Ces plateformes néerlandaises qui se lancent à la conquête de la Wallonie
Déjà bien implantés en Flandre, les e-commerçants bataves Bol.com et Coolblue entendent à présent s’attaquer au sud du pays. Le premier traduira son application en août, le second vient d’ouvrir un vaste showroom à Bruxelles, et s’apprête à en ouvrir d’autres en Wallonie cette année encore. Quelles sont les stratégies de ces acteurs qui créent surtout des emplois… aux Pays-Bas ?
Kruidvat, Zeeman, Gamma, etc. On ne compte plus les enseignes néerlandaises qui, après s’être tout naturellement lancées en Flandre en raison de la proximité linguistique, se sont attaquées à Bruxelles et au sud du pays, où elles sont aujourd’hui largement implantées. Les pure players, ces acteurs ne vendant qu’en ligne, ne semblent pas faire exception. Respectivement numéros un et deux de l’e-commerce aux Pays-Bas, les sites Bol.com et Coolblue, très connus en Flandre où ils écoulent leurs produits depuis de très nombreuses années déjà, sont en effet bien décidés à conquérir le coeur des Belges francophones.
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Après avoir pris un peu de retard – tout devait normalement être prêt en juin -, Bol.com a annoncé dans un article de blog à destination de ses partenaires que son application en français sera opérationnelle pour la fin du mois d’août. Coolblue, pour sa part, dont le site a déjà été traduit il y a un petit temps, a lui aussi décidé de mettre les gaz. Le spécialiste de l’électro vient d’ouvrir son plus grand flagship store à Bruxelles, entre le rond-point Louise et la place Stéphanie.
Mais quelles sont les stratégies de ces deux poids lourds de l’e-commerce pour percer au sud du pays ?
Souvent qualifié d'” Amazon néerlandais “, Bol.com est en fait la propriété du géant batave de la distribution Ahold Delhaize. Le site aux 23 millions d’articles dans pas moins de 20 catégories allant des livres à l’électronique en passant par les jouets, le sport ou encore les articles ménagers, livre la Flandre depuis de nombreuses années à partir d’un énorme centre logistique situé à Waalwijk, aux Pays-Bas. Il bénéficie ainsi d’une législation néerlandaise plus souple en matière de travail de nuit, notamment, lui permettant de livrer les commandes plus rapidement.
Pour mettre pied en Wallonie, rien ne devrait changer à ce niveau, les articles provenant toujours des Pays-Bas. Les choses se dérouleront toutefois de manière progressive. Dans un premier temps, seule l’application sera traduite en français, pas le site lui-même. Et les articles volumineux tels que les réfrigérateurs, machines à laver et autres téléviseurs, qui demandent une livraison sur rendez-vous, ne feront pas partie de l’assortiment de départ. Ahold Delhaize explique que la gamme complète devrait être disponible pour le début de l’année prochaine au plus tard.
Place de marché
Son succès au Pays-Bas et en Flandre, Bol.com le doit notamment à son ancrage local. ” Son ambition a toujours été de devenir le meilleur acteur de la région néerlandophone, explique Gino Van Ossel, professeur de retail marketing à la Vlerick Business School. Pour se battre contre Amazon, il s’agissait d’être beaucoup plus local. Le site, qui a aussi commencé par vendre des livres, a ainsi directement créé une offre adaptée à la Région flamande. Il tient notamment un stand chaque année à la foire du livre d’Anvers. ”
Cet ancrage local passe aussi par ses partenaires. A l’image d’Amazon, le numéro un néerlandais fait aussi office de place de marché. Comprenez qu’en plus de vendre lui-même une série d’articles, Bol.com accueille sur sa plateforme des commerçants tiers tentés par ce nouveau canal de distribution. Ils sont aujourd’hui plus de 33.000, dont environ 3.500 en Belgique, essentiellement en Flandre. Le groupe a donc pris son bâton de pèlerin pour démarcher les commerçants locaux bruxellois et wallons, qu’il s’agisse de petits entrepreneurs ou de plus grandes chaînes. C’est justement la mission de la filiale belge de Bol.com qui, soulignons-le au passage, ne vend rien, tout se faisant depuis les Pays-Bas.
Reste que pour notre expert, le marché belge francophone risque de se révéler plus compliqué que prévu pour l’e-commerçant. ” Bol.com va devoir adapter davantage son assortiment s’il veut percer à côté d’Amazon qui est bien plus puissant au sud du pays “, estime-t-il.
Synergies avec Delhaize
La plateforme néerlandaise part toutefois avec quelques atouts, y compris face au géant américain. Bol.com, on l’a dit, appartient au groupe Ahold Delhaize, qui possède les enseignes de grande distribution Albert Heijn (leader aux Pays Bas et présente en Flandre depuis quelques années) et Delhaize. Des synergies vont donc pouvoir être créées entre toutes ces marques, faisant naître un écosystème omnicanal capable de rivaliser avec les plus grands. ” Bol.com sera à Delhaize ce que Collishop est à Colruyt “, lance Gino Van Ossel. Autrement dit, les points de vente de l’enseigne au lion pourront notamment servir de lieux de retrait et de retour de commandes passées sur Bol.com. ” Cette approche omnicanale sera très importante, assure le spécialiste. Ce lien avec Delhaize est selon moi le plus grand atout de Bol.com pour percer en Wallonie, où la plateforme est aujourd’hui inconnue. ”
Et les synergies pourraient être poussées bien plus loin. Bol.com devrait véritablement constituer le rayon non alimentaire en ligne de l’enseigne au lion. On peut, par exemple, imaginer que Delhaize propose désormais un catalogue de jouets. ” L’enseigne connaît ses clients et sait lesquels ont des enfants, relève notre observateur. Elle pourra les cibler directement. ” Les deux acteurs pourront aussi lancer des actions commerciales communes. L’été dernier déjà, les clients Delhaize de Flandre qui achetaient pour au moins 75 euros recevaient un chèque-cadeau à utiliser sur Bol.com. Inversement, les clients qui dépensaient au moins 75 euros dans la gamme de produits ” rentrée des classes ” sur Bol.com recevaient une ristourne sur Delhaize.be.
Scénario plus abouti encore : la chaîne au lion pourrait profiter du modèle d’abonnement de Bol.com. Les clients Select, sorte d’Amazon Prime à la sauce néerlandaise donnant droit à des livraisons ” gratuites ” et rapides, pourraient ainsi se faire livrer leurs courses alimentaires sans frais de livraison. ” Aux Pays-Bas, les clients payant l’abonnement Select sur Bol.com peuvent se faire livrer ‘gratuitement’ chez Albert Heijn en dehors des heures de pointe “, explique Gino Van Ossel.
Quelques magasins physiques
Cette ” omnicanalité ” fait aussi partie intégrante du business model de Coolblue. Détenu par la société d’investissement néerlandaise HAL (Pearle, GrandOptical) à 49%, par son fondateur Pieter Zwart et par le management, l’e-commerçant spécialisé dans l’électro a décidé, et ce depuis sa création, d’ouvrir quelques points de vente. Coolblue en possède 14 à ce jour, dont quatre en Belgique. Tous étaient jusqu’ici situés en territoire flamand, mais le groupe vient d’ouvrir un vaste flagship store en plein centre de Bruxelles. L’objectif est clair : se faire un nom auprès de la clientèle francophone. Et le site bleu et orange, dont la livraison gratuite dès le lendemain est le coeur de son modèle, ne compte pas s’arrêter là. ” En ce moment, nous sommes toujours à la recherche d’emplacements adaptés en Belgique et aux Pays-Bas pour de futurs magasins physiques “, explique Camille Depuydt, manager Belgique. Le groupe compte encore ouvrir quatre points de vente dans notre pays et aux Pays-Bas pour la fin de l’année. Les villes de Liège et Charleroi sont souvent citées, mais Coolblue se veut discret.
A noter que les magasins physiques de la marque ne sont pas des points de vente classiques comme peuvent l’être ceux d’autres chaînes d’électro. Non seulement ils sont beaucoup moins nombreux, mais ils exposent nettement moins d’articles et leur stock est fortement réduit, comme nous l’a expliqué un vendeur du nouveau magasin bruxellois. En réalité, il est même fréquent de ne pas pouvoir repartir avec les articles exposés, ceux-ci devant être commandés en ligne pour une réception le lendemain.
Les magasins servent en fait plutôt à booster la notoriété de la marque, et à renforcer la confiance des consommateurs. ” Nous avons constaté une satisfaction des clients et des chiffres d’affaires plus élevés dans les régions où l’on trouve des magasins, explique Camille Depuydt. Les consommateurs qui habitent près d’un magasin commandent davantage en ligne car ils savent qu’ils peuvent passer chez nous en cas de problème avec leur nouvel achat. ” C’est là l’autre rôle de ces points de vente d’un genre un peu particulier : le service après-vente et la réparation. Même si ces magasins, qui font plutôt office de showrooms et de lieux de conseil, servent aussi de points de retrait et de retour.
Mini-hubs de livraison
Enfin, l’objectif est également de faire de ces points de vente des mini-hubs de livraison. ” Notre propre service de livraison à vélo-cargo prend le magasin comme point de départ pour livrer des paquets aux clients dans et autour de Bruxelles, explique la responsable. Environ 80% de tous les petits paquets commandés à Bruxelles sont livrés à vélo. ” Soit ceux-ci sont de stock en magasin, soit – et c’est le cas la majeure partie du temps – ils sont expédiés depuis les Pays-Bas vers les magasins le matin, et ensuite livrés à vélo.
Comme pour Bol.com, les opérations, de fait, s’effectuent principalement outre-Moerdijk. Coolblue dispose d’un énorme entrepôt logistique à Tilburg. Mais contrairement à son concurrent, le groupe facture via une société belge et crée davantage d’emplois chez nous. Non seulement dans ses magasins, mais également pour la livraison du gros électro. Ce dernier est d’abord livré de Tilburg vers deux mini-dépôts situés à Gand et Anvers. C’est de là que partent les camionnettes labellisées Coolblue pour la livraison et l’installation à domicile. L’e-commerçant a prévu d’ouvrir un mini-dépôt similaire en Wallonie mais explique ne pas encore être en mesure de préciser où et quand.
On le voit, ces deux acteurs néerlandais sont bien décidés à conquérir le sud du pays et à s’attaquer à la toute puissance d’Amazon. Les joueurs locaux, eux, verront la concurrence s’intensifier, déplorant au passage le fait que notre marché soit toujours davantage pénétré par des acteurs étrangers écoulant massivement leurs produits chez nous et créant la plupart des emplois… chez nos voisins.
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