Ilham Kadri – Bertrand Piccard: “Les entreprises sont des acteurs majeurs pour le climat”
La CEO de Solvay et l’explorateur de Solar Impulse, invités par l’UCLouvain School of Management, ont exprimé leur espoir pour l’avenir de l’humanité si l’on “change de paradigme”. La croissance doit devenir qualitative et l’efficacité énergétique être le letimotiv.
Ilham Kadri, CEO de Solvay, et Bertrand Piccard, explorateur et fondateur de Solar Impulse, ont l’habitude de collaborer sur des projets pour sauver la planète. Lundi 28 mars, à l’invitation de l’UCLouvain School of Management, tous deux étaient sur la scène de la ferme du Biéreau à Louvain-La-Neuve pour inviter les futurs entrepreneurs à l’action. Mot d’ordre, devant une salle comble : nous devons tenter l’impossible et mettre le cap sur une croissance qualitative. Dans l’assistance, ils ont fait naître des sourires d’espoir au coeur de l’actualité dramatique des dernières semaines.
“Apprendre à se repenser”
Ilham Kadri souligne d’emblée combien le combat pour l’environnement doit désormais faire partie de l’ADN de l’économie : “Ma conviction, c’est qu’une entreprise ne perdurera que si elle intègre la durabilité dans sa stratégie. Nous ne sommes pas supposés retourner au Moyen Âge. A mon sens, c’est même l’inverse. C’est une opportunité pour le siècle à venir.”
La CEO de Solvay met l’accent sur la nécessité de créer un écosystème vertueux pour affronter ces défis, développer des partenariats entre entreprises comme elle le fait avec Véolia ou Renault, s’employer à la co-création de réponses nouvelles. “Une grande société a tendance à devenir bureaucratique, il faut apprendre à se repenser, insiste-t-elle. La question est de savoir comment les industries, y compris chimiques, peuvent devenir une part de la solution.”
Mieux, soutient-elle : la chimie est “la mère de toutes les industries” et il n’y aurait pas de solutions sans elle. Pour le démontrer, elle raconte la journée idéale d’un des étudiants de l’audience en 2030 : café du matin avec l’eau de la douche ou es toilettes recyclée, déplacements en zéro émission… “Je voudrais faire passer ce message aux jeunes : vous serez ceux qui feront de la ville du futur une réalité. Nous avons besoin de votre ambition.” A plusieurs reprises elle répétera : “Si vous voulez changer le monde, choisissez les sciences et la chimie !“
“Apprendre à être efficaces”
Bertrand Piccard appuie sur le clou : quand on lui dit que les lendemains seront forcément moins bons pour les nouvelles générations, il répond que le futur est imprévisible et qu’il est essentiel d’être disruptif. “Cela signifie qu’il faut penser exactement le contraire de ce que l’on a fait jusqu’ici.” Dans toutes les missions d’exploration accomplies par lui-même et ses ancêtres – depuis le tour du monde en avion solaire jusqu’à l’ascension de l’Everest en passant par de la plongée en grande profondeur -, le premier réflexe des spécialistes consistait toujours à dire que c’était impossible. “L’innovation vient quand l’esprit se vide pour accepter une nouvelle idée”, dit-il.
“Quand j’ai volé autour du monde avec mon avion solaire, on m’a dit que le soleil ne fournirait pas assez d’énergie, mais il faut la sauver plutôt que le gaspiller, souligne Bertrand Piccard. Nous devons apprendre à être efficaces. Dans ce cas-là, cela signifiait construire un avion tenant compte de l’énergie disponible.” Auteur de plusieurs livres, dont le dernier intitulé Réaliste. Soyons logiques autant qu’écologistes, Bertrand Piccard a recensé avec sa fondation pas moins de 1400 réponses économiques au défi climatique, applicables dès aujourd’hui.
Sa thèse : il convient de trouver une troisième voie entre la décroissance prônée par certains mouvements écologistes et la croissance infinie voulue par ceux ne veulent pas voir la réalité – une troisième voie incarnée par la croissance qualitative. “Dans les cinquante dernières années, on nous a expliqué que sauver l’environnement coûterait cher, que cela nécessiterait des sacrifices, que l’on devrait réduire la croissance, notre confort, la mobilité… Ce n’était pas très attractif. Si l’objectif était bon, le résultat est un échec. Nous devons essayer une autre narration où la protection de l’environnement chercher à fédérer plutôt qu’à diviser.”
“Apprendre à changer de paradigme”
Sur la scène de la ferme du Biéreau, plusieurs entreprises s’inscrivant dans cette dynamique se présentent. Ingrid Nolet (Shayp) raconte comment elle a changé d’orientation alors qu’elle était dans la communication pour s’investir dans une solution simple pour contribuer à sauver la planète : une “petite boîte” détectant les fuites d’eau en temps réel. Philippe Honhon (Back2Buzz) témoigne de la création de son entreprise pour tenter de donner un autre sens à la frénésie des téléphones mobiles en travaillant à l’aide de matériaux biodégradables. Xavier Hang (4Inch) évoque un outil de gestion du chauffage, pièce par pièce, et Louis Collinet (Tapio) un accompagne des entreprises dans leur volonté de réduire drastiquement les émissions carbones. “Elles cherchent à accélérer la transition écologique mais souvent, elles ne sont pas dans le déni, elles sont démunies.”
Interpellé par des activistes du climat, Ilham Kadri et Bertrand Piccard soulignent combien ils ne sont pas “des inconditionnels de la technologie”, mais son apport peut être décisif. “Tout est possible avec un changement de paradigme”, insistent-ils, en appelant les pouvoirs publics à adapter les réglementations pour encourager le mouvement. Sereinement, ils répondent aux arguments en faveur de la décroissance en expliquant combien les moyens dégagés par une plus grande efficacité énergétique peuvent être réinjectés pour préparer l’avenir.
N’ont-ils pas peur que la guerre entrave tous les efforts ? “Nous avons vécu de façon artificielle depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, conclut Bertrand Piccard. On pensait qu’il n’y aurait plus de guerre, ni de pandémie. On a arrêté de se remettre en question. La paix, la santé, cela se construit. Ce sont des défis qui nous obligent à nous réinventer.” Et face à ces défis majeurs, pour, les entreprises ont un rôle majeur à jouer. Même si elles ne peuvent pas arrêter les guerres.
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