Contrairement à Charleroi et Zaventem, l’aéroport liégeois se porte bien malgré la pandémie
La crise du Covid pousse les affaires de Liege Airport, qui pourrait terminer l’année avec une croissance de 10% du tonnage transporté. Son CEO, Luc Partoune, estime que cette tendance se poursuivra après la pandémie. Il prépare donc un nouveau plan de développement.
Il n’y croyait pas. Pendant la période du confinement, Luc Partoune, CEO de Liege Airport, était persuadé que l’afflux d’avions cargo remplis de masques et d’équipements médicaux à Bierset allait finir par se tarir et qu’au total, l’année serait difficile.
“En mars, je me disais que la crise économique allait déprimer le trafic cargo car c’est un marché très sensible à l’évolution de la demande”, explique-t-il dans son bureau de verre qui domine le tarmac. Mais pas du tout… Car l’effondrement du trafic des vols passagers a donné des ailes à Liege Airport. “Dans notre secteur, le belly cargo, le fret transporté dans les soutes des avions de passagers, représente 60% de l’offre totale. Il a presque disparu depuis la mi-mars, il y a eu un report massif sur les avions full cargo, qui sont nos acteurs principaux.”
Nous voulons nous inscrire dans la multimodalité, nous renforcer dans notre vocation de pôle logistique.”
Luc Partoune, CEO de Liege Airport
30.000 mètres carrés
L’aéroport de Liège, centré sur le fret, continue à enregistrer une hausse du trafic, en tonnes transportées. Liege Airport prévoyait pour 2020 une croissance de 8%. “Elle devrait atteindre les 10%”, continue Luc Partoune, qui parle de dépasser la barrière du million de tonnes transportées pour l’année, contre 900.000 en 2019. L’activité est notamment dopée par l’e-commerce, très populaire pendant la pandémie, qui remplit les avions de FedEx, ASL, Qatar Cargo, CAL, AirBridgeCargo, les principaux transporteurs de Bierset. Liège Airport pourrait donc aussi dépasser les chiffres de l’an dernier : 36 millions d’euros de chiffres d’affaires et 6,3 millions d’euros de bénéfice net.
La situation contraste avec Brussels Airport et Brussels South (Charleroi) où le trafic ne devrait revenir à la “normale” qu’en 2024. C’est le lot des aéroports dédiés principalement aux vols avec passagers. Zaventem a encaissé un recul de 69% du trafic passagers de janvier à août et un repli de 6,4% du volume cargo. Charleroi publie un recul de 65% des passagers en juillet-août et le ministre de tutelle des aéroport wallons, Jean-Luc Crucke, a indiqué qu’il annoncerait ce mois-ci des mesures pour le restructurer.
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Liège va manifestement éviter ce trou d’air. Sa croissance ne plaît pourtant pas à tout le monde : un aéroport attire toujours des plaintes de riverains, elles ont repris de la vigueur avec le confinement, alors que les habitants restaient cloîtrés chez eux. En plus, des changements dans la direction des vents ont modifié la route d’atterrissage et décollage et la répartition du bruit. Sans parler de l’arrivée d’Alibaba, le roi chinois du commerce électronique, qui ouvrira l’an prochain 30.000 m2 de hangars à Bierset. Cette arrivée suscite une certaine opposition, notamment d’un collectif appelé Watching Alibaba.
Avenir proche assuré
Mais la croissance de 2020, poussée par le Covid, ne devrait pas s’évanouir, estime Luc Partoune. “Ce trafic passagers en berne va avoir une influence sur le fret transporté dans les soutes de ces avions.” Et donc, continuer à booster les vols avec appareils totalement dédiés au fret, comme à Bierset. “Regardez, nous accueillons maintenant des avions passagers de Qatar Airways convertis en cargo. C’est un changement durable. Il y aura sans doute une réflexion chez les constructeurs d’avions. Il y aura un avantage structurel à développer, pour les compagnies, des vols en avions full cargo.”
L’avenir proche semble donc assuré. La direction de Liege Airport finalise un plan de développement à long terme, jusqu’en 2040, que Luc Partoune présentera à son conseil d’administration dans les prochains jours. “Nous avions établi un plan à 10 ans en 2015, mais nous en avons déjà dépassé les objectifs l’an dernier. Il en fallait donc un nouveau”, relève le CEO.
Ce plan 2040 tombe à pic, et ce pour deux raisons. D’abord, ce sera l’occasion d’ouvrir une discussion sur les objectifs de l’aéroport avec un conseil d’administration partiellement renouvelé. L’actionnaire de contrôle, NEB Participations, dominé par Nethys, a voulu remplacer les élus locaux par des administrateurs professionnels, dont plusieurs femmes telles Sarah Krins, conseillère à la Sogepa, ou Cécile Flandre, CFO d’Ethias. Le CEO de Sabena Aerospace, Stéphane Burton, est vice-président, et Marc Renouprez, président. En outre, ce plan va nourrir les rencontres avec la population qui devraient débuter d’ici la fin de l’année, dans le cadre d’une étude d’incidence imposée par le renouvellement du permis d’environnement de l’aéroport. Ce dernier arrive à échéance en 2023. “Ce sera un grand exercice de démocratie”, annonce Luc Partoune. Les représentants de l’aéroport viendront expliquer les plans de développement.
9.000 emplois : l’activité générée par la zone aéroportuaire de Liège, selon une étude de l’ULiège.
L’objectif est en effet de continuer à croître, au-delà de l’activité purement aéroportuaire. “Nous voulons nous inscrire dans la multimodalité, nous renforcer dans notre vocation de pôle logistique“, continue le CEO. Notamment en hébergeant des activités innovantes comme le projet HaYrport, développé avec John Cockerill (ex-CMI), une installation de production et de distribution d’hydrogène vert (produit par électrolyse au départ de panneaux photovoltaïques) utilisable dans des véhicules de l’aéroport et des entreprises intéressées. “Nous voulons aussi être un moteur de la réflexion sur différentes technologies appliquées à la logistique, comme les drones et la 5G, qui peut s’avérer très intéressante pour un environnement industriel.”
Raison trop tôt
Luc Partoune veut aussi ranimer le projet Euro Carex, un réseau de trains à grande vitesse réservés au fret et opérant de nuit, auquel serait raccordé l’aéroport de Bierset, situé à côté de la ligne à grande vitesse Bruxelles-Liège. Ce projet remonte à plus de 10 ans et était en sommeil, faute d’une convergence suffisante d’intérêts entre réseaux ferroviaires, opérateurs et transporteurs.
“On a eu raison trop tôt, assure le CEO de Liege Airport. Mais maintenant, le calendrier politique est plus favorable. Il y a une prise de conscience de l’intérêt de ce genre de projet.” FedEx, premier acteur à l’aéroport de Liège, est pour. Et tant la Commission européenne, avec le Green Deal, que la France ou l’Allemagne sont désormais prêtes à pousser le rail pour des questions environnementales. “Ce projet devrait aider à supprimer des vols à courte distance, comme cela se passe déjà pour les vols passagers”. Et aussi quelques camions…
L’association Liege Carex, présidée par feu Jean-Pierre Grafé, redémarre donc avec un nouveau président, Jean-Claude Fontinoy, président de la SNCB. “Cela nous fait plaisir qu’un acteur du secteur ferroviaire s’implique”, continue Luc Partoune. Ces derniers temps, l’aéroport de Liège se sentait bien seul. Il faut maintenant réveiller d’autres partenaires pour lancer le réseau. Celui-ci pourrait, par exemple, relier Leipzig, Francfort, les aéroports de Liège et de Roissy, et les Pays-Bas.
Ce genre de projet rendrait évidemment l’aéroport et les zones qui l’entourent encore plus attractifs, élargissant les combinaisons logistiques ouvertes aux donneurs d’ordre comme Alibaba ou Zara. Un acteur de l’e-commerce n’est en effet pas forcément obsédé par l’avion. Il cherche à disposer de l’éventail le plus large possible de services afin d’optimiser ses coûts : bateau, avion, train (même en provenance de Chine), camion.
La pression des riverains
La difficulté est d’emporter l’adhésion des habitants résidant à proximité. “Quand on s’éloigne de Liège, les gens nous disent : c’est un aéroport magnifique, tout le monde l’envie, vous êtes au coeur du développement. Mais quand on s’en rapproche, les échos sont parfois moins positifs. On nous parle d’emplois au rabais, on nous oppose les circuits courts”, avoue le CEO de l’aéroport, un peu découragé.
Mais on voit mal la Région wallonne lâcher l’aéroport qu’elle a soutenu durant de longues années pour relancer l’économie locale et dont l’ouverture, la nuit, fait partie des atouts commerciaux. On sait qu’elle a développé un programme de rachat et d’isolation des logements les plus touchés par les nuisances sonores, au contraire de son concurrent de Zaventem. Les zones couvertes par ces interventions devraient être réajustées.
Le ministre de tutelle des aéroport, Jean-Luc Crucke, a en tout cas annoncé à notre confrère Le Soir quelques dizaines de millions supplémentaires à cet effet, pour les deux aéroports wallons.
“Selon une étude récente menée par l’ULiège, la zone aéroportuaire représente 9.000 emplois directs et indirects”, assure Luc Partoune, qui en promet davantage, notamment avec l’arrivée d’Alibaba. A ceux qui lui rétorquent qu’il promet des emplois peu durables, il rappelle : “allez voir chez TNT/FedEx. Quand ils sont arrivés, ils promettaient 350 emplois, il y en a maintenant 1.800.”
Qui sont les vrais clients ?
En apparence, les clients de Liege Airport sont les compagnies aériennes. Mais ce n’est pas tout à fait vrai. “Derrière les transporteurs, il y a surtout les donneurs d’ordre, c’est eux que nous contactons de plus en plus, explique le CEO de l’aéroport, Luc Partoune. Quand on parle d’une croissance de trafic, elle est impulsée par les donneurs d’ordre, comme Alibaba qui ne possède pas d’avions. Idem pour Zara, le groupe textile espagnol : c’est le premier transporteur aérien au monde, mais il n’a pas de compagnie aérienne. Il recourt à des tas de transporteurs. Je ne peux pas dire que Zara est, directement, mon premier client, mais je sais qu’il est un client important.”
Le marketing de l’aéroport consiste donc à rechercher et rencontrer ces donneurs d’ordre. Alibaba en est l’exemple, Liege Airport a attiré sa filiale logistique Cainio, et l’installation d’un hub logistique dans la zone nord qui jouxte les pistes. Mais Luc Partoune et ses équipes vont aussi à la rencontre de JD.com, “un concurrent d’Alibaba”, et Amazon bien sûr. Ils s’intéressent également à Decathlon. Et aussi à Bol.com, l’aile e-commerce du groupe Ahold Delhaize. “Il faut aller les voir. Un jour, ils deviendront des donneurs d’ordre pour l’aérien.”
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