L’ère des commerçants augmentés
De nombreuses TPE semblent rechigner à se lancer en ligne par peur de devenir esclaves de l’ “omnicanal”. Il existe pourtant des moyens simples de profiter des outils numériques sans les laisser vous asservir, avec un minimum de réflexion et de stratégie.
Mes enfants ont peine à s’imaginer une ville où les petits commerces ne seraient ouverts qu’à peine cinq jours par semaine, jusqu’à 18 h grand maximum et s’offriraient en plus le luxe de fermer sur le temps de midi. Pourtant, j’ai moi-même grandi dans cette “normalité commerciale”. Ma génération a assisté à l’ouverture progressive des premiers commerces de nuit, des premiers distributeurs automatiques et des premières supérettes de stations-services ouvertes non-stop. Nous aurons mis quatre décennies à trouver parfaitement banal de pouvoir acheter à peu près n’importe quoi à n’importe quelle heure. En moins de 10 ans, internet nous a accompagnés dans un basculement de réalité comparable.
Seuls 14% des entrepreneurs, indépendants et professions libérales francophones ont recours à des logiciels de prise de rendez-vous ou de réservation.
Pour un aîné comme moi, il est d’autant plus appréciable de régler un petit problème de facturation avec son fournisseur d’énergie en quelques minutes via un chat avec leur service client, sur sa tablette, à 21 heures en regardant distraitement du coin de l’oeil un film en streaming sur la télévision du salon, quand on a réellement connu les bureaux d’accueil et leurs files interminables, les échanges de courriers et leurs délais incompressibles et les multiples frustrations des vidéoclubs avec leurs DVD indisponibles ou abîmés (ou pour les plus vieux d’entre nous, leurs cassettes VHS non rebobinées). Mais la minute de nostalgie passée, nous considérons tous aujourd’hui cette omni-disponibilité et cette immédiateté commerciale comme une évidence, une norme.
Effet “benchmark”
Ce faisant, nous condamnons inconsciemment toutes les entreprises qui ne seraient pas capables de répondre aussi facilement à ces nouveaux standards. Parce que le monde nous offre toujours plus de performance, nous sommes tous devenus beaucoup plus exigeants. C’est le dramatique “effet benchmark” qui joue hélas en défaveur de nos TPE et artisans.
Car pour les petits acteurs du commerce et du service, la question se pose en ces termes: comment conserver une expérience client à la hauteur de ces attentes sans cesse grandissantes, sans posséder les ressources que déploient les grandes plateformes numériques, les opérateurs téléphoniques ou la grande distribution?
Pas de panique, il ne s’agit pas de devenir dès demain un coiffeur mobile géolocalisé sur appli pouvant arriver chez son client le dimanche à l’aube ou d’obliger un boucher à développer un service de livraison express de colis barbecue de nuit. Mais lorsqu’une étude réalisée par Trends-Tendances en collaboration avec VOOBusiness relève que le mail et le téléphone restent les canaux favoris de communication client des petites entreprises, il est légitime de se demander si celles-ci perçoivent bien le virage de comportements et d’attentes que le marché est en train d’emprunter. De nombreuses TPE semblent rechigner à se lancer en ligne de peur justement de devenir à leur tour trop “multicanale” et donc, de facto, des esclaves “omni-disponibles” de ce nouveau niveau d’exigence. Si vous publiez votre numéro WhatsApp, votre identifiant Skype ou un lien vers votre Messenger Facebook, vous ouvrez évidemment de nouvelles voies d’interaction à vos consommateurs.
Si vous êtes dans cette hésitation, il y a pourtant des moyens simples de profiter de ces outils sans pour autant les laisser vous asservir, avec un minimum de réflexion et de stratégie. D’abord, ne soyez pas présents partout mais seulement là où vos clients vous attendent. Renseignez- vous simplement sur leurs habitudes. Ensuite, balisez leurs attentes et leurs “parcours d’achats”. Vos horaires, vos délais et surtout vos modalités d’interactions doivent être clairement affichés sur vos médias. Même Facebook calcule pour vous votre temps de réponse moyen sur sa messagerie et le donne à vos clients.
Gare aux voies sans issue
Ne confondez pas pour autant l’envie d’être exaucé avec le besoin d’être considéré. Qu’un message vous arrive par SMS, mail ou chat, personne ne vous demande de réagir, sur le fond, dans l’instant. Par contre, vos clients seront rassurés de recevoir une confirmation de la réception de leurs messages, ce qui vous permet, à nouveau, de cadrer le délai et les conditions de réponse. Aujourd’hui, la plupart des canaux que vous mettrez à disposition de vos clients sont automatisables. Que vous preniez le temps de préparer quelques messages standards ou que vous confiiez le travail à un chatbot, vous serez enfin dispensé de vous sentir contraint de répondre dans l’instant ou de culpabiliser parce que vous pensez abandonner vos clients dans le silence. Mais ne laissez aucune voie sans issue! Rien n’est plus frustrant pour un client qui vous a contacté de recevoir un message indiquant qu’il leur faut passer par un autre canal ou, pire, de se rendre compte, lorsqu’il se résigne à vous appeler, que personne n’a lu ou même reçu sa demande! Si vous commercialisez un service, vous devriez pouvoir, à peu de frais, diriger vos clients vers un outil de prise de rendez-vous ou de réservation et regarder votre agenda se remplir, les mains et l’esprit libres. La plupart sont à présent directement intégrables sur vos médias sociaux favoris et comprennent des options de confirmation, de rappel et de relance auxquelles vous pourrez déléguer ces tâches répétitives ingrates et chronophages. Selon le même sondage seuls 14% des entrepreneurs, indépendants et professions libérales francophones ont recours à ce type de logiciels, contre 18% en Flandre. Il y a là de belles marges de progrès en efficacité comme en qualité de vie à aller saisir. De même, si vous vendez des produits, vous avez l’embarras du choix pour construire rapidement et facilement une page de commande que vous limiterez aux articles les plus fréquemment achetés ou que vous étendrez à l’ensemble de votre commerce selon vos envies. Ne vous privez pas du luxe d’engranger des ventes pendant que vous dormez!
Dans le même ordre d’idée, si parmi les 10 raisons les plus fréquentes pour lesquelles vos clients font appel à vous après-vente, vous réalisez que bon nombre de celles-ci peuvent se résoudre par une simple information d’utilisation, d’entretien, de conservation ou de préparation, vous pourriez réduire drastiquement votre temps investi sur ces sujets en créant une fois pour toutes des supports d’information (documentation, vidéos, tutoriels) et orienter les parcours de ces clients en ligne vers ces ressources.
Et si vous parvenez à dépasser vos appréhensions et utilisez les réseaux sociaux pour pratiquer un peu de “marketing événementiel” à destination de votre communauté, vous devriez pouvoir réussir à pré-vendre vos produits ou vos périodes de disponibilités et à générer des effets de trésorerie très intéressants. Qui n’a jamais rêvé d’arrêter de devoir courir après ses créances ou ne pas devoir subir une longue immobilisation de cash en stock? Tout cela devient possible dans l’expérience digitale que vous pouvez mettre au service de vos clients, à condition que vous consentiez à y investir quelques efforts et un peu de discipline.
Non, la digitalisation générale ne sonne pas le glas des petits commerces, des TPE et des artisans, que du contraire. Elle permettra à ceux qui sauront en saisir toutes les opportunités de devenir des “commerçants augmentés”, de faciliter et fluidifier l’expérience client et de définir, justement, les nouvelles normes d’exigences des clients de demain.
Retrouvez toutes les deux semaines la chronique Expérience Client de Dr Sales à l’occasion du Trophée de l’Indépendant de l’Année organisé par VOObusiness. www.trophee.business.voo.be
Un article de Laurent HJ De Smet #DrSales
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