Le Vendée Globe passe par Rixensart

Le skipper Arnaud Boissières devant sa table à cartes. Sur le Vendée Globe, il y passera en moyenne 6 heures sur 24. © CHRISTOPHE FAVREAU
Antoine Moreno Journaliste

Pour la deuxième fois consécutive, un Belge est engagé dans la célèbre course en solitaire autour du monde qui a débuté le 8 novembre. Pas en tant que skipper mais comme fournisseur officiel de services météorologiques. Pour mener les Formule 1 de la mer à bon port, les régatiers peuvent compter sur Gérald Bibot, un entrepreneur du Brabant wallon qui a créé un logiciel de prédiction ultra-performant.

C’est l’histoire de David contre Goliath. Ou plutôt de Nemo contre Poséidon si on veut filer la métaphore marine et résumer le bras de fer qui a opposé en 2016 la petite société belge Great Circle à Météo-France, le puissant établissement public français. L’enjeu? Devenir le fournisseur officiel de données météorologiques du Vendée Globe, l’une des courses à la voile les plus prestigieuses.

Septante jours de navigation en solitaire pour une trentaine de prétendants dont la moitié seulement termineront sans doute le périple. Un défi technique et humain devenu l’un des grands événements sportifs de la planète qui, comme les J.O., a lieu tous les quatre ans.

Contre toute attente, c’est la start-up de Rixensart qui a décroché l’appel d’offres. Un camouflet pour le prestataire hexagonal qui avait la main sur l’événement depuis près de 30 ans. Et cette année, c’est à nouveau la société brabançonne cofondée en 2010 et dirigée par Gérald Bibot, 60 ans, qui s’est imposée, pour la deuxième fois consécutive. Ce n’est pas le seul titre de gloire de Squid, le logiciel que le Belge a développé avec ses associés Christian Dumard, routeur de renom et Nicolas Clerbaux, chercheur à l’Institut royal météorologique de Belgique. Le programme a été choisi par les organisateurs de la Volvo Ocean Race, une fameuse course trisannuelle de voiliers qui a permis à la marque de se faire connaître au-delà du périmètre européen.

L’information météo est hautement volatile. Il faut être capable de réactualiser en permanence une mosaïque de données.”

Gérald Bibot

Une mosaïque de données

L’outil informatique a pour vocation de fournir les ressources météorologiques nécessaires pour naviguer en toute sécurité. Dans le cadre très réglementé des régates, les précieuses informations sont divulguées à la direction de course ou directement aux navigants. Une sacrée responsabilité tant les grandes courses sont synonymes de mers déchaînées et d’océans en furie qui mettent à mal les Imoca – ces monocoques de 60 pieds qui sont aux voiliers ce que la F1 est à l’automobile – et le moral des régatiers. Du passage de la ligne de l’équateur, synonyme d’orages très violents au Pot-au-Noir, une zone de l’Atlantique célèbre pour son alternance de pluies diluviennes et d’absence complète de vent, le calcul des éléments atmosphériques est fondamental pour qui veut espérer franchir la ligne d’arrivée.

“L’information météo est hautement volatile car elle est périmée après quelques heures. C’est la grande difficulté technique que nous devons surmonter. Il faut être capable de réactualiser en permanence une mosaïque de données”, détaille Gérald Bibot, CEO et actionnaire principal de Great Circle. Squid passe au tamis des dizaines de modèles météo collectés auprès de centres de recherches, des instituts publics et privés basés au quatre coins du monde comme NOAA (USA), ECMWF (Royaume-Uni), DWD (Allemagne), Meteo Blue (Suisse).

Gérald Bibot
Gérald Bibot© PG

Ces variables qui renseignent de manière très précise les vents, la pression ou l’état de la mer sont ensuite analysés dans les moindres détails et injectés dans des algorithmes de routages. “Le ticket d’entrée technologique n’est pas à la portée du premier venu”, souligne le directeur. Il faut aussi rendre l’outil digeste. Les skippers, déjà bien accaparés à barrer, à rattraper le manque de sommeil ou à tenir le journal de bord qu’ils doivent parfois contractuellement délivrer aux médias sous peine d’amende, exigent des programmes informatiques limpides comme les eaux de Polynésie …

Marin aguerri

“L’interface se doit d’être la plus simple possible pour l’utilisateur, poursuit le CEO. Un skipper sur le Vendée passe en moyenne 6 heures sur 24 à sa table à carte. Il est souvent tendu, fatigué, les doigts engourdis, les écrans et les commandes doivent être efficaces. Depuis 10 ans, nous avons apporté sans cesse des améliorations au produit. Et nous sommes les seuls sur le marché à proposer un logiciel compatible avec toutes les plateformes, à part sur Linux.”

L’entrepreneur, ancien de Solvay, a fait toute sa carrière dans l’IT. Mais d’après le concepteur de Squid, la réussite du projet est autant liée à son expérience de cadre dirigeant qu’à son parcours de skipper professionnel. Le businessman est un marin aguerri qui a notamment participé à la Route du rhum. “En 2007, je me suis consacré à 100% à la course au large, en commençant par la transat Jacques Vabre qui rallie le Havre au Brésil, raconte Gérald Bibot. C’est à ce moment là que j’ai pris conscience de la faiblesse des données météo que nous récupérions à bord. Les prévisions étaient souvent fausses ou obsolètes. Ce qui m’a donné l’idée de phosphorer avec mes associés sur la création d’un outil de prédiction qui prendrait en compte le point de vue des navigateurs. Nous avons initié les routages météo probabilistes, qui n’avaient encore jamais été tentés précédemment, et poussé la comparaison des modèles concurrents entre eux. Nous avons une connaissance du terrain.”

Une manière aussi d’être aux petits soins avec les navigateurs, ces athlètes solitaires dont le mental d’acier parfois se fissure quand les avaries tournent au cauchemar. “Notre métier, c’est également de rester en veille 24 h sur 24 et sept jours sur sept, de réagir en comprenant rapidement quelle est la situation à bord. Appréhender à distance l’état du bateau, du bonhomme, de la mer… Quand vous avez un skipper blessé ou qui démâte en pleine nuit, il faut être à ses côtés, le rassurer, être réactif et lui trouver un port de délestage, où que ce soit.”

Le Vendée Globe passe par Rixensart
© reuters

Il arrive aussi que Great Circle collabore avec les bureaux d’étude d’architecture navale afin d’optimiser le matériel de navigation bien avant leur mise à l’eau. Une étude de faisabilité baptisée BestSails passe au crible 15 années de bulletins météo et par paquets de trois heures… Une analyse aux petits oignons qui permet de rectifier la carène d’un catamaran, la ligne d’un foil ou le tracé d’une voile afin d’optimiser les performances des vaisseaux des mers. “Les records se jouent parfois dans un mouchoir de poche”, souligne l’entrepreneur. En 2018, le vainqueur de la Route du rhum a gagné après sept jours en mer avec sept minutes d’avance….

Pas l’essentiel des revenus

Le milieu très fermé des régates professionnelles ne représente pourtant pas l’essentiel des revenus de Great Circle dont le chiffre d’affaires tourne autour de 300.000 euros. Le label “fournisseur officiel météo” fait chic sur un C.V. sans être pour autant toujours une bonne opération financière. En théorie, le contrat d’exclusivité rapporte entre 150.000 et 200.000 euros mais, dans les faits, il faut consentir à des réductions substantielles pour ne pas se faire damer le pion par les instituts de météorologie qui proposent des prestations à un prix plancher. Un geste commercial dérisoire en regard de leurs réserves financières. Pour se donner une idée, Met Office, le service national de météorologie britannique, a dépensé il y a quelques mois 1 milliard d’euros pour s’équiper de superordinateurs afin d’affiner ses prévisions sur le temps. Les 40.000 utilisateurs de Squid sont pour l’écrasante majorité composée de plaisanciers qui ne traverseront jamais les Quarantièmes Rugissants. Cap Ferrat ou Cap Horn, il faut choisir son camp…

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