Facebook deviendra-t-il votre banquier ?

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Après avoir révolutionné le commerce et les médias, les grands du Web s’attaquent à votre portefeuille. Objectif des Facebook et autres Google ? Profiter du développement du téléphone mobile pour s’imposer sur le marché prometteur des moyens de paiement. Avant peut-être un jour de s’occuper de vos économies ou de vos demandes de prêts. Gros plan sur la banque du futur.

Demain, votre banque ne s’appellera peut-être plus BNP Paribas Fortis, ING ou Belfius. Elle s’appellera peut-être Apple, Facebook, Google, Amazon ou Skype. Après avoir chamboulé le livre, la musique, la presse, les voyages et l’hôtellerie, voici que la révolution numérique bouscule le secteur financier.

Aujourd’hui, plus de 60 % des Européens utilisent Internet tous les jours. En Belgique, près de 70 % de la population utilise quotidiennement le Web. De plus en plus, la vie du consommateur bascule sur les outils digitaux (smartphones et tablettes). Tout y passe ! Même les petits soucis d’argent de tous les jours se “virtualisent”. Environ un quart des Belges utilisent désormais les applications mobiles de leur(s) banque(s), pour consulter leur solde, faire un virement, etc. Pas étonnant dès lors que les géants du Net, devenus incontournables dans nos habitudes de consommation, passent aussi à l’offensive sur le terrain de la banque au quotidien.

Monnaie électronique

A tout seigneur, tout honneur : Facebook. Doté d’une audience inégalée dans l’histoire de l’humanité (plus d’un milliard d’utilisateurs à travers le monde), le réseau social n°1 s’apprêterait à lancer un service de transfert d’argent à l’international, depuis l’Irlande. Comme l’écrivait dernièrement le Financial Times, il serait en passe d’y obtenir une licence e-money pour créer sa propre monnaie électronique. But de la manoeuvre ? Permettre à ses utilisateurs de conserver de l’argent sur sa plateforme, de payer leurs achats et d’effectuer des transferts d’argent. Autant de possibilités qui s’apparentent à un vrai compte bancaire en ligne.

Le quotidien britannique souligne d’ailleurs que la firme de Mark Zuckerberg aurait entamé des discussions avec diverses start-up spécialisées dans les paiements internationaux comme TransferWise ou Moni. Info ou intox ? Si l’information peut surprendre de prime abord, elle est pourtant loin d’être totalement fantaisiste. Cédric Deleuze, responsable pour la Belgique du département Deloitte Digital, le confirme : “Que des acteurs du Web comme Facebook se lancent un jour dans les services financiers ne fait aucun doute”, lance-t-il avant d’ajouter que “la question n’est pas de savoir si cela va se faire mais quand et avec qui ces plans vont se concrétiser”. Un avis que partage Bruno Schröder, technology officer chez Microsoft Belgique qui, soulignons-le au passage, a accepté de répondre à nos questions, contrairement aux équipes belges de Facebook et Google. Pour lui, cela ne fait aucun doute, le développement des géants technologiques dans la finance est inéluctable (lire l’encadré “La menace est réelle pour les banquiers traditionnels”).

Nouveaux outils

Inéluctable d’abord parce que la révolution digitale n’en est qu’à ses débuts. Inéluctable ensuite parce que le paiement est sans doute “le” créneau du futur pour le mobile. Tous les acteurs de l’univers de la high-tech tentent de se positionner sur un marché estimé en 2013 à 235 milliards de dollars dans le monde, selon Gartner. L’an dernier, eBay a par exemple déboursé 800 millions de dollars pour s’offrir la start-up Braintree, bien que le roi des enchères en ligne soit déjà propriétaire de PayPal. Nullement à la traîne, les spécialistes de la carte de crédit (Visa, MasterCard) déploient aussi leur portefeuille de paiement électronique. Quant à l’américain Square, son lecteur de cartes sur smartphone pourrait brasser 30 milliards de dollars cette année, selon le magazine économique Challenges.

Il faut dire que s’aventurer sur ce marché “hot” des nouveaux outils de paiement présente pour les grands du Web un intérêt à plusieurs égards, y compris pour une entreprise comme Facebook. “C’est clairement un vecteur de croissance”, reprend Cédric Deleuze. Et une source de diversification des revenus, nous explique Dirk Vanderschrick, membre du comité de direction de Belfius, responsable retail & commercial banking. “En plus des recettes publicitaires et de la vente de données, s’y ajouteraient celles liées aux transactions, enchaîne le banquier. Capter le flux d’informations autour du paiement permet également d’enrichir les bases de données avec une exploitation commerciale à la clé (approfondir la connaissance du client et lui faire des offres ciblées, Ndlr). Ces nouvelles fonctionnalités permettront également de doper le trafic sur les sites de ces acteurs en question, ce qui aura aussi pour effet d’augmenter la valeur de leur espace publicitaire.”

Rattraper Google

Mais ce n’est pas tout. En se lançant ainsi à l’assaut de la finance, Facebook ne ferait qu’emboîter le pas à son grand rival Google, avec qui il est toujours au coude à coude. “Facebook n’a pas seulement un problème d’image, il doit trouver une un business model et une rentabilité que Google a déjà trouvés”, pointe à ce propos le serial entrepreneur José Zurstrassen, fondateur de Keytrade et de MyMicroInvest. Le célèbre moteur de recherche est en effet déjà bien armé dans ce domaine avec son e-wallet (portefeuille électronique). Selon le magazine économique suisse Bilan, Google serait par ailleurs aussi en attente d’une licence e-money au Royaume-Uni. Aux-Etats-Unis, il permet déjà l’envoi d’argent par e-mail. Il étudierait aussi la possibilité de s’attaquer au monde des placements, comme le fait déjà Baidu, le Google chinois. Ce dernier est lui aussi déjà bien plus en avance que la firme de Mark Zuckerberg, après avoir lancé en octobre dernier un service d’épargne en association avec un très gros gestionnaire d’actifs made in China. Toujours du côté de Pékin, le géant du commerce en ligne Alibaba propose quant à lui des prêts à la consommation.

Jamie Dimon

Bref, la tendance est là. Même les banquiers traditionnels le reconnaissent. Et pas seulement ceux de Belfius. Jamie Dimon, puissant CEO de la grande banque américaine JP Morgan, l’avoue également. Lui qui déclarait dernièrement que “Google et Apple n’étaient pas les seuls à représenter une menace pour JP Morgan mais que la Silicon Valley dans son ensemble voulait la dévorer”, faisant référence aux innombrables fintechs (nouvelles technologies appliquées à la finance) qui y poussent comme des champignons (Moven, etc.).

Dans un ouvrage intitulé Nouvelles banques, Michel Mathieu, haut dirigeant du Crédit Agricole en France, estime quant à lui que la banque de détail est prise en tenaille. “Elle doit faire face à une concurrence nouvelle, représentée par des sociétés qui proposent des services équivalents, sans toutefois supporter les mêmes contraintes, notamment en termes de masse salariale ou d’implantations physiques de réseaux d’agences dans les territoires.” Quant à ING Belgique, banque qui joue résolument la carte du digital, on dit y suivre avec beaucoup d’attention toute nouvelle initiative dans le domaine des services bancaires. “Il est important que la banque traditionnelle sache se remettre en question, plaide son CEO Rik Vandenberghe. ING Belgique est une banque innovante. La BBL avait d’ailleurs été la première en Belgique à lancer la banque par Internet. Nous sommes très attentifs aux nouveautés pouvant être intéressantes pour nos clients. C’est ainsi que nous avons lancé le premier compte à vue gratuit en ligne, la première application mobile en Belgique et que nous avons investi dans la solution de paiement par mobile développée par le portefeuille électronique Sixdots en Belgique.”

Le big bang des agences

Le lecteur aura compris : la digitalisation de la société n’oblige pas seulement les banques à revoir leur offre, mais aussi à repenser leur métier. Face à la concurrence des nouveaux acteurs du Web qui tire les prix vers le bas et détourne les clients des agences, elles doivent faire évoluer leur modèle. “Après avoir incité le client à réaliser un nombre toujours grandissant d’opérations en ligne, poursuit Michel Mathieu, la question que tous les banquiers devraient se poser est la suivante : que doivent-ils mettre en oeuvre, dès aujourd’hui, pour que dans cinq ou 10 ans le client pousse encore la porte de leur agence, et choisisse d’y rester ? Quels besoins justifieront qu’il revienne en agence ? Comment former les conseillers à proposer une vraie valeur ajoutée, lors de ces rares moments privilégiés.” En France par exemple, BNP Paribas, par ailleurs armée depuis un an de Hello bank ! (banque 100 % digitale), entend avec son plan “Préférence client” faire basculer son réseau vers trois types d’agences : express, conseils et projets. Car sans cette véritable remise en question, nos “chers” amis banquiers risquent bien de se voir reléguer au rang de simples gestionnaires d’infrastructures (back-offices, etc.), victimes de ce que les spécialistes appellent la “désintermédiation bancaire” (lorsque les clients se passeront des banques). Certaines études estiment en effet qu’une part de 30 % du marché des banques est prête à changer de mains aux Etats-Unis. Si bien qu’un jour, ce sera peut-être Facebook qui vous accordera un crédit. Cela après avoir analysé vos données personnelles et vu que vous aviez beaucoup d’amis sur sa plateforme. Signe de la qualité de votre entourage humain… à même de vous renflouer en cas de pépin financier.

Image abîmée

Pour l’heure, les banquiers traditionnels se montrent pourtant sereins. Du moins en apparence. Ils disent que les géants du Web s’activent principalement dans le domaine des moyens de paiement. “Aucun de ces acteurs n’a développé une alternative complète au modèle bancaire traditionnel”, avance Dirk Vanderschrick. Autre argument : le fait que les clients restent friands de conseils personnalisés. Et puis, cerise sur le gâteau : les banquiers classiques veillent de plus en plus à se servir des réseaux sociaux (Facebook, LinkedIn, Twitter, YouTube, etc.). “On observe clairement de la part des banques une volonté de socialiser le plus possible la relation avec le client”, pointe Hugues Rey, CEO de l’agence Havas Media Brussels. Les réseaux sociaux deviennent pour elles une source de renseignement et de dialogue, un canal de communication à part entière.”

De fait, “nous utilisons ces canaux pour rester proche de notre clientèle”, clament en choeur Rik Vandenberghe et Dirk Vanderschrick. Rien d’étonnant à cela, estime Cédric Deleuze : “Collaborer avec les réseaux sociaux est clairement une bonne stratégie pour les banques”, soutient-il, citant l’exemple de l’assureur français AXA, qui vient de signer un partenariat avec Facebook pour s’attaquer au marché sur mobile, en profitant de la popularité du réseau social sur smartphones et tablettes. If you can’t beat them, join them ! Surtout que les acteurs de l’industrie des services financiers souffrent d’un problème de réputation depuis la crise de 2008. De la crise des subprimes aux manipulations du Libor, ils n’en finissent plus d’enchaîner les scandales. Leur image est abîmée. Bref, à l’heure où certains ont perdu la confiance des clients, d’autres essayent de la gagner.

“Nouvelles banques”, Michel Mathieu, éditions Débats Publics, 249 p.

SÉBASTIEN BURON

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