La dilution des fondateurs n’est pas inéluctable

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Plus une entreprise informatique à forte croissance amasse d’importants capitaux à chaque tour de financement, plus la participation de ses fondateurs s’en trouve diluée. Jusqu’à n’avoir plus voix au chapitre. Jurgen Ingels, cofondateur de Clear2Pay, nous dévoile comment éviter pareille situation.

Depuis la cession réussie de Clear2Pay en 2014, son cofondateur Jurgen Ingels s’investit encore plus pour soutenir les entrepreneurs belges dans le domaine des TIC. C’est en ce sens qu’il a contribué à créer le festival des technologies anversois SuperNova, organisé pour la toute première fois il y a quelques semaines. Il a aussi apporté son soutien au réseau Startups.be et a fondé Smartfin Capital, un fonds de capital-risque qui entend renforcer l’écosystème des entreprises technologiques dans notre pays. Il a investi dans une foule de start-up, dans lesquelles il assume parfois le rôle de directeur financier. Le grand public a appris à le connaître grâce à l’émission télévisée De Leeuwenkuil (traduisez La fosse aux lions). Il s’est également donné pour mission d’expliquer aux entrepreneurs comment éviter la dilution de leur capital au cours des tours de financement, de façon à leur permettre de rester aux commandes. Et voici comment il s’y prend.

Prenons un exemple. Cyrille, entrepreneur, a développé un nouveau logiciel très prometteur et crée la société Egel, sur ses propres deniers et avec l’appui de ses proches. Il détient alors la totalité des 100.000 actions. Quelques mois plus tard, il parvient à convaincre Charlotte, une business angel d’investir 1 million d’euros dans sa société contre la moitié des actions. Cela porte le total des actions à 200.000. Charlotte verse 10 euros pour chacune de ses 100.000 actions. Cyrille, sur les conseils de Jurgen Ingels, inscrit une option de rachat sur la moitié des actions de Charlotte dans le contrat.

Cette option stipule que Cyrille peut racheter la moitié des actions de Charlotte dans les trois ans. Charlotte y trouve son compte aussi, car l’exercice de l’option se fait selon la valorisation au moment de son entrée au capital, avec une augmentation de 25 % par an. Dès lors, si après un an ou deux Charlotte vend une partie de ses actions à Cyrille par le biais de cette option, elle récupérera une grande partie de son investissement. Cet argent, elle pourra le réinvestir dans une autre start-up, tout en continuant à participer à la croissance de Egel avec les actions qui lui restent.

Pour Cyrille, il s’agit de toute évidence d’un pari, qui repose sur la conviction que sa société affichera une croissance annuelle de plus de 25 %. Mais pour le coup, il s’agit d’un pari réussi. Sa société enregistre une croissance de 40 à 50 % par an, augmentant la valeur de ses actions. Après trois ans, Cyrille décide d’attirer des capitaux frais. Dominique, une autre business angel, investit 5 millions d’euros contre 25 % des actions. En conséquence, la participation de Cyrille et de Charlotte est désormais diluée à 37,5 %. Cyrille décide donc d’exercer son option de rachat sur les actions de Charlotte. Il utilise une partie des capitaux obtenus par l’intermédiaire de Dominique pour racheter la moitié des actions de Charlotte. Grâce à l’option de rachat, il les rachète à un prix nettement inférieur au prix payé par Dominique.

Prenez deux entreprises avec le même chiffre d’affaires et le même Ebitda, sauf que l’une compte un seul client et l’autre 10. Vous investirez plutôt dans la deuxième. Les chiffres sont les mêmes, mais pas la valeur.”

Evidemment, lors de l’augmentation de capital, Cyrille a imposé la même option de rachat à Dominique, de façon à pouvoir appliquer cette technique lors du prochain tour de financement. “Vous pouvez travailler avec un objectif de 10 % des actions, explique Jurgen Ingels. En cas de dilution de ma participation, j’ai donc automatiquement le droit de l’augmenter de 10 %.”

Que vaut votre idée ?

Cette technique présente un autre avantage. Il est toujours très difficile de déterminer la valeur d’une start-up peu après sa création. “Que vaut votre idée ? Que vaut une oeuvre d’art ? Cela revient à savoir le prix le plus fou que les investisseurs seront prêts à payer, poursuit Jurgen Ingels. Prenez deux entreprises avec le même chiffre d’affaires et le même Ebitda, sauf que l’une compte un seul client et l’autre 10. Vous investirez plutôt dans la deuxième. Les chiffres sont les mêmes, mais pas la valeur.”

L’établissement d’une option de rachat solutionne en partie ce problème. “Si vous avez la possibilité de racheter la moitié des actions, la valorisation n’a plus aucune importance, puisque si l’action est trop chère, vous la revendrez aussi au-dessus de sa valeur, et vice versa”, poursuit-il.

Evitez de vous lancer seul dans une pareille construction, mais faites plutôt appel à un avocat expérimenté dans les tours de financement, avertit Jurgen Ingels. Selon lui, les investisseurs en capital-risque sont aujourd’hui plus orientés coopération et smart money, là où avant ils prenaient leurs bénéfices trop rapidement.

“Il faut presque avoir un doctorat en droit pour comprendre les contrats actuels en matière de capital-risque, ajoute l’entrepreneur. Le profane s’y perd facilement. Si vous ne prenez pas vos précautions, vous vous retrouverez facilement à signer un contrat qui vous privera du contrôle sur votre entreprise. Vous aurez beau détenir 60 % des actions, si l’investisseur en détient 10 % avec une clause de préférence, il pourra empocher 50 % des bénéfices en cas de cession de la société. Vous devez donc veiller à comprendre les risques.”

Jurgen Ingels est également très partisan d’une structure juridique simple. Une division des actionnaires en catégories A, B ou C peut aboutir à la paralysie de l’entreprise en cas d’opposition de ces catégories.

Option de rachat

Notre entrepreneur technologique ouest-flandrien est par ailleurs persuadé que sa technique profite à l’Etat belge, en ce sens qu’elle permet de créer des start-up plus rapidement et avec des moyens limités. “Généralement, un fonds public qui investit dans des start-up ne récupère ses billes qu’après 10 à 15 ans, ajoute-t-il. Pendant cette période, l’argent est bloqué. Il faut donc beaucoup de capitaux pour pouvoir investir dans un grand nombre d’entreprises. Mon modèle offre une alternative. L’Etat peut prendre une option de rachat sur la moitié des actions, plus 20 % de rendement sur deux ans. Si l’entreprise croît rapidement, il ne vous restera certes plus que la moitié de vos actions après deux ans, mais vous aurez récupéré 70 % de votre risque financier. De l’argent que vous pourrez réinvestir dans de nouvelles start-up. L’effet multiplicateur est donc élevé : avec les mêmes capitaux, vous pouvez financer deux, trois voire quatre entreprises contre une seule auparavant. ”

Benny Debruyne

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