Horeca vs. sociétés de gestion de droits d’auteurs: faut-il payer pour une musique non diffusée?

L'horeca et les artistes, deux activités souvent complémentaires mais qui se regardent désormais en chiens de faïence. © GETTY IMAGES
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

Fragilisés par le coronavirus, le secteur horeca et les sociétés de gestion de droits d’auteurs s’étripent sur des factures impayées par les restaurateurs durant le confinement. La tension est à son comble, le procès est imminent, sauf si l’Etat fédéral désamorce la bombe.

Nicolas ne comprend pas. Patron d’un restaurant à Bruxelles, il a déjà reçu deux rappels de paiement d’Unisono, la plateforme créée cette année par trois sociétés belges de gestion de droits d’auteurs, compositeurs, producteurs et interprètes. Depuis le 1er janvier 2020, les organismes Sabam, PlayRight et SIMIM ont en effet uni leurs forces pour faciliter les démarches administratives des diffuseurs d’oeuvres artistiques dans les lieux publics. Les commerçants, cafetiers, restaurateurs et organisateurs d’événements s‘acquittent donc désormais des droits d’auteur et de ce qu’on appelle communément la “rémunération équitable” (les droits voisins des producteurs et des interprètes) à la plateforme Unisono.

Nous sommes en faveur d’un dialogue car cela n’a pas de sens de déforcer un secteur au détriment de l’autre.”

Olivier Maeterlinck, porte-parole d’Unisono

Encore une fois, Nicolas ne comprend pas. Avec le coronavirus et les mesures sanitaires imposées par le gouvernement, son établissement a été fermé plus de six mois en 2020. Or, Unisono lui réclame le paiement des droits d’auteur de toute une année, comme si de rien n’était. “Il n’y a pas eu une seule note de musique dans mon restaurant pendant près de la moitié de l’année et, malgré cela, on me réclame des droits d’auteur, s’indigne Nicolas. C’est scandaleux! J’ai essayé d’appeler plusieurs fois Unisono pour contester cette décision surréaliste mais j’ai dû poireauter à chaque fois de longues minutes au téléphone, en vain.”

Pour son restaurant de 38 couverts à Bruxelles, Nicolas paie un abonnement à Unisono d’environ 730 euros par an. Habituellement, l’homme ne rechigne pas à soutenir financièrement les artistes pour la musique qu’il diffuse dans son établissement, mais là, “trop is te veel!“. Avec les deux confinements, le chiffre d’affaires de son restaurant a chuté de plus de 50% cette année et, surtout, Nicolas voit une profonde injustice dans ces rappels de paiement.

“C’est du racket!”

Comme lui, ils sont près de 70.000 à vivre aujourd’hui la même mésaventure. En Belgique, le secteur horeca compte 68.000 établissements majoritairement liés à un contrat Unisono et tous ont reçu la même invitation à payer pour de la musique qu’ils n’ont pas diffusée. “C’est du racket, du vol, un scandale!”, s’énerve d’emblée Fabian Hermans, administrateur et trésorier de la Fédération horeca Bruxelles. L’homme ne mâche pas ses mots. Depuis plusieurs mois, il est en conflit ouvert avec les sociétés de gestion de droits. “C’est un principe élémentaire du commerce, enchaîne-t-il: on paie pour ce que l’on consomme! Bien sûr, pour ces droits d’auteur, il s’agit d’un abonnement, mais les responsables d’Unisono connaissent les difficultés du secteur horeca et ils pourraient franchement faire un geste en notre faveur.”

Ce geste, Unisono l’a déjà accompli au tout début de la crise sanitaire. Lors du premier confinement, les sociétés de gestion de droits ont en effet offert une réduction d’un mois de paiement sur la facture annuelle adressée aux commerçants. A l’époque, chacun pensait que la vie normale allait ensuite rapidement reprendre son cours avec des fêtes, des concerts et des sorties dans les bars et les restaurants. Mais la deuxième vague s’est abattue sur la Belgique et les artistes, comme le personnel horeca, ont été contraints de stopper leurs activités.

Les auteurs, producteurs et artistes que nous représentons connaissent de grosses difficultés avec le coronavirus, rappelle Olivier Maeterlinck, porte-parole d’Unisono. Leur situation est dramatique et ils ont déjà perdu, cette année, 32 millions de revenus en termes de droits puisqu’il est interdit d’organiser des concerts, spectacles et autres événements. Nous avons déjà fait un geste d’une valeur de 3 millions d’euros en offrant un mois de réduction au début de la crise sanitaire, mais nous ne pouvons pas faire davantage aujourd’hui. D’autant plus que, pour l’ensemble du secteur horeca, la facture d’Unisono ne représente que 0,22% de ses revenus annuels.”

La solution fédérale

Olivier Maeterlinck ne tient toutefois pas à mettre de l’huile sur le feu. Pour les sociétés de gestion de droits, la solution ne doit pas forcément venir de l’horeca, mais peut-être bien de l’Etat. “Les auteurs comme les restaurateurs sont lourdement impactés par les mesures de lutte contre le coronavirus, constate le porte-parole d’Unisono. Ils sont aussi fortement interdépendants et les opposer est inutile et contre-productif. C’est pourquoi nous aimerions renouer le dialogue pour trouver une solution équilibrée et demander aux pouvoirs publics de payer la facture. Ils aideraient ainsi deux secteurs en difficulté.”

Il reste toutefois à convaincre les autorités fédérales, compétentes en la matière, de sortir cet argent d’un budget qui n’est pas extensible. En attendant la concrétisation de cet éventuel scénario, les trois fédérations du secteur horeca – Wallonie, Flandre et Bruxelles – n’en démordent pas et attendent toujours un geste supplémentaire des sociétés de gestions droits. Comme il ne vient pas, les esprits s’échauffent et le trésorier de la Fédération horeca Bruxelles évoque même une prochaine action en justice. “Si rien ne bouge, nous allons lancer une class action et cela va coûter cher à Unisono, menace Fabian Hermans. Elle est déjà enregistrée et prête à être déclenchée. Sauf si, bien sûr, Unisono pose prochainement un geste fort à notre attention.”

Appel au boycott

Excédé, le trésorier de la Fédération Horeca Bruxelles n’en est pas à son premier coup de semonce. Il y a quelques semaines, il a d’ailleurs invité ses membres, sur le site internet de la fédération, à mettre fin à leur licence Unisono avant la date fatidique du 30 novembre “afin d’éviter la tacite reconduction pour l’année 2021”. Un appel qui a été relayé, de manière beaucoup plus douce, sur le site de la Fédération Horeca Vlaanderen, le jour de la date butoir.

A ce stade, il est impossible de savoir combien de restaurateurs – qui paient en moyenne chacun 600 euros par an à Unisono – ont suivi ce conseil. Mais si d’aventure la majorité des 68.000 établissements horeca ont pris cette décision, le manque à gagner pour les sociétés gestionnaires de droits serait conséquent. En 2019, les trois organismes Sabam, PlayRight et SIMIM ont en effet encaissé 37,2 millions de droits en provenance du secteur horeca, soit environ 20% de leurs revenus annuels. Une somme significative à laquelle il faudrait peut-être ajouter l’argent non encore déboursé en 2020 par de nombreux restaurateurs qui, comme Nicolas, refusent de payer les factures pour les mois de confinement. Sans compter d’éventuels frais de justice si le procès brandi voit le jour…

“Nous allons trouver une solution, tempère Olivier Maeterlinck, porte-parole d’Unisono. Nous ne voulons pas de procès, ni dans la presse, ni devant les tribunaux. Nous sommes en faveur d’un dialogue, car cela n’a pas de sens de déforcer un secteur au détriment de l’autre. Nous devons être solidaires et nous sommes d’ailleurs en contact avec le représentant de Horeca Vlaanderen qui sert de relais aux autres fédérations, ainsi qu’avec le cabinet du ministre fédéral de l’Economie et du Travail. Je suis certain que l’on va trouver un arrangement.” Dans son restaurant bruxellois, Nicolas, lui, ne comprend toujours pas.

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