Quel avenir pour l’aéroport de Charleroi?
L’heure de vérité pourrait sonner pour l’aéroport de Charleroi. Ses finances sont menacées par la crise du Covid et son modèle économique était déjà fragile. Jean-Luc Crucke, ministre en charge du dossier, prépare un plan de redémarrage.
Au sein de l’exécutif wallon, il y a comme une impatience à l’égard de Brussels South Charleroi Airport (BSCA). Le ministre en charge des aéroports, Jean-Luc Crucke, attend un plan qui tarde pour le futur de ce qui était considéré, il y a peu, comme un fleuron de l’économie régionale avec 8,2 millions de passagers en 2019.
“Mon principe, c’est qu’il ne faut pas faire le métier d’un autre. C’est donc au gestionnaire de nous donner des solutions pour l’avenir qui intègrent les éléments que l’on connaît et ceux annoncés “, nous explique Jean-Luc Crucke. Le ministre fait allusion aux prévisions de retour à la normale du trafic (celui de 2019) attendu au plus tôt pour 2024, selon l’Association internationale du transport aérien. Et à la dernière annonce de Ryanair, principal client de l’aéroport de Charleroi, de réduire certaines fréquences, notamment vers l’Espagne.
Un plan pour septembre
“Je souhaite venir devant le gouvernement wallon à la mi ou fin septembre avec le dossier, poursuit le ministre. Je rencontrerai l’actionnaire minoritaire privé (Belgian Airport, qui détient 27,6% d’un aéroport dont l’italien Save est l’actionnaire principal). Je veux entendre le management sur ses pistes, sachant que les aéroports de demain seront davantage orientés climat. Dans cette perspective, je considère indispensable la liaison avec le ferroviaire. Je rencontrerai aussi les représentants du personnel. Ensuite, je ferai une proposition.”
“Le business plan original tablait sur 15 millions de passagers à terme. On n’y arrivera pas en 2024. Ni même peut-être un jour “, continue Jean-Luc Crucke. Et la recapitalisation évoquée par L’Echo fait partie des éléments de réponse possibles. “C’est une piste mais ce n’est pas la seule”, précise le ministre.
Le futur de BSCA, contrôlé par la Région wallonne, doit en tout cas être repensé. “Cet aéroport était déjà en difficulté avant le Covid. Il perdait de l’argent, même si ce n’était pas une montagne. On ne peut pas continuer comme ça. Il doit devenir rentable. Le Covid est l’occasion d’y arriver. C’est pour cette raison que j’attends le management. Pas au tournant, mais en le regardant droit dans les yeux, avec des solutions conjoncturelles et structurelles, résume le ministre. Je lui avais déjà écrit à ce sujet, il m’avait donné une réponse qui n’était pas satisfaisante. Voilà pourquoi je l’ai à nouveau invité à me rencontrer.”
Un conseil d’administration “aux abonnés absents”
Ces propos semblent sévères pour Philippe Verdonck, nommé en 2019 pour succéder à Jean- Jacques Cloquet à la direction de BSCA. “Pour moi, le plus grand souci, c’est le conseil d’administration qui est aux abonnés absents, estime Alain Goelens, secrétaire permanent du syndicat Setca chez BSCA, à la fois ravi et surpris par la sortie du ministre. Ce devrait être le rôle des administrateurs, en particulier dans ces temps de crise, de prendre des initiatives. Mais nous n’avons rien vu venir. Or, cela fait longtemps que l’on devrait parler du redéploiement stratégique.”
Le syndicaliste s’inquiète du sort du personnel dont les deux tiers sont en chômage temporaire (sur 700 personnes). “Pour les aéroports, le dispositif est encore accessible jusqu’à la fin décembre, avec une perte de revenu et des problèmes de congés. Mais ce chômage temporaire ne jouera pas éternellement”, estime Alain Goelens.
Philippe Verdonck, lui, espère que le régime durera “aussi longtemps que durera la crise afin de préserver l’emploi“. A BSCA, il est crucial car le personnel pèse plus lourd, proportionnellement, qu’à Brussels Airport : la majorité de l’effectif (environ 550) est actif dans l’assistance aux compagnies (bagages, comptoirs d’enregistrement, etc.), habituellement sous-traitée. Or, cette assistance est étroitement liée au volume du trafic.
Le CEO nous a esquissé une partie de son plan. “L’aéroport de Charleroi a besoin de pouvoir bénéficier de surfaces à proximité afin de développer, comme à Liège ou Brussels Airport, un pôle immobilier, hôtelier, voire logistique. A cette fin une jonction ferroviaire sur site constitue une nécessité.”
Jean-Luc Crucke, qui appartient à un exécutif dont fait partie Ecolo, souhaite que les solutions apportées à l’aéroport intègrent en tout cas davantage la dimension environnementale. “La manière dont la France apporte une réponse est intéressante ( remplacer les vols courts par des TGV, Ndlr). On ne va pas résoudre la question climatique du jour au lendemain mais on peut mettre en place un échéancier. Je l’attends donc des gestionnaires. Je crois aussi au lien entre le rail et l’aérien. Il y a une dynamique européenne à ce sujet, on ne peut y échapper.” Le ministre fait allusion au Green Deal annoncé par la Commission européenne, et précise que cette contrainte environnementale concerne aussi Liege Airport, où dort un vieux projet de TGV Fret. Mais ces perspectives ne dispenseront pas l’aéroport d’améliorer son core business. En entrant dans la crise avec une rentabilité zéro, Brussels South n’a pas les moyens de son confrère et concurrent de Zaventem, qui affronte le Covid avec une réserve de liquidités et un long passé de jolies marges bénéficiaires. Ni la chance de Liege Airport, actif surtout dans le fret, qui tourne très bien actuellement.
Le boulet de la redevance
Le CEO de Brussels South a pu réduire les coûts en jouant sur le chômage temporaire. Il a aussi pu reporter le paiement de la redevance, qu’il juge exagérée, pour l’utilisation des infrastructures de l’aéroport appartenant à la Région wallonne.
“Si nous arrivons à 4 millions, nous sortirons les bulles…”
Malgré des temps difficiles, le patron de l’aéroport de Charleroi, Philippe Verdonck, essaie de positiver. “En juillet, nous avons relevé que l’occupation des avions dépassait les 85%, c’est mieux que ce que nous pouvions espérer, indique-t-il. Au début des opérations, en juin, nous étions contents avec 20 ou 25%.” L’aéroport n’a transporté que 30% du trafic habituel pour juillet mais c’est effectivement mieux que Brussels Airport, qui n’a pas dépassé les 20%.
Le rebond du Covid depuis fin juillet a freiné le redémarrage. “L’Espagne est devenue une destination moins accessible, le Maghreb et la Turquie ont une accessibilité encore plus réduite.” Mais les compagnies sont revenues : Ryanair, Wizzair, TUI fly, Air Belgium, Pegasus, Belavia, Laudamotion, Air Algérie, Air Corsica. Brussels South dépasse les 8 millions de passagers annuels depuis deux ans. “Si nous arrivons à 4 millions de passagers cette année, nous sortirons la bouteille de Ruffus ou de Chant d’Eole”, continue Philippe Verdonck. Pour les années suivantes, le CEO parie sur l’allongement de la piste, qui sera effectif à l’été 2021, pour attirer des longs-courriers.
Côté finances, “le report de la redevance annuelle à verser à la Société wallonne des aéroports (Sowaer) nous aide. Donc pour le moment, au niveau liquidités, ça va. Mais on devra voir en 2021.” BSCA paie par trimestre une part de cette redevance de 16 millions d’euros pour l’utilisation des installations (pistes, bâtiments) qui appartiennent à la Sowaer. Mais les paiements des trois derniers trimestres ont été reportés. “Nous avons six ans pour rembourser cette somme augmentée d’un intérêt, à partir du premier trimestre 2021. Si on va mieux, cela pourra se faire. ”
Ce report, autorisé par la Commission européenne, est un ballon d’oxygène.
Reste que si la redevance était déjà un souci avant le Covid, elle va devenir un boulet pour les deux ou trois années à venir. La Commission européenne avait en effet imposé une forte augmentation en 2014, de 5 à 15 millions d’euros par an. Une décision prise après la plainte de Brussels Airport, qui estimait que la Région subsidiait le gestionnaire de l’aéroport, BSCA, en lui faisant payer un montant insuffisant pour l’utilisation de l’infrastructure aéroportuaire. Le bénéfice annuel, qui atteignait les 10 millions d’euros, a donc quasiment disparu. Or, de manière inquiétante, la croissance du nombre de passagers, de 6,4 millions en 2014 à 8,2 millions en 2019, n’a pas amélioré la marge, au contraire.
En 2018 (derniers chiffres publiés), l’aéroport réalisait une vente d’environ 104 millions d’euros, dont 31 millions de subsides versés par la Région wallonne pour les services de sécurité. Il devrait arriver au mieux à la moitié de ce chiffre pour 2020, avec l’effondrement des recettes des redevances par passager (2,47 euros par voyageur, avec un dégressif pour les gros clients) et celui des recettes commerciales générées par les parkings, les commerces, l’horeca.
Idéalement, il faudrait augmenter ces redevances. Leur modicité sert à attirer les compagnies, certes, mais il y a de la marge : Brussels Airport facture, par exemple, plus de 29 euros par passager. Pourtant, l’aéroport de Charleroi n’est jamais passé à l’acte, de crainte de perdre une partie des vols de Ryanair. La compagnie irlandaise a, du reste, d’autres idées : elle a envoyé aux aéroports avec lesquels elle travaille – dont celui de Charleroi – une missive demandant une diminution de leurs tarifs…
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