Le manque de papier, un “drame” pour la presse imprimée

Autrefois, le journal de la veille était recyclé pour emballer les légumes sur les marchés. Désormais, les courses sont livrées à domicile dans du carton, souvent recyclé, et la presse française manque de papier journal, inabordable.

À force d’anticiper et d’accompagner la numérisation de la presse, les industriels du papier et du carton ont tellement réduit leur capacité de production de papier journal qu’il ne restera, dans quelques mois, qu’une seule machine de production en activité en France.

Et le prix du papier journal flambe : à 400 euros la tonne au 1er semestre 2021, il a doublé en un an, pour atteindre 800 euros et plus en avril, indique l’Alliance (Apig) qui regroupe 285 titres de presse nationale ou régionale.

“La tension sur les approvisionnements des journaux résulte des fermetures de machines ou de transferts de machines vers la fabrication d’emballages” en cartonpour répondre à la forte demande du secteur de la vente en ligne, confirme Paul-Antoine Lacour, délégué général de Copacel, qui regroupe les entreprises de l’industrie du papier, du carton et de la cellulose. “Les papeteries se reconvertissent dans le carton pour fournir Amazon. Et les plus petites, sur lesquelles on pouvait réajuster les commandes, ferment, ce qui fait que nous avons un vrai problème industriel de dépendance en France”, note Fabien Gay, directeur du quotidien l’Humanité et sénateur de Seine-Saint-Denis (région parisienne).

Les papetiers, gros consommateurs de gaz et d’électricité, souffrent parallèlement de la flambée des cours de l’énergie. “Nous étions à 3% de nos coûts, et maintenant on est à 10%”, ajoute M. Lacour. Le phénomène ne touche pas que la France. Toute l’Europe est affectée, mais l’Espagne, l’Allemagne et les pays scandinaves conservent des capacités de production de papier journal.

Lectorat attaché au papier

Les journaux français, pris entre leurs coûts fixes (rotatives, rédaction, réseau de distribution) et la flambée de l’énergie et du papier, vivent la situation comme un drame. “Difficile de résister à une hausse pareille. Potentiellement, certains titres en France ne devraient pas survivre”, déclare à l’AFP Philippe Carli, président du groupe Ebra, qui regroupe neuf titres de l’est du pays. Selon des données confidentielles auxquelles l’AFP a eu accès, la seule hausse du prix du papier va peser entre 5 et 10 millions d’euros supplémentaires dans les comptes de groupes comme Ebra, Ouest France, Le Monde, Le Figaro ou Sud-Ouest.

Malgré la numérisation croissante, la presse française, dont beaucoup de titres ont augmenté leur prix de vente au numéro en début d’année, consomme encore quelque 330.000 tonnes de papier par an, indique Pierre Petillault, directeur de l’Alliance. Les plus fragiles sont les titres de la presse hebdomadaire régionale, encore peu numérisés.

Beaucoup de journaux réduisent leur pagination, suppriment des cahiers ou ne sortent pas les jours fériés. Outre-mer, La Dépêche de Tahiti, en difficulté depuis longtemps, a été placée en liquidation judiciaire fin avril. Certains papetiers profitent de la situation pour faire monter les enchères. “Avant, nous avions des prix annuels, maintenant on négocie les prix par trimestre, il y a même des allocations de papier faites au plus offrant”, indique un patron de presse qui requiert l’anonymat.

Le recyclage lui-même est de plus en plus orienté vers le carton d’emballage, très demandé par le commerce électronique.

À partir du 1er janvier 2023, la loi Agec contre le gaspillage imposera aux journaux de s’acquitter d’une éco-contribution auprès de Citeo, qui organise la collecte et le recyclage des déchets en France, au lieu d’un paiement en nature sous forme de pages de pub comme c’est le cas jusqu’à présent.

“C’est fou, nous les journaux, allons directement aider à financer Amazon et les autres”, grince-t-on à l’Alliance. Cette dernière a demandé une aide spécifique aux pouvoirs publics : “Que le carton soit en plein essor pour l’e-commerce, on le comprend, mais on a du mal à évaluer l’apport de l’e-commerce à la démocratie”.

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