“Tout doit pouvoir être remis à plat, mêmes les pôles de compétitivité”

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Pour son troisième mandat successif au poste de pilotage de l’économie wallonne, Jean-Claude Marcourt entend recentrer le Plan Marshall sur ses objectifs spécifiquement économiques.

Il se rêvait peut-être ministre-président. Mais il semble plus que satisfait du copieux portefeuille ministériel qui lui a été confié : l’économie, l’industrie, l’innovation (terme qu’il préfère à la recherche, car il est plus large) et la transition numérique, l’un des dadas de ce passionné de nouveaux gadgets technologiques. Il faut ajouter à cela l’enseignement supérieur et les médias pour la Fédération Wallonie-Bruxelles. Jean-Claude Marcourt (PS) a réservé à Trends-Tendances sa première grande interview économique de la législature.

TRENDS-TENDANCES. Le Plan Marshall sera-t-il immunisé dans la politique d’assainissement budgétaire de la Wallonie ?

JEAN-CLAUDE MARCOURT. Oui, les moyens dévolus aux pôles de compétitivité sont préservés. Nous avons néanmoins la volonté de recentrer le Plan Marshall sur son axe véritablement économique. Ce plan jouit d’une image extrêmement positive et a été un peu victime de son succès. Tout le monde voulait en être, au risque de faire perdre une partie de la lisibilité du plan.

Quelles mesures souhaitez-vous donc extraire du Plan Marshall ?

Je ne vais pas être discourtois en donnant des exemples précis. Cela se discutera au gouvernement. Le Plan Marshall n’est pas toute la politique de la Wallonie, ce n’est même pas toute la politique économique. La situation budgétaire oblige à poser des choix. Des budgets environnementaux, qui méritent d’être défendus mais n’ont pas d’impact économique majeur à court terme, doivent-ils vraiment être intégrés dans le Plan Marshall ?

Il y aura donc bien toujours les mêmes enveloppes pour financer les projets de recherche sélectionnés par les pôles de compétitivité…

Oui, l’enveloppe nécessaire sera là. Mais je rappelle que nous avons initié une culture de l’évaluation. Même les politiques qui marchent bien sont évaluées et le cas échéant, affinées. Même pour les pôles de compétitivité, nous devons garder la lucidité, indépendamment des nécessités budgétaires, de repenser l’organisation, la transversalité ou le fonctionnement. Tout doit pouvoir toujours être remis à plat.

Les responsables des pôles craignaient que les budgets destinés à l’internationalisation soient rabotés afin de concentrer les moyens publics sur les investissements en Wallonie. Est-ce l’une des évolutions attendues ?

Certains marchés se développent loin de chez nous. A nous de déterminer comment capter des vecteurs de croissance dans ces pays, de participer à leur prospérité et d’en avoir un retour adéquat chez nous. L’équation est complexe. Mais si nous n’avançons pas dans cette voie, nous risquons de tout perdre, tant la croissance européenne est faible. Donc, oui, les moyens pour l’internationalisation sont maintenus.

Et la collaboration des pôles avec l’Awex pour des attachés sectoriels à l’étranger également ?

Oui, c’est ce que j’appelle la politique des écosystèmes. J’ai été marqué par le fait que l’Irlande a terriblement souffert de la crise financière. Elle avait un régime fiscal très attractif mais un déficit d’écosystème. L’investisseur essaie bien entendu de réduire son capital. Mais s’il sait qu’il va trouver la main-d’oeuvre qualifiée, les compétences en recherche, un réseau d’entreprises sur lequel s’appuyer, cela pèse aussi dans le choix d’investissement. Les pôles de compétitivité apportent cela. Et nous voulons intensifier la démarche. C’est pourquoi la cellule de veille prospective, logée à la Sogepa (organisme public chargé des entreprises en restructuration, Ndlr), planche sur la manière de renforcer nos écosystèmes économiques de manière structurelle. Ce sera l’un des axes de notre politique dans les prochains mois.

L’accord de gouvernement prévoit d’ajouter deux axes transversaux – le numérique et l’économie circulaire – aux six pôles de compétitivité. Comment cela va-t-il se traduire concrètement ?

L’accès aux matières premières deviendra un enjeu toujours plus prégnant dans les économies européennes. Il faut donc être prudent dans leur utilisation et inventif dans la capacité de recyclage et donc, de récupération de la matière. D’où le projet Reverse Metallurgy (le recyclage des métaux rares, Ndlr) ou celui de transformation de résidus automobiles en… carburant. Et ça fonctionne. Tous les secteurs sont concernés par l’économie circulaire. J’ajoute que la récupération et le recyclage apportent des possibilités d’emploi à des personnes peu qualifiées.

J’entends bien l’intérêt de l’économie circulaire. Mais que va faire le gouvernement wallon pour la développer ?

La philosophie du Plan Marshall et, je crois, la clé de son succès, c’est de partir des demandes des acteurs socio-économiques. Ils veulent un développement de l’économie circulaire. Nous l’avons inscrit dans la déclaration de politique régionale et nous allons maintenant réfléchir ensemble, avec les pôles et les entreprises, à la meilleure manière de le concrétiser. Faudra-t-il prévoir un cadre contraignant ou simplement miser sur plus de synergies ? Nous verrons.

Quant aux nouvelles technologies, nous ne percevons encore qu’une infime partie de leur impact sur la société et sur l’économie. La Région doit évidemment se saisir de cette opportunité. Faut-il y consacrer un pôle ? Je ne le pense pas. Le numérique n’est pas un secteur comme la pharmacie ou le génie mécanique, il traverse tous les pans de l’économie. C’est la même chose pour le développement durable…

On peut donc supprimer le pôle Greenwin (technologies vertes) pour miser sur des actions transversales…

Je n’ai pas dit cela. Le développement durable doit être une préoccupation transversale, comme on le voit avec la chimie verte. L’évaluation dont je vous parlais doit amener à réfléchir à la plus-value apportée par le fait de dédicacer un pôle ou pas. Cela vaut pour Greenwin comme pour les autres pôles.

Il est bon d’en revenir à l’objectif initial : entraîner, grâce à la recherche, des ruptures technologiques qui permettent à des entreprises wallonnes de développer des produits innovants et de devenir leader européen, voire mondial. Gardons cet objectif bien en tête pour les évaluations.

Quel est le délai pertinent entre le moment où on lance un programme de recherche et celui où l’on crée de la valeur ajoutée ? Nous y réfléchirons avec le jury international (qui labellise les projets des entreprises, Ndlr) car en période de crise, il faut sans doute essayer d’être plus performant, d’accélérer le retour sur investissements… sans toutefois dévoyer le principe de base qui est de donner le temps aux entreprises de développer des produits de rupture. C’est un équilibre à trouver.

Encore faut-il dépasser le stade de la recherche : à peine 7 % des projets du Plan Marshall sont des projets d’investissement en production. Comment augmenter ce pourcentage ?

Les temps politique, économique et de la recherche ne sont pas synchronisés. Je ne fais pas de la politique économique court-termiste. L’ambition est de changer l’assise économique de la Wallonie et cela ne se fait pas en 18 mois. Huit ans après le démarrage effectif du Plan Marshall, cette assise économique a évolué, c’est indéniable. L’essentiel de la croissance de la valeur ajoutée et de l’emploi a été capté par les entreprises actives dans les pôles de compétitivité. C’est donc une réussite. Mais il faut encore améliorer les choses car la décennie transitoire de la nouvelle loi spéciale de financement a démarré.

La transversalité doit renforcer la porosité entre les pôles de compétitivité pour offrir une plus grande chance au hasard, un élément essentiel dans l’innovation.

Le hasard ?

Oui, le fait de découvrir autre chose que ce que l’on cherche et d’en saisir l’opportunité. Le post-it est une découverte non voulue. Un chercheur, suite à un incident, a mis au point une colle qui ne colle pas ou, plus précisément, qui se décolle de manière non abrasive. Et il en a compris la pertinence. C’est cela la théorie du hasard.

A l’inverse, j’ai toujours été marqué par le fait que l’iPod n’ait pas été inventé par Sony : ils avaient inventé le walkman, investi dans le numérique, faisaient travailler des milliers d’ingénieurs, disposaient d’un incroyable catalogue de musique… et l’innovation est pourtant venue d’ailleurs !

Bruxelles va aussi développer des pôles de compétitivité. Envisagez-vous des collaborations avec ces pôles bruxellois ?

Je ne connais pas les détails de l’accord bruxellois mais je crois que leurs pôles, organisés sur base territoriale, seront différents de ce qui existe en Wallonie. Les deux régions n’ont pas du tout les mêmes paramètres. Bruxelles produit énormément de richesse mais elle n’est pas captée par les Bruxellois, en tout cas pas en termes d’emplois. Il y a donc une volonté légitime du gouvernement bruxellois de saisir des opportunités. Et tout ce que nous pouvons faire de complémentaire, nous le ferons, comme nous le faisions déjà, d’ailleurs. A la rentrée, je compte rencontrer Didier Gosuin (ministre bruxellois de l’Economie, Ndlr) à ce sujet.

Vous êtes désormais ministre en charge des Médias. Ils ne relèvent donc plus du ministre de la Culture mais du ministre de l’Economie. En quoi cette évolution est-elle positive pour les médias ?

Le regroupement n’a pas été décidé pour me faire plaisir mais par souci de cohérence. Quel est le modèle économique de demain pour les journaux et pour l’audiovisuel ? Avec le passage au numérique, tout le monde le cherche – et je vous rappelle que je suis aussi en charge de l’économie numérique et des nouvelles technologies. Tout est bien cohérent. Il y a aussi la convergence entre les médias : la télévision, la radio, l’écrit, vous avez tout sur une même tablette. Quelles convergences va-t-on trouver ? Nous avançons vers quelque chose de totalement neuf et les chaînes de télévision doivent s’en inquiéter autant que les éditeurs de journaux. Le défi est à la fois excitant et terriblement perturbant pour tous ceux qui ont un modèle économique à faire vivre et des investissements à réaliser.

Vous êtes un régionaliste convaincu. Que pensez-vous de ce retour des ministres spécifiques à la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la quasi- disparition des ministres à “double casquette” ?

Enormément de formules ont été essayées. Il y a 20 ans, il y avait quatre ministres à la Communauté. Depuis, il y a eu les doubles casquettes, la présidence conjointe avec la Wallonie, etc. Aujourd’hui, avec les transferts de compétences, les ministres régionaux seront bien plus occupés. Avec l’autonomie fiscale, nous aurons désormais un véritable ministre des Finances en Wallonie. Il n’est donc pas anormal qu’il y ait plus de ministres à la Fédération.

Durant la législature passée, certains ont considéré que le ministre-président et les trois vice-présidents étant wallons, le gouvernement de la Fédération était déséquilibré au détriment des Bruxellois. Ce ressenti externe, que je trouve infondé, a marqué les esprits. L’effacement de l’image de la Fédération derrière celle de la Wallonie a aussi été pointé.

Cet effacement doit vous réjouir…

Ma vision n’a pas changé d’un iota. L’heure n’est cependant pas aux grands débats institutionnels. La priorité, c’est l’économie, l’emploi, le pouvoir d’achat, l’éducation. Nous pourrions faire autrement. Mais les institutions existent. Faisons-les fonctionner.

Propos recueillis par CHRISTOPHE DE CAEVEL

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