Le business des plats préparés: “Tout le monde parle de durabilité mais personne n’est prêt à y mettre le prix”
“Il y a une méconnaissance de notre secteur, souffle la fédération des plats préparés en Belgique. Nous avons encore mauvaise réputation. Pourtant, nos produits ne sont pas moins sains que ceux que l’on cuisine chez soi.” Trends-Tendances a poussé les portes de Frigilunch, une entreprise qui propose ses plats en barquettes, disponibles dans les rayons des supermarchés et qui se réchauffent en quelques minutes.
Carbonnades, poulets en sauce, boulettes sauce tomate, etc. Derrière ces plats en barquettes disponibles via la grande distribution ou l’horeca, on retrouve notamment l’entreprise Frigilunch, un nom familier dans le monde des plats cuisinés. Dans l’un des bâtiments qui se succèdent au milieu d’un zoning pas très loin de la mer du Nord, à Furnes plus précisément, les travailleurs s’affairent à cuisiner des milliers de repas préparés avec le plus grand soin. Lorsque l’on passe le hall d’entrée, impossible pourtant de deviner que d’immenses cuisines se cachent derrière les murs. L’entreprise s’offre au visiteur de manière classique: un bureau d’accueil, des bureaux RH, un poste marketing… et pas d’odeur de plats mijotés. En contournant le bâtiment et après avoir traversé le parking où de nombreuses voitures avec une plaque française sont garées (nos voisins constituent 60% des employés), on aperçoit les travailleurs de l’ombre, “ceux qui font la qualité du produit”, précise Anthony Botelberge, CEO de Frigilunch. Tablier, charlotte sur les cheveux et bottes… La tenue des employés en cuisine est similaire pour tout le monde. Même pour les visiteurs. “C’est toute une procédure pour pouvoir entrer”, prévient le chef de production. Aucun objet parasite ne s’introduit dans le bâtiment et les règles d’hygiène sont scrupuleusement respectées. Les mains doivent être lavées, séchées et désinfectées avant de passer le contrôle d’une machine qui autorise, ou pas, l’entrée. “Nous travaillons avec la nourriture, vous comprenez…”
Le secteur des plats préparés regroupe 42 entreprises belges qui réalisent un chiffre d’affaires de 470 millions d’euros.
Derrière les immenses couloirs dont les hauteurs sous plafonds sont impressionnantes, une centaine de travailleurs s’activent à la préparation des plats. Les cuisines ouvrent dès trois heures du matin afin de commencer les cuissons et la confection des sauces. Un horaire qui permet de conditionner les repas dans les barquettes très tôt le matin afin de livrer rapidement les centres de distribution. Dans les salles de stockage, de nombreux paquets sont amoncelés les uns au-dessus des autres. Certains aliments peuvent se conserver plus longtemps que d’autres et ont une place privilégiée dans la pièce, comme les épices dont l’odeur est perceptible à travers les sacs. Dans les salles de cuisson, le bruit des machines s’ajoutent aux conversations. Les fours sont nettoyés automatiquement, des jets d’eau se dessinent derrière la paroi. “Toutes les machines sont lavées après utilisation”, ajoute le chef de production.
15 millions de repas sur l’année
Aujourd’hui, c’est lasagne végétarienne et poulet sauce champignon. Deux lignes de production sont en service pour la préparation. Les recettes détaillées sont sur le plan de travail. Dosage, température et valeur nutritionnelle, tout y est. “En Belgique, le plat préparé a mauvaise réputation, regrette Anneleen Vandewynckel, secrétaire générale de la Brema, la fédération des plats préparés de Belgique. Pourtant, ils sont très sains car ils ne contiennent pas beaucoup de sel et le processus de cuisson est contrôlé afin de garder les vitamines et minéraux.” Si la température des aliments est constamment maintenue au-dessus d’un certain seuil, celle des pièces varie de l’une à l’autre. Là où l’on cuit les lasagnes, la chaleur du four est palpable tandis que plus loin dans l’entreprise, une pièce maintient les aliments surgelés à – 25°C. Dans le frigo, c’est manteau, bonnet et gants pour le courageux travailleur qui n’a pas de mal à oublier la canicule extérieure. Fours, cuve, balance, tout est surdimensionné dans le secteur. “Plus de 15 millions de repas sont préparés ici chaque année”, ajoute Anthony Botelberge. Les ingrédients sont pesés au milligramme près. “Les plats doivent fournir les divers nutriments nécessaires à la santé et proposer une valeur nutritionnelle adaptée, rappelle la secrétaire générale de la Brema. Un plat préparé n’est pas moins sain qu’un plat que l’on cuisine chez soi. Le consommateur n’a jamais mangé aussi sainement et de manière si réglementée et pourtant, il n’a jamais été aussi méfiant envers la nourriture qu’aujourd’hui.”
Hausse des prix… et pénurie
En Belgique, le secteur des plats préparés regroupe 42 entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires de 470 millions d’euros. Ces entreprises travaillent aussi bien en food service que pour la distribution. “La différence entre les deux est la diversité des plats proposés, explique le CEO de Frigilunch. Dans les rayons des magasins, la place est plus limitée, donc notre offre aussi.”
Les recettes disponibles en supermarché sont commandées par les distributeurs qui privilégient les plats préférés des Belges, à savoir les boulettes sauce tomate et les carbonnades. Pour les entreprises de services à domicile ou l’horeca, la carte proposée est bien plus grande. “C’est une collaboration mais les suggestions viennent de nous”, poursuit Anthony Botelberge.
En Belgique, le marché représente 208.500 tonnes de plats préparés par an. “Ce ne sont pas seulement des plats que l’on achète mais un véritable processus logistique”, assure Anneleen Vandewynckel. Du fournisseur aux clients, les entreprises assurent elles-mêmes chaque étape: l’approvisionnement, le processus productif, la distribution et la commercialisation. En plus du retail et de l’horeca, ces entreprises proposent également leurs plats à des écoles. Frigilunch, par exemple, a développé sa propre marque “Deli Meal” qu’elle livre à environ 150 écoles, principalement en Flandre. L’entreprise a déjà prévenu il y a quelques mois que les prix des repas augmenteraient. En cause? La sécheresse qui engendre des récoltes compliquées, la guerre en Ukraine et l’augmentation des prix de l’énergie qu’elle a générée, mais aussi l’après-pandémie qui a fragilisé le stock de nombreuses entreprises. “Cela fait 20 ans que je suis dans le métier et ça n’a jamais été aussi compliqué”, estime Anthony Botelberge. Viande, poisson, légumes…, les entreprises du secteur doivent faire face à une augmentation de 40% des prix des matières premières. “C’est énorme, on ne se rend pas compte.” Dans le prix d’un plat préparé, un tiers est destiné à couvrir les frais des matières premières, un tiers à l’énergie et un tiers à l’emploi. “C’est un métier de savoir-faire, ajoute la Brema. Et on doit tenir compte de l’indexation des salaires.” La rentabilité des entreprises dans le secteur des plats préparés est d’environ 3,5%. “Celui qui n’augmente pas ses prix va faire faillite”, reconnaît Anthony Botelberge.
Les distributeurs privilégient les plats préférés des Belges, à savoir les boulettes sauce tomate et les carbonnades.
Marché tendu
En 2021, le secteur semblait pourtant se redresser économiquement mais la guerre en Ukraine – notamment – fait qu’il n’est plus rentable pour 30% des entreprises alimentaires de poursuivre leur production. Une enquête menée auprès des 700 membres de Fevia montre qu’aujourd’hui, l’approvisionnement de la moitié des entreprises alimentaires est perturbé et que 70% d’entre elles doivent adapter la composition de leurs produits ou devront le faire prochainement. “Nous avons de bonnes relations avec nos fournisseurs”, souligne Wim Mouton, strategic manager chez Frigilunch. Garder les mêmes a permis à l’entreprise d’anticiper certaines pénuries, comme pour celles touchant les huiles. Résultat, “nous ne devons pas faire face à des pénuries, se réjouit-il. Même s’il serait impossible d’être livré en quantité plus importante .” Si l’augmentation des prix semble inévitable, encore faut-il qu’elle soit acceptée par les clients, la grande distribution entre autres. “Nous avons respecté nos contrats avec les retailers mais les entreprises vont devoir renégocier les prix”, précise le CEO. La situation de chaque entreprise de plats préparés est différente selon le produit qu’elle propose, frais ou surgelé par exemple, et les contrats avec les retailers sont donc différents.
La négociation des prix entre producteurs et distributeurs s’annonce “très complexe” puisque la grande distribution joue la carte de la défense du pouvoir d’achat. Et elle est intransigeante, quitte à ne plus proposer certaines marques à ses clients.
Offre personnalisée
“Le problème, c’est que nos supermarchés ne sont pas assez chauvins. Ils proposent également des plats préparés de France ou des Pays-Bas dont le prix est moins cher, pointe la secrétaire générale. Il faut absolument défendre notre savoir-faire belge… mais cela a un coût.” Si les plats de l’étranger sont moins chers, ce n’est pas parce que les entreprises belges font plus de bénéfices, assure la Brema. “Aux Pays-Bas, il y a une telle pression sur les prix que cela a des conséquences sur la qualité.” Bien sûr, si la grande distribution propose des plats préparés à un prix plus attractif, c’est parce que le consommateur est demandeur. “Dans les rayons, les clients cherchent le prix le plus bas sauf qu’ils veulent aussi des plats sains, sans pesticides, bios et respectueux de la planète, ajoute Anneleen Vandewynckel. Tout le monde parle de durabilité mais personne n’est prêt à y mettre le prix.” Le secteur insiste: cette durabilité a toujours été un point d’attention. “Nous recherchons constamment des moyens pour optimiser les emballages et répondre aux directives européennes afin de les rendre plus durables”, précise la Brema qui travaille également sur la problématique du gaspillage. “Les déchets des aliments sont transformés et destinés à la nourriture pour animaux.”
L’augmentation des prix et la durabilité sont donc deux défis auxquels le secteur doit faire face mais celui-ci n’échappe pas à la pénurie de talents. “Si vous me présentez 500 personnes, je les engage immédiatement”, déclare Anneleen Vandewynckel. Certains emplois à pourvoir ne demandent pas de diplôme et les horaires sont moins pénibles que dans l’horeca. “Mais même avec des horaires de journée, impossible de trouver des personnes prêtes à travailler.”
Afin de continuer à se développer, le secteur compte sur la personnalisation de ces plats préparés. L’objectif est d’adapter les recettes selon les besoins nutritionnels du consommateur, que ce soit un enfant ou une personne âgée. “Ces derniers ont moins d’appétit, il est donc important de proposer des aliments plus denses mais aussi faciles à avaler, explique la Brema. Il faut sortir des plats classiques.”
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