La chaîne d’information en continu LN24 est à vendre

Vincent Genot
Vincent Genot Coordinateur online news

LN 24, la petite chaine d’information en continu qui a apporté un grand vent de fraicheur dans le paysage audiovisuel francophone n’a que deux ans au compteur. Pourtant, malgré son jeune âge, elle est déjà mise en vente (en totalité, en partie ou via une augmentation de capital ouverte à de nouveaux actionnaires) par ses deux principaux actionnaires Besix et Belfius (plus précisément, la partie assurance du groupe bancaire).

La mission de vente a été confiée début de l’été à VDP, une “boutique financière” de Gand active dans les achats et ventes d’entreprise, mais ne faisant pas partie des grands acteurs de ce genre de “deal”. Sans doute, nous dit-on, parce que Belfius ne pouvait pas faire appel aux services d’un concurrent.

Fin de l’idylle

La raison de cette vente précipitée est double. Primo, le montant des pertes s’élève aujourd’hui à plus de 7 millions d’euros, et les actionnaires se sont forgé au fil du temps, le sentiment qu’ils n’ont plus rien à dire au niveau opérationnel. Sans compter qu’entre ce qu’on a leur a promis au début de l’idylle et le résultat final, il y a un gouffre. Les proches du dossier ont parfois la dent dure, l’un d’eux n’hésitant pas à nous dire que “LN24 est aujourd’hui plus proche de la radio filmée que d’une vraie chaine télévision”. Bien entendu, la direction actuelle se défend auprès des actionnaires actuels en rappelant que si l’arrivée du covid-19 a dopé l’audience (une sorte de plan marketing involontaire et gratuit), elle a – en revanche – fait sombrer les recettes publicitaires. L’argument est valable, mais n’explique pas tout, car la publicité s’est depuis lors redressée dans les autres médias, mais pas encore assez chez LN24. La faute à qui ? Les uns (en interne) pointent du doigt la régie RMB de la RTBF pas assez dynamique sur ce coup. De son côté, RMB, laisse entendre depuis des mois qu’elle fait son maximum, mais que le modèle économique de la chaine doit être revisité. Pour éviter de s’étriper à longueur de journée, LN24 – à l’initiative de Stephan Salberter, le numéro 3 de la chaine – a lancé sa propre “régie” dénommée LN24 Brand House. Si l’initiative a vite porté quelques fruits, elle n’a pas pu encore compenser les pertes publicitaires accumulées au fil du temps. Secundo, il y a une forme de défiance à l’égard du management et en particulier de son CEO, Joan Condijts. Les preuves de cette défiance ? La mission de vente de LN24 est pilotée directement par Rik Vandenberghe, l’ancien CEO de BESIX, prié maintenant de trouver une solution à ce gouffre à finances qu’est LN24. Or, la norme dans le monde des affaires aurait voulu que ce soit le CEO de LN24 ou le président du conseil d’administration (l’homme d’affaires Philippe Lhomme) qui pilotent la vente. Or, ce n’est pas le cas. Il faut dire que les deux journalistes à l’origine de ce beau projet qu’est LN24 (Joan Condijts et Martin Buxant) n’ont chacun que 1% du capital. Autant dire qu’ils n’ont pas d’effet de levier sur Belfius et Besix, les deux actionnaires majoritaires. Pire, lors de la soirée d’anniversaire (des 2 ans) organisée début septembre à la Villa Empain, les principaux actionnaires étaient aux abonnés absents. Ou alors représentés par des cadres non décisionnaires.

Défiance

La défiance n’est pas nouvelle, elle s’était déjà exprimée lors des remous du conseil d’administration du printemps 2021 où certains actionnaires souhaitaient se défaire de l’actuel CEO. Motif ? Son management jugé trop vertical, trop solitaire, aurait conduit à d’innombrables frictions selon les personnes proches du dossier. Des frictions constatées aussi bien avec les actionnaires qu’avec leurs représentants, et depuis quelque temps, les frictions entre le CEO et d’autres membres de la direction surgissent régulièrement. Le malaise est aussi perceptible au sein de la rédaction de LN24 suite aux mauvais chiffres financiers. Non seulement, la société des rédacteurs n’est plus qu’une sorte de placard vide, mais encore, plusieurs figures de la chaine sont en mode recherche. La défection récente d’un excellent journaliste comme Pierre Fagnart vers le groupe Rossel reflète en partie ce malaise. Ce dernier n’est fort heureusement pas généralisé et d’aucuns en interne veulent y croire encore, estimant que l’offre éditoriale de LN24 est originale et permet d’éviter aux téléspectateurs de se retrouver coincés entre le duopole RTBF et RTL-TVI.

Joan Condijts et Martin Buxant
Joan Condijts et Martin Buxant© ISOPIX

Conflits d’intérêts

D’autres journalistes en interne évoquent aussi les potentiels conflits d’intérêts qui pourraient naître entre la fonction d’administrateur délégué (exercée par les deux fondateurs de la chaine) et la fonction éditoriale. Le mélange des genres ne plait en général pas au CDJ (l’organe de déontologie de la profession) ni d’ailleurs aux actionnaires qui se plaignent en coulisses de ne pas savoir s’ils parlent à un administrateur délégué ou à un journaliste. Malgré ces remous, malgré les pertes de 7 millions d’euros, les actionnaires actuels espèrent retrouver une partie de leur mise en vendant tout ou partie de leurs parts. Leur thèse ? Avec des changements drastiques au niveau de la gouvernance et un autre business modèle, LN24 pourrait avoir de beaux jours devant elle. Plusieurs médias ont été contactés, mais, selon nos informations, la plupart ont décliné poliment l’offre remise par VDP. En revanche, le groupe média IPM (La Libre, la DH, DH radio, Paris-Match Belgique) et le promoteur immobilier flamand Ghelamco auscultent le dossier en profondeur. La présence d’IPM n’étonnera pas, vu que ce groupe familial a aussi voulu acheter RTL-TVI avant de se faire bruler la politesse par son concurrent Rossel allié au tycoon flamand des médias Christian Van Thillo.

Pour IPM, le rachat de LN24 ferait sens, notamment via des synergies éditoriales évidentes à réaliser. Etre adossé à un promoteur immobilier puissant permettrait d’investir dans l’avenir et le cas échéant ouvrir des portes vers la Flandre. De plus, la pluralité des médias serait en partie respectée afin d’éviter que Rossel, via son rachat de RTL-TVI, ne devienne trop dominant en Belgique francophone. Les politiques de tout bord y sont sensibles, ils ne veulent pas se laisser dicter leur exposition – et donc leur relation avec les citoyens – par un seul groupe de presse. Et si LN24 ne trouvait pas repreneur ? La question se poserait de manière aiguë aux actionnaires actuels, mais elle pourrait aussi être une opportunité pour Philippe Lhomme, homme d’affaires très doué, et qui jusqu’à présent en tant que président du CA n’a pas mis un euro dans l’aventure alors qu’il en a largement les moyens. Remake de Raminagrobis de notre cher Jean de La Fontaine ?

Raison d’être

Pour l’heure, toutes les options sont envisagées par des actionnaires principaux: vente totale ou partielle ou augmentation du capital ouverte à de nouveaux actionnaires. A la suite de la publication de cet article, Belfius indique d’ailleurs qu’elle n’envisage pas de sortir du capital de LN24.

Et dans le cas d’une vente, au-delà du prix à payer (à moins que ce ne soit pour l’euro symbolique, tant le ménage financier reste encore à faire), il faudra encore s’interroger : racheter LN24 (tout ou partie), mais pourquoi faire ? La plupart des chaines d’informations en continu sont déficitaires. Il n’y a qu’à regarder le voisin français. A l’exception de BFM Business, tous les acteurs de l’info en continue perdent de l’argent. Et peut-on imaginer une chaine de ce genre sans un pendant néerlandophone ? Son positionnement éditorial actuel est-il le bon malgré des scores d’audience en amélioration ? LN24 n’est-elle pas une chaine trop “Uccloise”, trop centrée sur le copinage journalistique et l’entre soi des beaux quartiers du sud de Bruxelles ? Est-ce d’ailleurs cela qui explique son déficit d’image en Wallonie ? Autre question fondamentale : Le volet digital est-il assez développé alors que la télévision linéaire est sans doute condamnée à moyen terme ? Faut-il donner à LN24, une coloration plus européenne et plus économique comme le préconisent certains spécialistes que nous avons eus en ligne ? Les proches du dossier s’interrogent également : L’actuel CEO n’a pas d’expertise du monde audiovisuel et des grilles TV, ce qui est un handicap majeur, mais le remplacer par qui ? Les spécialistes francophones de l’audio-visuel, du digital et de l’économie se comptent sur les doigts d’une main. Par définition, Ghelamco n’a pas ce type de talent. Et si le groupe IPM dispose de plusieurs beaux talents journalistiques, la famille Le Hodey ne dispose pas de ce type de profil au sein de ses équipes. Posez la question à Bernard Marchant, le propriétaire de Rossel qui, nous dit-on, est toujours en quête d’un CEO pour diriger RTL-TVI. Et encore, lui est à la tête d’une chaine généraliste, par définition plus rentable qu’une chaine pure d’information. L’équation n’est pas simple.

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