Brieuc De Meeûs (STIB): “Deux jours de télétravail, c’est 12% de fréquentation en moins”

© BelgaImage
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Malgré la pandémie, la Société des transports intercommunaux de Bruxelles (Stib) continue d’augmenter son offre de transport. Son patron espère revenir à la fréquentation de 2019 puis continuer à croître “après une énorme parenthèse de trois à cinq ans”. Et en dépit du télétravail, qui devrait persister.

Pour la Stib, l’exercice est délicat. Il s’agit de rendre les transports en commun bruxellois plus attractifs, avec l’espoir d’attirer des automobilistes au moment où le programme de zone de basses émissions décidé par le gouvernement régional interdit progressivement l’accès de certains véhicules dans la capitale. Mais il lui faut également ménager les moyens d’une Région dont la Stib représente plus de 10% des dépenses. Malgré la hausse de certains coûts et la baisse de la fréquentation pour cause de pandémie, le CEO de l’opérateur public semble confiant.

.

Profil

  • 60 ans
  • Ingénieur industriel, diplômé de l’Ecam
  • A débuté à la Sabca, à Haren, comme ingénieur au contrôle de qualité de composants de la fusée Ariane 5
  • Directeur général de Cegelec Control Systems & Services, Charleroi, de 2000 à 2003
  • CEO de Flightcare Belgium de 2004 à 2012
  • CEO de la Stib depuis 2012
  • Nominé pour le prix du Manager de l’Année 2018
Brieuc De Meeûs, CEO de la STIB.
Brieuc De Meeûs, CEO de la STIB.© BelgaImage

TRENDS-TENDANCES. L’année 2022 sera, on l’espère, celle de la sortie du covid et d’un certain retour à la normale. L’an dernier, vous étiez à 273,8 millions de voyages, soit 64% de la fréquentation de 2019. Où espérez-vous arriver cette année?

BRIEUC DE MEEÛS. Nous sommes optimistes. Si nous arrivons à 85% de la fréquentation d’avant le covid, ce sera très bien. Et je pense que ce sera le cas. On le voit dans les chiffres actuels: ils naviguent dans les 70% mais nous devrions osciller bientôt entre 80% et 90%, quand cette nouvelle vague covid sera passée et que le télétravail de quatre jours obligatoires par semaines sera réduit ou levé.

Quel est l’impact budgétaire? En 2020, vous aviez perdu plus de 25% de recettes propres. Et en 2021?

Ce sera la même chose. En 2020, nous avions pu rouler normalement jusqu’à mars mais le premier confinement a été très sévère. La perte se sont élevées à une centaine de millions d’euros sur l’année. Le problème c’est que nos coûts restent constants: l’offre n’a jamais été réduite – sauf au début, en 2020. Et il y a des coûts supplémentaires avec le renforcement du nettoyage notamment, soit plusieurs dizaines de millions d’euros. Pour 2021, nous aurons aussi une centaine de millions d’euros de recettes en moins.

La SNCB a réduit son offre en raison du covid qui touche le personnel. La Stib n’a pas été concernée par ce problème?

Pas pour l’instant. Je suis prudent, on ne sait pas ce qui nous attend, mais jusqu’à présent, nous n’avons pas eu ce souci.

Au début de la pandémie, vous nous aviez expliqué qu’il faudrait deux à trois ans avant de revenir au niveau de 2019, soit 433,5 millions de voyages, et repartir avec une croissance de 3% à 4% par an. Est-ce que cette projection reste valable, alors que la pandémie se prolonge et que le télétravail pourrait éroder la fréquentation de manière structurelle?

Nous avons calculé que deux jours de télétravail structurel par semaine représentent 12% de fréquentation en moins sur notre réseau. Si nous arrivons aux 85% espérés cette année, je pense que nous reviendrons au trafic de 2019 à la fin 2023. Il y aura certes un impact télétravail, mais il sera progressivement compensé par la croissance annuelle de la demande, notamment à cause du transfert modal. Cela nous pousse à continuer à développer l’offre, et maintenir les investissements prévus.

Lire aussi:

L’offre a même augmenté…

Oui, c’est le cas pour le métro notamment. Nous avons amélioré les fréquences sur les lignes 2 (Elisabeth-Simonis) et 6 (Elisabeth-Roi Baudouin), qui descendent de 3 minutes à 2 minutes 30, soit une hausse de l’offre de 15%.

C’est l’effet de l’arrivée de nouvelles rames?

Nous en avons commandé 22, dont sept ont été mises en service l’an dernier. Les autres arrivent au rythme d’une toutes les six semaines.

Elles remplacent des rames qui seront déclassées?

Pas du tout, elles s’ajoutent aux 66 rames déjà en service. Nous n’avons jamais déclassé de rame de métro, sauf celle qui a été victime de l’attentat à la station Maelbeek. Toutes les rames construites pour le métro, depuis son inauguration en 1976, sont toujours exploitées. Pour les bus, un plan directeur a été lancé en 2018, son déploiement s’achèvera cette année. Depuis, l’offre a déjà augmenté de 30%. Et ça continue… Même chose pour le tram: nous avons par exemple allongé la ligne 9 vers le Heysel.

Vous augmentez l’offre malgré les 12% de diminution de trafic que va entraîner le télétravail?

Je l’ai dit, en trois ans, cette perte sera absorbée. Oui, il y aura une énorme parenthèse covid de trois à cinq ans, mais la croissance de la fréquentation devrait reprendre.

Pour la Stib, quel est l’impact de la zone de basses émissions?

Nous avons dû changer nos bus, et nous continuerons à le faire au fur et à mesure des phases de déploiement de cette zone de basses émissions. Cela demande de gros investissements, notamment dans des bus hybrides.

Et aussi dans des bus électriques?

Nous avons 44 bus électriques, dont 25 modèles articulés sur la ligne 64, qui effectuent une recharge rapide quand ils arrivent au terminus. C’est sans doute ce type de bus articulés que nous allons acquérir pour remplacer les bus Euro5 en 2024, soit une cinquantaine. Et nous devrons réaménager les terminus pour les équiper de systèmes de recharge.

Tout devrait être électrifié pour 2030?

Non, pour 2035, à la fin de vie des derniers bus hybrides, soit 15 ans. Nous étudions aussi la possibilité d’utiliser des bus à hydrogène, en collaboration avec l’ULB, Fluxys et Sibelga. Mais au-delà de la technologie des véhicules, il s’agit d’examiner la logistique de l’approvisionnement en hydrogène, lequel doit être vert, issu d’énergies renouvelables. Certains, comme Colruyt, y croient beaucoup. Moi aussi.

Cette pandémie vous a fait perdre des recettes. Est-ce que la Région les a compensées, comme le fédéral l’a fait pour la SNCB?

Pas en 2020 ni en 2021. Nous avons vécu sur nos réserves. Il ne faut donc pas que cela dure encore trop longtemps…

Pour revenir au télétravail, est-ce que vous comptez lancer un abonnement adapté, valable quelques jours par semaine?

Nous avons effectué un test avec un produit adapté au télétravail, sous la forme d’un paquet de 100 voyages à utiliser dans les 90 jours. Cela n’a pas eu de succès. Soit le client consomme trop vite les voyages, et l’abonnement mensuel classique convient mieux. Soit il ne les consomme pas assez vite, et après 90 jours, le couperet tombe, il perd le bénéfice. Nous avons estimé que le marché n’était pas prêt pour ce genre de produit. Les abonnements existants restent attractifs: ils n’ont pas augmenté depuis 2014.

En parlant d’augmentation, il y a celle du prix de l’énergie. Vous en souffrez?

Nous sommes un gros consommateur d’énergie. Pour l’électricité, utilisée pour les trams et les métros, nous nous sommes couverts pour ne pas subir les effets des hausses actuelles. C’est la même chose pour le carburant des bus. Mais pour le gaz, qui sert notamment à chauffer les bâtiments, nous souffrons davantage, en payant un tarif qui s’est envolé. Nous sommes donc en partie couverts, mais il ne faudrait pas que ces hausses durent trop longtemps. Si les prix restent élevés en 2023, nous retomberons dans les conditions du marché. Notre espoir, comme pour beaucoup de Belges, est que les choses finiront pas se tasser.

Parlons digitalisation. En 2022, la STIB va rattraper son retard…

Retard? Là, vous me provoquez ( sourire)! Nous étions les premiers en Belgique à introduire une carte électronique contenant les titres de transport, Mobib. Les autres réseaux du pays ont repris le système. C’est une création de la Stib. Nous étions aussi les troisièmes ou quatrièmes en Europe à accepter les paiements sans contact EMV. On peut prendre le bus, le métro ou le tram en approchant une carte de paiement (Maestro, Visa, Mastercard, etc.) des terminaux installés dans les véhicules ou dans les stations de métro. A Paris, ils ne l’ont pas encore. Le coût est de 2,1 euros par trajet. Le système a été lancé en juillet 2020. Il représente 35% des ventes de tickets à l’unité. Il vise les voyageurs occasionnels, les touristes. Il ne faut même plus aller à une machine.

Cette année, vous allez introduire la dématérialisation du ticket, qui pourra avoir la forme d’un QR Code. Quel est le but de l’opération?

Il va faciliter le trajet des utilisateurs qui empruntent plusieurs réseaux. Pour entrer dans le métro, le QR Code d’un ticket SNCB ne permettait pas d’ouvrir le portillon d’un métro… Il existe déjà un forfait tarifaire qui permet d’utiliser indifféremment au cours du même trajet le Tec, De Lijn, la Stib ou la SNCB à Bruxelles et dans la proche périphérie: le Brupass ou le Brupass XL. Mais la dématérialisation de ce titre facilitera les choses pour le voyageur qui pourra l’acheter et le valider via son smartphone.

La Stib développe elle-même sa plateforme multimodale. Où en êtes-vous?

Nous avançons bien. Il s’agit d’une application qui intégrera non seulement l’accès aux quatre transporteurs publics du pays mais aussi des services comme des voitures, des vélos, des trottinettes partagés. Elle proposera, sur le trajet demandé, une combinaison selon vos indications – par exemple, je ne veux pas de trottinettes mais j’accepte le vélo…- avec un seul prix, un seul ticket. Le service est en test depuis un an, avec plus de 2.000 personnes. Le marché pour la solution grand public qui sera lancée est pratiquement finalisé. L’appli sera disponible pour tous d’ici la fin de l’année.

Où en est la nouvelle ligne du métro, la 3?

Les travaux (transformation des lignes de tram en métro lourd, Ndlr) ont commencé dans la première partie qui va de la station Albert (Forest) jusqu’à la gare du Nord. La deuxième partie, de la gare du Nord à la station Bordet (Evere), est soumise à enquête publique. Le dossier, les études d’incidence, qui sont le processus administratif le plus lourd, tout cela est terminé. Nous déposerons le permis du deuxième tronçon fin 2022 début 2023.

Quand la ligne sera-t-elle en service?

La partie d’Albert à Nord sera prête d’ici trois à cinq ans.

Pourquoi faut-il tant de temps pour construire un métro?

Le processus administratif est important. Une étude d’incidence, cela prend deux ans. Avec l’enquête publique, le permis, il faut compter au moins cinq ans. Puis les travaux sont titanesques.

Je me souviens qu’il y a une décennie, cette ligne devait s’ouvrir en 2023 ou en 2024…

Elle se fera. Tout est en place

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content