Leasing: comment les fournisseurs des flottes s’adaptent aux changement de fiscalité et de mobilité

Le problème des entreprises de leasing, c'est d'affronter une inconnue: quelle sera la valeur de revente des véhicules électriques en fin de contrat? © PHOTOS: PG
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Les loueurs auraient pu être ébranlés par les menaces sur les voitures de société. Ils se sont préparés en multipliant les services de mobilité. Mais le gouvernement, en réservant le statut fiscal aux voitures électriques à partir de 2026, leur assure un futur.

Plusieurs partis membres de la majorité fédérale avaient souhaité, lors de la dernière campagne électorale, supprimer plus ou moins progressivement les avantages fiscaux des voitures de société. C’était le cas du PS, d’Ecolo et du sp.a (Vooruit aujourd’hui). Cette perspective aurait été embarrassante pour le secteur du leasing. Mais d’autres partis de la majorité, comme l’Open Vld, n’avaient pas le même avis. Finalement, le compromis dégagé réserve un statut fiscal favorable aux seules voitures électriques, à partir de 2026 (lire en page 40). La voiture de société va donc servir de moteur pour accélérer la conversion vers des véhicules sans émission de CO2. Voilà qui crée une perspective positive pour le secteur de la location long terme. “L’électrification ne nous fait pas peur. Nous avons cinq ans devant nous”, explique Didier Willems, CEO de Volkswagen D’Ieteren Finance, qui finance la vente de marques du groupe D’Ieteren (VW, Audi, Skoda ou Seat notamment).

L’électrification ne nous fait pas peur. Nous avons cinq ans devant nous.

Didier Willems (VW D’Ieteren finance)

Aucun des loueurs contactés pour cet article n’a critiqué la mesure, au contraire, bien qu’elle soit fatale aux véhicules diesel et essence qui ont fait leur prospérité. “Nous sommes prêts et nous allons encore investir”, assure Guy De Ceuster, CEO de Belfius Auto Lease, qui occupe 60 personnes et gère 23.350 voitures, d’autant que l’objectif colle avec ceux du groupe Belfius, qui appartient à l’Etat fédéral. “Nous voulons investir dans la durabilité, c’est un défi important pour notre entreprise.”

Leasing: comment les fournisseurs des flottes s'adaptent aux changement de fiscalité et de mobilité

Peu importe le carburant

C’est que la décision clarifie la situation du secteur. “Que la voiture soit à carburant ou électrique ne change rien à notre rôle”, résume Erik Swerts, CEO d’Alphabet, actif depuis plus de 30 ans dans le leasing auto. Il reconnaît que c’est moins simple pour les entreprises clientes, qui affrontent la problématique du chargement. Là aussi, les loueurs pensent régler la question par le service, en proposant l’installation de bornes. Pour ceux qui craignent les recharges à effectuer sur de très longs trajets réalisés en voiture électrique, VW D’Ieteren Finance propose de mettre à disposition un véhicule à carburant pour assurer ces parcours ponctuels, avec l’option (payante) Flex-Moby.

Certains loueurs sont même très enthousiastes. “En 2017, nous avions annoncé vouloir passer au tout électrique pour 2030, on nous regardait souvent avec un sourire sceptique, dit Johan Portier, managing director de LeasePlan Belgique. Et finalement on va y arriver à partir de 2026 avec les mesures annoncées.” L’optimisme électrique de LeasePlan s’explique en partie par son origine néerlandaise: les Pays-Bas sont un des pays les plus avancés dans l’automobile électrique en Europe.

Plus de 60.000 vélos

L’électrification est la principale évolution du secteur de la location, mais pas la seule. Cela fait quatre ou cinq ans que les entreprises de leasing connaissent un changement, élargissent leurs offres, se présentent davantage comme des spécialistes de la mobilité que comme de purs fournisseurs de voitures en full service (assurance et maintenance comprises). Beaucoup proposent des vélos en location long terme, “plus de 60.000 ont été mis en circulation ces quatre dernières années selon cette formule”, déclare Frank Van Gool, directeur général de Renta, l’association de loueurs. Le numéro un sur ce marché est KBC Autolease.

Notre plus grand souci, c’est l’hésitation actuelle sur les mesures de mobilité. Nous souhaitons savoir où le gouvernement veut que nous allions.

Erik Swerts (Alphabet)

Plusieurs loueurs affichent aussi des formules de budget mobilité, des cartes, parfois des applications, pour contribuer à la multimodalité. Volkswagen D’Ieteren Finance propose une formule basée sur une application, Skipr, qui aide l’utilisateur à choisir le meilleur moyen de déplacement selon la destination et le moment, en indiquant les taux de CO2 de chaque option de transport. L’application sert aussi à réserver (De Lijn, Uber, voitures partagées Poppy, etc.) et à payer les services, facturés de manière centralisée. La formule est aussi proposée par Belfius Auto Lease, qui possède une participation de référence dans Skipr. Ces nouveaux services de mobilité sont mis à disposition par les loueurs à la fois pour anticiper la demande et surfer sur des mesures fiscales, comme les plans cafétéria, qui jouent un rôle important pour la location long terme de vélo.

Leasing de seconde main

Certains loueurs abordent aussi d’autres services ou d’autres marchés. Comme le leasing de voitures de seconde main. Une start-up, Lizy (groupe D’Ieteren), se développe dans ce créneau. Ou encore le leasing privé, réservé aux particuliers. C’est une manière de mettre ses oeufs dans plusieurs paniers. LeasePlan, par exemple, est assez actif sur ce dernier terrain. Au total, il y a un parc de 15.000 autos en location long terme “privée” en Belgique. “Nous regardons ce marché où nous n’avons pas encore d’offre, indique Guy De Ceuster, de Belfius Auto Lease. Nous nous intéressons aussi au leasing de seconde main, qui peut être une solution conforme à notre stratégie sur la durabilité. Nous étudions plusieurs développements.”

Les relations, qui étaient naguère surtout transactionnelles, sont de plus en plus basées sur le conseil.

Johan Portier (LeasePlan)

Le secteur tente donc beaucoup de nouveaux services. C’est un peu une période d’essais et d’erreurs. “Dans les nouveaux services que nous proposons, ce qui marche le mieux est le vélo”, constate Erik Swerts, d’Alphabet. Les autres services n’ont pas encore remporté le succès espéré. Alphabet propose par exemple une formule d’autopartage, AlphaCity, pour créer un pool interne de voitures avec une plateforme et une application pour organiser les réservations. “Tout le monde trouve l’idée excellente, et le système marche très bien, poursuit Erik Swerts, mais en pratique les gens ont besoin de temps pour s’adapter à un nouveau comportement.” Et puis actuellement, le budget mobilité souffre toujours de sa complexité.

Les incertitudes du Covid

Le secteur du leasing ne fait pas partie des activités fortement frappées par le Covid. Le parc a même augmenté de 4% en 2020, alors que les immatriculations de voitures neuves ont reculé de 21,5%. Mais beaucoup de contrats ont été prolongés, car les véhicules ont moins roulé. “Le Covid nous a en revanche aidés pour les vélos, qui ont été très demandés”, déclare Guy De Ceuster, de Belfius Auto Lease. Pour les mois à venir, il y a les optimistes et ceux qui s’interrogent. Johan Portier, de LeasePlan, fait partie des premiers. “Nous ne ressentons pas l’impact Covid cette année, davantage la crise des semi- conducteurs qui retarde les livraisons, mais le business va mieux que l’an passé.” Erik Swerts, d’Alphabet, est plus circonspect. “Nous vivons une situation temporaire, où le soutien des pouvoirs publics a suspendu les faillites, mais je suis soucieux de voir ce qui va se passer après les mesures.” Sans parler de l’impact du télétravail, qui va réduire le kilométrage parcouru.

La voiture reste le “core business”

Malgré toutes ces initiatives, la voiture reste l’élément central pour les sociétés de leasing, et devrait encore le demeurer. C’est clair pour LeasePlan, qui ne parle que de voitures sur les premières pages de son site web, alors que d’autres y évoquent aussi une offre vélo ou des services de mobilité multimodale. “Nous mettons en avant les véhicules automobiles, reconnaît Johan Portier. C’est une question de vision stratégique. Nous n’avons pas encore reçu de demandes uniquement pour des vélos, elles sont toujours ajoutées après un contrat auto. C’est aussi le cas pour les cartes de mobilité.”

Ajouter des services ne pose pas trop de difficultés aux sociétés de leasing car, généralement, elles les sous-traitent. Pour les vélos, seul KBC Autolease gère directement l’activité. Tous les autres recourent à des partenaires, surtout B2Bike. Même chose pour les services de budget de mobilité, de carte de mobilité multimodale et d’application. Cela permet d’étendre l’offre en limitant les investissements.

Le groupe D’Ieteren fait figure d’exception avec une approche plus intégrée. A côté de son bras financier, Volkswagen D’Ieteren Finance a en effet investi dans des start-up actives dans la mobilité du futur, à travers un incubateur, le Lab Box, dont certaines travaillent avec sa filiale financière. Voyez Lizy, la plateforme de leasing de seconde main mentionnée plus haut, et qui cherche à séduire d’autres loueurs. Ou Skipr. Lab Box a aussi lancé EDI, qui installe des bornes électriques chez les particuliers et dans les entreprises.

Sous-traitance

La sous-traitance est d’ailleurs l’ADN du secteur: la plupart des services sont prestés par des partenaires, qu’il s’agisse de maintenance, de la réparation de carrosserie, des pneus, de la fourniture de carburant. Le métier de la location consiste à intégrer ces services de la manière la plus confortable possible pour les clients et les utilisateurs. L’électrification s’intègre sans problème dans cette pratique. Faut-il aider les clients à les équiper en bornes? Les loueurs concluent des partenariats avec des spécialistes comme Eneco pour Alphabet, EDI pour VW D’Ieteren Finance, avec des formules de borne à domicile éventuellement financée par le contrat de location, et une facturation séparée de l’électricité consommée sur cette borne à l’employeur (split billing).

L’essentiel pour les loueurs est que le contexte fiscal soit clair, du moins son évolution. “Notre plus grand souci, c’est l’hésitation actuelle sur les mesures de mobilité, nous souhaitons savoir où le gouvernement veut que nous allions, dit Erik Swerts, d’Alphabet. Nous voulons pouvoir donner des conseils corrects aux clients, et pas des ‘on croit que’ ou ‘on espère que’.” Surtout que les conseils sont de plus en plus demandés. “Les relations, qui étaient naguère surtout transactionnelles, sont de plus en plus basées sur le conseil, avec la croissance de la complexité de la question de la mobilité, l’évolution de la fiscalité, l’électrification, le budget mobilité”, confirme Johan Portier.

l'appli Skipr, proposée par D'Ieteren Finance, permet de choisir le meilleur moyen de déplacement selon la destination et le moment, en indiquant les taux de CO2.
l’appli Skipr, proposée par D’Ieteren Finance, permet de choisir le meilleur moyen de déplacement selon la destination et le moment, en indiquant les taux de CO2.© PHOTOS: PG

Valeur de revente

Les entreprises de leasing semblent traverser les changements fiscaux et de mobilité sans crise majeure. Tout comme elles semblent modérément affectées par la crise du Covid ( lire l’encadré “Les incertitudes du Covid”). Elles ont tout de même un problème à régler dans leur business model. L’arrivée de la voiture électrique leur pose une difficulté pour calculer leurs tarifs. Un élément clé du calcul leur est inconnu: la valeur de revente des véhicules électriques en fin de contrat – en général quatre ans. Elle reste incertaine.

Cette valeur est à peu près connue pour les véhicules à carburant, car il y a un long historique qui permet d’évaluer correctement le prix de revente. C’est l’élément clé qui fait que le contrat génère un bénéfice ou une perte. “Nous ne savons pas encore exactement quelle est la réponse, reconnaît Guy De Ceuster, de Belfius Auto Lease. Nous pensons que la valeur de revente sera bonne, car le changement en cours fait qu’il y aura de la demande.” “Nous faisons des estimations mais, c’est vrai, nous manquons d’expérience”, confirme Didier Willems, de Volkswagen D’Ieteren Finance. Qui ne s’inquiète pas trop, car “fondamentalement, le véhicule d’occasion n’est que le reflet du véhicule neuf avec quelques années d’écart ; s’il y a de la demande pour le neuf, il y en aura pour l’occasion”. Le risque est la progression technologique rapide des véhicules électriques demain, qui pourrait dévaloriser plus vite les modèles actuels quand ils seront revendus dans quatre ans. “Mais pour le diesel, c’est un peu la même chose, les nouveaux modèles consomment moins que les anciens.” “Ce qui est rassurant, c’est qu’une batterie a une durée de vie nettement supérieure au contrat de location, elle est souvent garantie huit ans”, poursuit Didier Willems. Leur dégradation dans le temps est moindre que ce qui était craint. D’ici deux ou trois ans, le monde du leasing aura accumulé des données suffisantes pour limiter les risques sur les contrats d’autos électriques, lesquelles vont devenir son core business.

Un enthousiasme limité

Si les loueurs s’adaptent sans trop de souci aux nouvelles motorisations et aux nouvelles mobilités, qu’en est-il des clients, en particulier des managers de flotte? Eux voient leur métier grandement se compliquer. “On devra s’adapter, estime Frédéric Bastin, vice-président de l’AFFM (association francophone des fleet managers), en fonction à BAM Galère (construction). Le grand changement est que nous devons fort individualiser la mobilité, analyser le profil des déplacements de chaque personne pour voir si la voiture électrique est vraiment adaptée.” Dans certains cas, il faudra peut-être continuer à attribuer une auto à carburant, même si la fiscalité sera moins favorable. Les sociétés de leasing peuvent aider à ce travail, mais celui-ci reste fondamentalement la responsabilité du fleet manager.

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