Guillaume Boutin revient sur ses deux ans à la tête de Proximus

Guillaume Boutin, CEO du Groupe Proximus. © THOMAS SWEERTVAEGHERS
Stijn Fockedey Stijn Fockedey est rédacteur de Trends

C’est avec le plein de confiance que Guillaume Boutin se rendra à l’assemblée générale de Proximus le mois prochain. Le plus grand opérateur de télécommunications du pays a renoué avec la croissance. Et le Français est convaincu que les milliards investis dans l’internet ultrarapide via la fibre porteront leurs fruits, malgré l’impact de l’inflation et de la guerre en Ukraine sur l’économie.

Les débuts de Guillaume Boutin à la tête de Proximus n’ont pas été un long fleuve tranquille. En décembre 2019, il prenait la succession de Dominique Leroy, qui avait annoncé peu avant sa nomination au poste de CEO de l’opérateur néerlandais KPN – une fonction qu’elle n’a finalement jamais exercée après des révélations concernant des transactions sur actions. A l’époque, Proximus était en train de négocier une restructuration qui déboucherait finalement sur la perte de 1.300 emplois. “Nous devions regagner la confiance des syndicats et rétablir la paix sociale”, explique Guillaume Boutin, qui connaissait déjà bien l’entreprise avant sa nomination à la direction générale puisqu’il y était responsable des activités du marché résidentiel depuis 2017. “En outre, notre Ebitda était en train de baisser. Nous devions rafraîchir notre stratégie: comment investir dans nos réseaux? Comment stimuler l’innovation et la croissance? Heureusement, l’entreprise reposait sur des fondations saines.”

Les tensions géopolitiques avaient déjà un impact sur Proximus auparavant.

“Il y a deux ans, nous avions promis dans un rapport stratégique intermédiaire de renouer avec la croissance au niveau du chiffre d’affaires et de l’Ebitda à partir de 2022. Cet objectif était ambitieux, mais je suis très satisfait que nous ayons pu le réaliser. Attention: c’est le mérite de toutes les équipes. Nous pouvons être fiers d’avoir inversé si rapidement la tendance dans des circonstances compliquées.”

Profil

  • Né en 1974 à Chambray-lès-Tours
  • Ingénieur en télécom
  • Diplômé de HEC “grande école programme”
  • Fellow of the Marketing Academy
  • Débute sa carrière au sein d’ Instranet, start-up basée à New-York
  • Passe chez l’opérateur en français SFR, où il occupe plusieurs fonctions de management
  • Devient chief marketing officer du groupe Canal+ en 2015
  • Arrive chez Proximus en août 2017, en qualité de chief consumer market officer
  • CEO de Proximus depuis décembre 2019

TRENDS-TENDANCES. Vous aviez à peine pris vos fonctions que la crise sanitaire paralysait l’économie.

GUILLAUME BOUTIN. C’est crise après crise, mais c’est le contexte dans lequel les entreprises doivent désormais opérer. Tout ne tourne plus uniquement autour des résultats. Les entreprises ont aussi une responsabilité sociale à assumer, surtout Proximus. Crise sanitaire, inondations en Wallonie, et à présent la guerre en Ukraine: chaque fois, nous avons dû prendre nos responsabilités. Au début de la crise sanitaire, j’étais avant tout préoccupé par la santé de nos collaborateurs. Nous avons fermé nos boutiques avant que ce soit obligatoire, mais pour les services d’entretien et d’autres départements, le télétravail n’est pas possible. Nous avons dû rapidement trouver une manière de permettre à nos collaborateurs de terrain de continuer à travailler en toute sécurité, car les besoins de nos clients étaient énormes. Et parmi ces clients, on trouve des écoles, des hôpitaux et d’autres infrastructures critiques.

Au début du confinement, le trafic sur notre réseau a augmenté de 40% du jour au lendemain. Avoir surmonté ce défi nous a donné énormément d’énergie positive en tant qu’organisation. Chacun a pris conscience de l’impact de notre entreprise. L’été dernier, les inondations en Wallonie ont fait énormément de dégâts dans notre infrastructure. Nous avons immédiatement pris des mesures pour rétablir nos réseaux. Nous sommes en train d’y accélérer le déploiement de la fibre et d’encore améliorer la connectivité.

Que vous ont appris ces deux dernières années?

D’abord et surtout qu’il faut être préparé à tout. En outre, les entreprises ne peuvent ignorer les grandes tendances sociales, comme l’accélération de l’inflation, qui n’épargne évidemment pas notre entreprise. Mais le changement climatique, par exemple, a également joué un rôle dans les inondations en Wallonie. La guerre en Ukraine nous a malheureusement rappelé la fragilité de la paix en Europe, mais les tensions géopolitiques avaient déjà un impact sur Proximus depuis un certain temps. Ce qui se traduit par une diminution de la dépendance aux technologies étrangères et un accroissement de la souveraineté technologique européenne. Dans ce contexte délicat, il est important pour les entreprises de définir leur purpose, leur raison d’être, leur rôle social au sens large, qui dépasse donc l’obtention de résultats financiers. Mais les deux se renforcent. Et quand vous avez un problème de valeurs, vous ne pouvez pas attirer le talent dont vous avez besoin.

Guillaume Boutin revient sur ses deux ans à la tête de Proximus
© THOMAS SWEERTVAEGHERS

Vous venez d’évoquer l’inflation. Proximus a déjà annoncé une augmentation de ses tarifs pour certaines formules. Allez-vous en rester là?

La hausse des coûts liée à l’inflation constitue un défi pour toutes les entreprises. Si cette situation se maintient, nous devrons répercuter une partie de la hausse des coûts sur les clients. Mais nous tenons simultanément à améliorer notre offre et à gagner en efficacité dans la gestion de nos réseaux. Les augmentations doivent être raisonnables et rationnelles, et nous recherchons en permanence des mesures d’efficacité afin de réduire les coûts.

L’indexation automatique des salaires en Belgique constitue- t-elle un problème pour vous?

La plupart des autres pays fonctionnent autrement, le système belge présente l’avantage d’apporter plus de certitudes sur le moment et l’ampleur de l’indexation des salaires. Il ne faut pas vous faire d’illusions. Dans les pays voisins aussi, les travailleurs exigent que leur salaire évolue au même rythme que l’inflation.

Envisagez-vous de réduire les charges salariales? Ne serait-il pas préférable de sous-traiter certaines activités?

Je préfère disposer de collaborateurs motivés et de qualité et avoir le contrôle de l’ensemble de l’expérience client. C’est la raison pour laquelle nous conservons nos propres boutiques et nos propres techniciens pour l’entretien des réseaux. Notre personnel nous apporte un avantage compétitif, même si certains analystes ne partagent pas cet avis.

Notre personnel nous apporte un avantage compétitif, même si certains analystes ne sont pas toujours de cet avis.

Vous devrez investir énormément au cours des années à venir. Le seul déploiement de la fibre coûte des milliards.

Le gros des investissements concernera effectivement le remplacement des câbles en cuivre par de la fibre optique ultrarapide. Nous allons dépenser 5 milliards d’euros pour raccorder plus de 70% de toutes les habitations en Belgique à la fibre à l’horizon 2028. Pour les réseaux fixes, la fibre est la technologie du futur. Le coaxial (de Telenet et Voo, Ndlr) est une technologie en voie d’extinction, même s’il est encore possible de la rendre encore un peu plus performante avec la nouvelle norme technologique docsis. Mais cela restera très loin de ce dont est déjà capable la fibre, jusqu’à 10 gigaoctets par seconde et un retard – ou latence – très faible. C’est ce dont ont besoin les entreprises et les consommateurs.

Proximus a commencé à travailler sur la fibre dès 2016. Mais son déploiement n’a réellement commencé que ces derniers mois.

C’était un gigantesque défi opérationnel. Il fallait réunir une équipe énorme, obtenir des autorisations, attirer de nouvelles compétences… Il y a deux ans, on m’a pris pour un fou quand j’ai annoncé que je voulais un taux de couverture de 70% pour 2028. En vitesse de croisière, cela impliquait de raccorder au moins 10% des foyers belges chaque année. Mais voyez vous-même: d’ici la fin de cette année, nous aurons atteint une couverture de 22% en deux ans.

La fibre vous permettra de concurrencer pleinement Telenet dans l’internet fixe. Cela a longtemps été un de vos handicaps en Flandre.

Dans les télécommunications, la supériorité du produit est cruciale, c’est la meilleure manière d’exceller. Les clients qui passent à la fibre sont très enthousiastes. La fibre est aussi une occasion unique d’améliorer notre image. Nous investissons également dans la 5G. Dans plusieurs centres-villes, il est déjà possible de constater à quel point la 5G permet des connexions plus rapides et de meilleure qualité que la 4G. La fibre et la 5G offrent une expérience supérieure et nous voulons à présent étendre cette expérience au reste de nos services. L’amélioration de l’expérience client est un autre pilier de notre stratégie.

Nous avons déjà réussi à améliorer notre satisfaction client et nous poursuivons nos efforts sur ce front. L’acquisition de l’opérateur alternatif Mobile Vikings s’inscrit également dans ce processus. C’est l’opérateur belge le plus réputé en termes de satisfaction client, avec un net-promoter score inégalé dans les télécommunications belges.

Guillaume Boutin revient sur ses deux ans à la tête de Proximus

La fibre et la 5G sont des étapes logiques. Mais pourquoi investir dans des applications de consultations médicales et de services bancaires?

L’innovation est un moteur important de notre satisfaction client. Avec Pickx, nous disposons déjà d’une plateforme de télévision best-in-class. Et s’y ajoutent actuellement d’autres applications comme doktr ou Banx. Cette application bancaire a été développée en collaboration avec Belfius. L’application de stationnement 4411 et Flitsmeister (qui prévient des contrôles de vitesse, Ndlr) jouissent également d’une belle notoriété, mais peu de gens savent qu’elles appartiennent aussi à Proximus. Nous avons quatre applications avec au moins 1 million d’utilisateurs actifs par mois, dont la plupart doivent entièrement leur succès au bouche à oreille. Nous sommes en train de développer autour de nos services de communication classiques toute une constellation de services complémentaires qui sont entièrement réalisés sur mesure pour le marché belge.

J’apprécie beaucoup Netflix et Waze, mais ces services ne peuvent s’adapter aux habitudes locales comme le fait Proximus. Proximus peut réellement devenir le partenaire numérique du consommateur belge. Les investissements dans de meilleurs réseaux et services portent déjà leurs fruits. L’an dernier, nous avons enregistré notre plus forte croissance en 10 ans dans les abonnements mobiles. Et nous reprenons des parts de marchés dans les abonnements internet fixe. Nous devions d’abord gagner des clients, et cela va à présent se traduire par une croissance du chiffre d’affaires.

Pourriez-vous perdre des parts de marché à Bruxelles et en Wallonie? Depuis l’acquisition de Voo, Orange y a également le contrôle de son propre réseau fixe pour l’internet haut débit et la télévision numérique.

C’est une marque forte, et elle est très bien gérée. Le fait qu’ils aient à présent un nouveau propriétaire ne change pas grand-chose pour nous. Nous avions déjà beaucoup de respect pour eux, c’est un bon concurrent. Mais nous nous concentrons surtout sur la fibre. Encore une fois: le coaxial (utilisé dans les raccordements de Voo, Ndlr) est une technologie en voie d’extinction. Notre avantage concurrentiel va s’accroître.

J’adore Netflix et Waze, mais ces services ne peuvent pas s’adapter aux habitudes locales comme Proximus.

Proximus doit beaucoup investir. Le dividende est-il en péril?

Le conseil d’administration prendra sa décision. Je ne veux pas me prononcer à ce sujet, d’autant que ce sont des formations sensibles pour le marché. La seule chose que je peux dire est que nous avons à nouveau confirmé nos perspectives lors de la publication de nos récents résultats annuels et qu’avec le plan de croissance actuel, je veux veiller à ce qu’il reste des marges financières pour distribuer le dividende.

L’Etat belge est actionnaire majoritaire. Cette situation a déjà mené à des conflits de direction par le passé.

Tant le conseil d’administration que la direction sont indépendants. A mes yeux, la situation actuelle de Proximus allie le meilleur de deux mondes. Nous avons un actionnaire solide qui partage la même vision à long terme et la cotation en Bourse nous impose la discipline du marché. Cet équilibre est crucial en cette époque. Nous nous trouvons dans un cycle d’investissement totalement différent. Ces dernières décennies, les opérateurs de télécommunications ont dû mettre leurs réseaux à niveau tous les six à sept ans. La fibre, c’est un ordre de grandeur totalement différent. Nous sommes en train de construire un réseau qui nous accompagnera pendant 80 ans. Mais il nécessite d’abord d’énormes investissements. Je remarque que les investisseurs classiques voient surtout l’aspect coûts, pas les avantages. Ces dernières années, plusieurs grands opérateurs de télécommunications ont été retirés de la Bourse, surtout par des investisseurs en private equity. Cela en dit long.

N’est-ce pas imputable à la forte baisse des actions des télécommunications? C’est également le cas de Proximus: l’action fluctue autour de 17 euros depuis un an et demi. En 2015, elle valait 34 euros.

Les énormes investissements réalisés dans la fibre ont pesé sur notre return on capital employed (un paramètre important pour mesurer le rendement des investissements d’une entreprise, Ndlr). Cela a eu un impact sur le cours de Bourse. Mais j’attends une revalorisation des actions des télécommunications au cours des années à venir. D’un point de vue fondamental, le secteur est solide. Les réseaux ont été renforcés et nous savons que la demande pour nos services va augmenter.

Guillaume Boutin revient sur ses deux ans à la tête de Proximus
© THOMAS SWEERTVAEGHERS

L’entrée en Bourse de votre filiale TeleSign va-t-elle se poursuivre vu l’incertitude qui règne sur les Bourses?

Nous pensons pouvoir boucler l’entrée en Bourse de TeleSign dans le courant du deuxième trimestre, et nous espérons lever les 250 millions d’euros qui nous permettront de poursuivre nos investissements tout en conservant une forte participation majoritaire – parce que nous voulons faire partie de la croissance de l’entreprise. Huit des dix plus grandes entreprises internet au monde utilisent Telesign pour permettre à leurs utilisateurs de s’identifier et se connecter de manière efficace et en toute sécurité. Telesign, et donc Proximus, est un leader sur ce marché de croissance. Nous nous attendons à ce que le chiffre d’affaires de Telesign dépasse le milliard de dollars dans les quatre ans.

En outre, 50% de données internet passent par Bics, et cette part va encore augmenter. Si l’on fait une vidéoconférence entre l’Europe et l’Australie, il est nécessaire de suivre en permanence la qualité du réseau en arrière-plan. La plateforme de Bics joue un rôle clé dans ce domaine. Les deux plateformes sont des composantes cruciales du back office de l’internet. Sans elles, de très nombreuses applications grand public et professionnelles ne pourraient pas tourner.

La croissance opérationnelle doit-elle venir des services aux entreprises?

Oui. Dans ce domaine, Proximus va se positionner comme un prestataire de services spécialisé. Pour le marché grand public, nous continuerons à nous focaliser sur la Belgique et Luxembourg. Nous y avons toujours suffisamment de marge, et nous sommes toujours un challenger en Flandre. Surtout parce que sur le marché grand public, il est indispensable d’adapter son offre aux habitudes et aux règles locales. Je ne vois pas une application internationale atteindre rapidement ce que permet de faire doktr dans les soins de santé, par exemple.

Quel employeur en Belgique peut dire à ces informaticiens et autres talents qu’ils pourraient partir travailler à Los Angeles ou Singapour?

Ce mois-ci, vous avez lancé Ada, un centre de connaissance interne sur la cybersécurité et l’intelligence artificielle. Cette initiative doit-elle mener à de nouveaux services?

Cette expertise nous permettra d’abord de renforcer notre croissance internationale. Elle soutiendra surtout nos filiales Bics et Telesign. J’y vois également un outil important dans le recrutement et la conservation de talents. Quel employeur en Belgique peut-il dire à ces informaticiens et autres talents qu’ils pourront travailler au siège de Telesign à Los Angeles ou dans un bureau de Bics à Singapour?

Pour aborder un sujet complètement différent. Au début de la guerre en Ukraine, vous avez lancé une action étonnante. Sur les GSM, le nom de réseau Proximus a été remplacé par “Stop invasion”. Cela a fait froncer quelques sourcils.

Les entreprises doivent montrer clairement quelles sont leurs valeurs et nos paroles ont été suivies d’actes. Nous offrons des cartes SIM gratuites aux réfugiés ukrainiens, et nous avons rendu les appels vers l’Ukraine gratuits. En outre, nous voulons mettre 25 bâtiments vides à disposition pour l’accueil des réfugiés. Nous sommes en train d’analyser dans quel délai nous pouvons les mettre en règle. Nous aidons également la Croix-Rouge. Il faut pouvoir mettre ses valeurs en pratique. Je soutiens complètement ces initiatives. Je ne pourrais être CEO d’une entreprise dont je ne partage pas les valeurs.

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