Cela peut notamment passer par le storytelling. Qu’est-ce que la marque veut raconter? Les objets peuvent léviter de différentes façons. Ils peuvent tourner sur eux-mêmes, rebondir, marquer un arc de cercle, etc. Des bagues, par exemple, peuvent très bien tourner autour des doigts d’une main. Tout dépend du message que la marque veut véhiculer, de l’univers dans lequel elle veut placer ses produits.
Les vitrines, elles, peuvent, s’inscrire dans un environnement spécifique et “dialoguer” avec celui-ci. On peut notamment imaginer des écrans sur les côtés, et le passage des objets du virtuel au réel. “Un écran pourrait interagir avec le client, ajoute Clément Kerstenne. Un message lui demanderait de penser très fort à l’une des montres présentées dans la vitrine, et celle-ci se mettrait à tournoyer.”
On le comprend: Levita, en tant qu’agence créative spécialisée dans la magie automatisée, veut permettre aux marques d’hyper-luxe d’offrir à leurs client une expérience pour le moins originale au service des ventes. L’expérience client est plus que jamais au centre des préoccupations aujourd’hui. Dans une société où les sources de distraction sont toujours plus nombreuses, il est primordial, pour une marque, de capter l’attention.
“Notre vitrine nourrit plusieurs objectifs marketing, explique le CEO. Il s’agit tout d’abord de capter l’attention en une seconde. Ensuite, elle permet aux vendeurs de tisser un lien avec les clients, ce qui est la clé.”
Le secteur de l’ultra-luxe n’a pas été choisi par hasard. Ses articles ne sont pas encore vendus sur internet et l’expérience en boutique n’en est que plus importante. Par ailleurs, l’expérience de la lévitation aussi se marie très bien avec ce secteur exclusif. “Elle a de tout temps fait rêver, explique notre interlocuteur. Elle permet en outre aux maisons de luxe d’exposer leurs articles sous toutes leurs coutures. Aucune face de leurs produits exclusifs ne mérite d’être cachée.”
Un réseau mondial d’installateurs
La commercialisation des vitrines a débuté fin 2019. Mais elle a forcément été ralentie par la crise, le secteur de l’hyper-luxe ayant été fortement touché. Les fondateurs de Levita se félicitent du coup d’avoir tout de même pu en installer presque 20 depuis lors. “Nous avons réalisé 420.000 euros de chiffre d’affaires l’an dernier et un bénéfice de 115.000 euros, ce qui est un exploit au cours d’une période pareille”, affirme Clément Kerstenne.
A ce jour, le jeune CEO est en discussion avec une dizaine de marques de luxe. Le plus grand défi de l’entreprise aujourd’hui est d’agrandir son atelier de production afin de pouvoir faire face à la demande. Si la crise a forcément pesé sur ses activités, elle a aussi été l’occasion pour la start-up de mettre en place et de former tout un réseau mondial d’installateurs s’occupant également du service après-vente. “Ils vont installer les vitrines chez nos clients, les forment à l’utilisation, à la technologie qui se cache derrière, et les réparent si nécessaire, explique le cofondateur. Nous mettons effectivement nos clients dans le secret du fonctionnement de notre Gravity Display.”
Ses revenus, Levita les génère aujourd’hui par la vente de ses vitrines, ainsi que par des “consommables”. Mais la jeune entreprise n’exclut pas de faire évoluer son business model. “Nous envisageons de nous lancer dans la location, explique Clément Kerstenne. Que ce soit dans le cadre d’événements ou lors de l’ouverture de boutiques éphémères.”
Si c’est le secteur de l’ultra-luxe qui est aujourd’hui visé, les deux fondateurs souhaitent à terme s’ouvrir à un marché plus large avec des solutions peut-être davantage accessibles, centrées sur la lévitation… ou pas. Toutes les idées sont les bienvenues. Clément Kerstenne et Philippe Bougard se sont d’ailleurs déjà tournés vers le marché de l’art en nouant une première collaboration avec une galerie. “Nous avons commencé par l’ultra-luxe car passer du luxe à H&M est tout à fait possible, tandis que l’inverse moins”, sourit notre interlocuteur.
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